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L’Afrique qui revendique sa souveraineté à Addis Abeba, la solde à Bamako et ailleurs.

Publié le mercredi 29 mai 2013 à 21h46min

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L’Afrique qui revendique sa souveraineté à Addis Abeba, la solde à Bamako et ailleurs.

Ce serait l’avers et le revers d’une même pièce de monnaie. En fait, c’est le recto et le verso dans un seul et même quotidien. Je suis à Ouagadougou. Le sommet de l’UA, celui du Cinquantième anniversaire, vient de se tenir à Addis Abeba. Dans la capitale du Burkina Faso, le président Blaise Compaoré a repris ses pourparlers avec les ex-groupes « rebelles » du Nord-Mali et Tiébilé Dramé, conseiller spécial du président intérimaire malien Dioncounda Traoré (cf. LDD Mali 078/Lundi 20 mai 2013).

Pour recevoir les uns et les autres à Kosyam, Compaoré a shunté l’anniversaire de l’UA dans la capitale éthiopienne. Il n’est pas friand de ces grandes manifestations continentales et a assuré le service minium : présence à Addis ; intervention à la tribune ; entretiens avec des personnalités majeures sur des sujets majeurs*. Et puis, il préfère être acteur que spectateur. La presse burkinabè rend compte ce matin – mardi 28 mai 2013 – de l’un (sommet de l’UA) et des autres (entretiens sur le Mali). Recto-verso. Eloquent.

Côté verso : « Le faux orgueil des souverainistes africains » (Le Pays) ; « Cinquantenaire de l’UA. Poussée « d’africâneries » sur François Hollande » (L’Observateur Paalga). Côté recto : « Pourparlers avec les groupes armés du Nord-Mali. Les négociations de la dernière chance ? » (Le Pays) ; « Négociations intermaliennes. Kosyam reprend du service » (L’Observateur Paalga).

Quel est le problème ? C’est que François Hollande, présent à Addis Abeba en libérateur du Nord-Mali et ordonnateur de la prochaine présidentielle malienne, a annoncé la tenue, en décembre 2013, à Paris, d’un sommet sur la paix et la sécurité en Afrique. De quoi gâcher le week-end des chefs d’Etat africains qui entendaient parader tranquillement à Addis. « Ils estiment, écrit Le Pays dans son éditorial, que la décision de Hollande est unilatérale et heurte par là-même la souveraineté du continent [...] Cela a eu pour effet, comme on l’a d’ailleurs constaté, de faire vibrer la fibre souverainiste de certains chefs d’Etat qui ont vite crié à l’impérialisme français ». « C’est sans ambages que le grand chef blanc a convié ses pairs africains sur les rives de la Seine les 6 et 7 décembre prochain pour discuter sécurité et paix. Et comme il fallait s’y attendre, la pilule a été dure à avaler pour certains, qui estiment avoir été mis devant le fait accompli, pour ne pas dire qu’ils se sont sentis purement et simplement convoqués, et cela sans le moindre préalable. Des grincements de dents qui laissent transparaître en filigrane les vieux reflexes de souverainistes frileux » écrit de son côté H. Marie Ouédraogo dans L’Observateur Paalga.

Mais de quoi se mêle-t-il donc ce président de la République française mal aimé dans son propre pays ? Réponse des quotidiens privés burkinabè : « De toute évidence, les contestataires de Hollande lui font un très mauvais procès. La vérité est qu’il leur manque le courage d’assumer leur manque d’initiatives. Ils sont plutôt animés du double sentiment de honte et d’orgueil blessé. La honte de n’avoir pas pu sauver le Mali au moment où les terroristes étaient aux portes de Bamako et l’orgueil froissé de n’avoir pas eu cette ingénieuse idée de Hollande qui semble les fouetter dans leur amour-propre » commente Le Pays qui ajoute : « Mais, à qui la faute si des pays, aux indépendances vieilles pour bon nombre de plus de 50 ans, se comportent toujours comme des protonations et attendent toujours le secours de leur métropole ? ».

Ouédraogo, dans L’Observateur Paalga, n’est pas moins critique. « L’on a parfois l’impression que nos chefaillons veulent une chose et son contraire. Tant leur attitude envers les anciennes puissances coloniales est pleine de paradoxe. Quand ça ne va pas chez eux, on mendie le soutien de l’Occident. Mais quand ce dernier s’avise de prendre des initiatives les concernant, on crie à l’ingérence et au paternalisme. Où était l’Union africaine et sa fameuse force en attente lorsque les émirs d’AQMI et leurs alliés menaçaient de mettre le Mali sous leur coupe ? N’est-ce pas la France qui a sauvé ce pays du péril djihadiste ? Une chose est d’avoir de l’orgueil, une autre est d’en disposer des moyens ». Tout est dit.

Les Burkinabè en donneurs de leçons ne vont pas se faire que des copains. Mais ça, c’est le recto. Il faut aller voir du côté verso pour mieux comprendre le contexte. Depuis le déclenchement de la « crise malo-malienne », le Burkina Faso se trouve en première ligne. Sociale, diplomatique, militaire. Il y a eu d’abord l’afflux des réfugiés, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dans une conjoncture « alimentaire » tendue. Puis l’enclenchement de la médiation pour dégager aussi loin que possible du terrain politique les putschistes et reconfigurer constitutionnellement le Mali. Dans le même temps, il a fallu sécuriser les frontières du Burkina Faso avec le Mali.

Fin 2012, les négociations intermaliennes ont pu être ouvertement enclenchées à Ouaga. Mais l’intervention militaire française, un mois plus tard, a changé la donne. Ouaga a donc mis le dialogue en sommeil, sans pour autant l’interrompre, pour se consacrer à la mise en place de sa contribution au sein de la force africaine tout en multipliant les contacts internationaux afin d’élargir le front anti « terroriste » (Djibrill Y. Bassolé devenant en charge du dossier malien pour le compte de l’OCI). Cette politique du stop and go est particulièrement épuisante dès lors qu’elle semble contre-productive. « Négociations, guerre, négociations et… ? Telle est la succession des différents actes du scénario de la crise malienne », écrit Boureima Dembélé dans Le Pays (28 mai 2013) qui se lasse de la « diversion » que mènent les groupes armés du Nord-Mali – et en tout premier lieu le MNLA – et s’interroge sur les multiples questions qui restent posées à quelques semaines de la présidentielle du dimanche 28 juillet 2013 (tout juste deux mois). « Au besoin, écrit Dembélé, il faudra taper du poing sur la table face aux hommes bleus, car on les a trop caressés dans le sens du poil ».

Sitôt rentré d’Addis, Compaoré a reçu en audience, le lundi 27 mai 2013, Tiébilé Dramé puis les représentants du MNLA et du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad. « Kosyam reprend du service » écrit L’Observateur Paalga (28 mai 2013). Objectif de Dramé : la « signature d’un accord intérimaire permettant la tenue de l’élection présidentielle sur toute l’étendue du territoire national du Mali ». Autrement dit un programme minimum.

Autrement dit aussi : Ouaga va jouer sa crédibilité en tant que médiateur de la Cédéao. Avec sérénité cependant : le « Pays des hommes intègres » a l’expérience des médiations difficiles, à commencer par celle qui a duré jusqu’en 2010 en Côte d’Ivoire. Et c’est ce qui peut exaspérer les Burkinabè : l’Afrique joue les vierges effarouchées dès que l’on évoque sa souveraineté mais s’il n’y avait pas des pompiers de service qui aient du savoir-faire et de la détermination, la souveraineté de l’Afrique serait depuis longtemps un vain mot, bien plus qu’elle ne l’est aujourd’hui. Combien de régimes africains ne tiennent le coup que du fait de la présence sur le territoire national de troupes étrangères, parfois même non-africaines ? Quand la maison brûle, il ne faut pas reprocher aux pompiers de faire le maximum pour éteindre l’incendie et, dans le même temps, exonérer les incendiaires de toute responsabilité.

* Le président du Faso s’est notamment entretenu avec Guy Ryder, directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT) de la tenue, en 2014, du sommet « Ouagadougou + 10 » qui va plancher sur les politiques d’emploi et d’éradication
de la pauvreté dix ans après le sommet sur ce thème organisé dans la capitale burkinabè.

On peut souhaiter que ce soit, aussi, l’occasion de rendre hommage à Ludovic Alain Tou, ministre burkinabè du Travail, de l’Emploi et de la Jeunesse, qui avait été, alors, sur la brèche pour la préparation de ce premier sommet sur la lutte contre la pauvreté (il avait présidé le conseil d’administration du BIT en 2001-2002) mais avait été victime d’un accident de la circulation en 2005. Longtemps hospitalisé, notamment en France, il était revenu au Burkina Faso en 2007 avant de mourir voici près de quatre ans, le 17 juin 2009.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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