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Seconde guerre du Golfe : Des experts africains interpellent Washington à "cultiver la paix" !

Publié le samedi 8 janvier 2005 à 11h11min

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« Au regard de cette conjoncture de crise, le silence intellectuel de l’Afrique nous semblait de nature à être
interprété comme une caution implicite à la lente dérive du monde observée depuis peu.

Ecrasée et tyrannisée par le pouvoir de l’argent, technologiquement marginalisée, économiquement paupérisée, l’Afrique se devait de trouver les mots et les méthodes pour ramener les uns et les autres à la raison et convaincre les puissants de renoncer à la violence », telle est la posture des auteurs du livre intitulé Une lecture africaine de la guerre en Irak, sous la direction du Professeur Jean-Emmanuel Pondi, Directeur de l’Institut des Relations internationales du Cameroun et publié aux éditions Maisonneuve et Larose/Afredit en 2003, 242 pages.

Par une approche pluridisciplinaire, les contributeurs du livre soulignent avec rigueur les aspects politiques, géostratégiques, économiques, communicationnels et socioculturels de la guerre entreprise unilatéralement par les Etats-Unis d’Amérique et leurs alliés contre l’Irak au mépris de l’ONU et du droit international.

Pour le Professeur Jean-Emmanuel Pondi, dans sa contribution portant sur « Washington et Londres dans le bourbier irakien : analyse des contours et des conséquences d’une victoire à la Pyrrhus ? », si la victoire militaire de la coalition sur le régime de Bagdad a été une évidence, les graves dommages de cette guerre causés dans le champ de la reconstruction des alliances diplomatiques donnent un goût inachevé, sinon amer. L’aventure américaine en Irak, aux yeux des Africains, assombrit l’image de marque, de crédibilité et la stature morale de la super puissance au regard des nombreuses contradictions doctrinales mises à nu. La mauvaise perception et l’appréciation négative de cette offensive par les citoyens américains-, par les peuples du monde (de Londres à Johannesburg en passant par Paris, Rome et Le Caire) amènent les experts africains à inviter les Etats-Unis à accepter une vision commune des droits humains applicables sans distinction à tous les peuples du monde, à privilégier une approche plus pacifiste des relations internationales, celle du Département d’Etat, au détriment de la position belliciste incarnée par le Pentagone, à adopter une attitude plus empreinte d’humilité, d’écoute de l’autre et d’introspection positive « de manière à découvrir le sens réel de ce qui motive les positions plutôt hostiles des uns et des autres vis-à-vis de leurs options militaires ».

Dieudonné Oyono, à travers son article sur « La seconde guerre du Golfe et la résurgence des malentendus transatlantiques » : le dilemme camerounais », relève les fondements de l’attitude américaine, notamment une longue histoire d’une vision manichéenne du monde construite autour du « Bien » et du « Mal », du « Monde libre » et de l’espace des totalitarismes. Le 11 Septembre marque la manifestation de la rencontre violente des civilisations prédite par Samuel Huntington, un maître à penser de Washington. La vision messianique américaine, vision d’un « nouveau monde » est divergente de celle de la France, membre de la « Vieille Europe », qui veut faire entendre sa voix dans les relations internationales. La « France combattante », celle du Général de Gaulle, écartée des conférences internationales entre 1940 et 1945 qui ont accouché un monde avec les Etats-Unis comme leader, les divergences américano-françaises sur la crise de Suez en 1956, l’opposition du « Grand dessein » de Kennedy sur l’Europe et de la « Grande politique » de la France, le retrait de la France du Commandement intégré de l’OTAN en 1966 sont autant de précédents qui ont poussé la France de Jacques Chirac à s’opposer à la décision américaine de faire plier le Conseil de Sécurité de l’ONU malgré l’objectif commun de désarmer totalement l’Irak.

Le Professeur Laurent Zang, dans son analyse sur « le messianisme dans la politique étrangère américaine : entre destin manifeste et desseins implicites », indique que les Etats-Unis, malgré leur discours centré sur la liberté, le progrès et la paix, malgré leur volonté d’être perçus comme l’édificateur et le gardien d’un monde meilleur, se conduisent et sont vus comme le promoteur du droit de la force au détriment de la force du droit. Et le Professeur Zang de conclure : « N’ayant pas reçu l’aval du Conseil de

Sécurité des Nations unies, l’intervention américaine en Irak est apparue comme illégale. La condamnation d’une large partie de la communauté internationale l’a rendue illégitime. La brutalité des opérations sur le terrain a définitivement disqualifié la notion d’une guerre propre et dévoilé un visage terrifiant, voire monstrueux des Etats-Unis ».

Le Professeur Collins Ngwa, porte un regard critique sur l’impact de la guerre en Irak sur les Nations unies. Dans sa contribution intitulée « The impact of the Iraqi war on the United Nations », il affirme que la seconde guerre du Golfe constitue un prolongement de la première. Elle a sans doute des liens avec les événements du 11 septembre 2001 et la croisade américano-britannique contre le terrorisme. Si le principe du désarmement de l’Irak a fait l’unanimité au sein des membres du Conseil de Sécurité, les divergences ont été significatives quant à l’offensive armée ou à une guerre préventive contre le Raïs et son régime. Parmi les leçons à tirer par l’ONU et la communauté internationale après l’action de la coalition, on peut citer la rupture du principe fondateur des relations internationales depuis Westphalie en 1648, repris par la Charte des Nations unies en 1945, notamment l’égalité souveraine des Etats, qui se présente en réalité comme une fiction juridique et la reconnaissance de la dépendance des actions de l’ONU au degré de soutien provenant de ses membres. Si les pessimistes considèrent que le régime irakien a entraîné les Nations unies dans sa chute, le Professeur Ngwa espère que l’Europe dans son processus d’unification apportera un équilibre à la puissance américaine et donnera une chance au multilatéralisme.

Pour le Docteur Wullson Mvomo Ela, avec la guerre en Irak, les Etats-Unis réalisent un pas vers l’empire.

Cette guerre traduit la volonté de l’ Amérique de Bush de remodeler le Moyen-Orient pour la sécurité d’Israël et le contrôle du pétrole irakien. Les ambitions de Washington sur l’ Afrique utile sont évidentes à cause des enjeux pétroliers et sécuritaires. « Derrière la « rectitude messianique », se cachent cependant les intérêts de puissance, en l’occurrence le pétrole et les positions stratégiques », conclut le Docteur Oyono.

L’ouvrage des experts africains, faisant suite à la journée de réflexion sur « la deuxième guerre du Golfe et son impact sur la restructuration des relations internationales » tenue à l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC) le 24 avril 2003 sous l’égide du Département de politique internationale, aborde également le regard des économistes, des journalistes, des hommes de culture, des philosophes et des religieux sur la guerre en Irak.

Le Professeur Jean-Emmanuel Pondi, dans la conclusion du livre, a pris soin de noter que le débat en Afrique sur la guerre en Irak se poursuit au regard de l’actualité violente qui est le quotidien des Irakiens mais aussi des soldats de la coalition et des membres des organisations humanitaires. Accidents, attentats, prises d’otages ponctués par des bombardements alimentent la presse internationale. Les 22 et 23 novembre 2004 s’est tenue en Egypte à Charm El Cheikh une conférence sur l’Irak, notamment sur Ia démocratisation et sur la reconstruction du pays. Et le Professeur Zang d’emprunter la trompette à d’autres analystes et de se poser une question pertinente : « Est-il utile de détruire d’abord pour reconstruire ? ».

Pour le Professeur Pondi, les tragédies vécues par les Africains dans l’histoire leur donnent « un droit incontestable pour stigmatiser la violence, les préjugés raciaux, la domination structurelle et militaire l’instauration de la loi du plus fort ». La vision des experts africains est en harmonie avec l’ensemble des initiatives diplomatiques qui prônent la résolution des conflits et la gestion pacifique de l’antagonisme des intérêts des membres du village planétaire. « Sa pauvreté, son histoire et son expérience interdisent, l’Afrique d’emprunter les chemins de l’aventure, et au bout du compte, du suicide collectif qui menace de plus en plus la société industrielle d’aujourd’hui ». C’est pourquoi le livre se veut « une interpellation à un pays phare ou comme on le dit en Afrique, à un pays frère, qui a marqué d’une empreinte indélébile la marche du monde vers le progrès scientifique et technologique ».

Cet ouvrage collectif se veut un premier pas dans la prise de parole des experts africains sur les questions internationales. L’Institut diplomatique et des relations internationales de Ouagadougou (IDRI) se présente comme un espace de valorisation de l’expertise africaine en accompagnement de sa sœur aînée, l’Institut des relations internationales du Cameroun, la plus ancienne des grandes écoles des relations internationales au Sud du Sahara.

Poussi Sawadogo
Institut Diplomatique et des Relations Internationales de Ouagadougou

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