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Mali 2013. Tiébilé Dramé joue à Kidal, et avec le MNLA, son avenir politique (3/3)

Publié le vendredi 31 mai 2013 à 12h48min

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Mali 2013. Tiébilé Dramé joue à Kidal, et avec le MNLA, son avenir politique (3/3)

Tiébilé Dramé l’a dit le samedi 23 février 2013, à l’occasion d’une journée d’échange organisée par les jeunes de son parti, le Parena : « Pouvons-nous nous permettre de nous comporter comme si rien ne s’était passé dans ce pays en 2012 ? ». Et il ajoutait ce jour-là : « Pouvons-nous aller aux élections comme par le passé, alors que les enfants des autres viennent mourir pour notre liberté et notre dignité ? ».

C’est pour le conseiller spécial du président Dioncounda Traoré, en charge des négociations avec le MNLA dans son fief de Kidal, dire des choses essentielles ; d’abord qu’il s’est passé quelque chose en 2012 : la « guerre » déclenchée contre le régime en place à Bamako par le MNLA et le coup d’Etat militaire qui a installé une junte au pouvoir dont il a été bien difficile de se débarrasser ; ensuite que la situation actuelle du Mali – la reconquête du Nord – résulte non pas d’une action menée par des Maliens mais bel et bien par des « étrangers », essentiellement des Français et des Tchadiens.

Le dire haut et fort, c’est tenter de placer le MNLA face à ses responsabilités et lui faire comprendre que ces responsabilités ont un coût que la communauté malienne, la communauté africaine et la communauté internationale pourraient bien lui faire payer au prix fort. Autrement dit : s’il veut exister en tant que mouvement politique et force sociale, il lui faudra « mettre de l’eau dans son vin ». Beaucoup d’eau même compte tenu qu’il n’est pas en position de force militaire. Certes, il peut bloquer le processus électoral ; mais dans ce cas, il va être rapidement confronté à un déluge de feu auquel il ne résistera pas (il n’a pu résister d’ailleurs aux groupuscules « islamistes » et « terroristes » que parce que l’armée française a fait le ménage).

De son côté, dans un communiqué publié, à Kidal, le 17 mai 2013, le secrétaire général du MNLA ne manque pas de souligner que son mouvement « demeure conscient que la conclusion d’un accord-cadre entre le MNLA et les autorités maliennes de la transition, garanti par la communauté internationale et déterminant l’orientation générale relative au statut juridique de l’Azawad, constitue le gage pour faciliter et favoriser la tenue des élections présidentielles [pourquoi ce pluriel ?] dans l’Azawad ».

Le mot « gage » n’est certes pas diplomatique : il évoque un rapport de forces (qui n’est pas en faveur du MNLA même si son pouvoir de nuisance est toujours significatif) et se trouve être, surtout, l’expression d’un chantage. Pas bon. Mais il est vrai que le MNLA fait avec les moyens du bord et ils ne sont pas nombreux. Dans ce communiqué, il se « réjouit » qu’une volonté de négociation ait été exprimée ; mais il rappelle « que sa revendication concerne le statut juridique de l’Azawad et que les équilibres politiques internes au Mali ne lui font rien attendre de positif d’une élection dont les enjeux sont malheureusement essentiellement sudistes ». Argument fallacieux : les « enjeux » de la prochaine présidentielle sont, justement, de mettre en place une nouvelle équipe dirigeante à Bamako qui prenne en compte, comme le rappelait à juste titre, Dramé, que depuis 2012 la donne a changé. Le MNLA ne peut donc pas préjuger de ce que décideront les électeurs maliens et il n’aurait qu’à s’en prendre à lui-même si sa « revendication » n’était pas entendue : ce serait dû au fracas des armes et, en ce domaine, c’est le MNLA qui a tiré le premier le canon.

Le MNLA dit d’ailleurs tout et son contraire. « Les enjeux » de la présidentielle sont, dit-il, « malheureusement essentiellement sudistes » mais, dans le même temps, il se préoccupe de savoir quelles mesures seront prises « pour permettre le vote des populations de l’Azawad en grande partie déplacées et réfugiées ». C’est dire que, globalement, la perception est celle d’une acceptation de la règle du jeu fixée par Paris et la communauté internationale : la présidentielle est un préalable à toute négociation sur la situation du Nord-Mali. Normal, le MNLA est aujourd’hui bien isolé et stigmatisé comme principal obstacle à la paix et à la réconciliation au Mali (on peut toujours rêver) depuis que les « islamistes » et autres « terroristes » sont morts ou ont pris la poudre d’escampette sous des latitudes moins exposées.

Autrement dit, le MNLA a tout à perdre à jouer plus longtemps le « va-t-en guerre » alors que de tous côtés on se met en branle pour financer la période postcrise qui devra être, nécessairement, une période postélectorale. De toutes parts, on se bouscule pour dire ce que sera le Mali demain. L’ONU vient de désigner, en la personne d’Albert Gerard « Bert » Koenders, son représentant spécial et chef de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Le Groupe de contact de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) s’est réuni à Djeddah, en Arabie saoudite, le 13 mai 2013 sous la présidence de Mahmoud Ali Youssouf, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la République de Djibouti. Le 3ème des 15 points du communiqué final de cette réunion « a appelé le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) à jeter les armes et à se joindre au processus de paix ». « A cet égard, ajoute le communiqué final, elle a sollicité la médiation de l’Union africaine et de la Cédéao pour relancer sa louable initiative de paix et à encourager les parties et à en tirer profit. Elle a en outre exhorté la Commission pour le dialogue et la réconciliation à promouvoir un processus de dialogue inclusif dans le cadre d’un Mali uni ».

Autant dire que la marge de manœuvre du MNLA est particulièrement étroite même s’il serait inconcevable de faire l’impasse sur les revendications que ce groupe exprime : après tout, c’est-là que se trouve le point de départ de la crise, tout autant que dans la mauvaise gouvernance de Bamako. L’intervention militaire française a éradiqué, pour le moment et sur le territoire malien, toute présence de groupuscules « islamistes » ou « terroristes » ; on ne fait plus état, aujourd’hui, que du MNLA.

Si Dramé était à Ouaga voici deux jours, c’est aussi que l’envoyé spécial de l’OCI pour le Mali et le Sahel n’est autre que Djibrill Y. Bassolé, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale du Burkina Faso. La réunion de Djeddah a d’ailleurs « salué [ses] efforts et sa détermination à poursuivre son mandat et l’a exhorté à concevoir une stratégie globale en coordination avec les autres intervenants pour la stabilisation à long terme du Mali et du Sahel ». Dans les jours et les semaines à venir, c’est donc du côté de Ouaga que les choses sérieuses vont être relancées. Sous l’œil particulièrement scrutateur de Paris qui a beaucoup à perdre dans une persistance de la « crise malo-malienne » et qui a conscience que l’opération « Serval » n’aura eu de sens que si la donne politico-diplomatique change à l’avenir durablement non seulement au Mali mais en Afrique de l’Ouest*. Dramé se retrouve donc sur le devant de la scène avec un chronogramme dantesque : il ne reste que 66 jours avant la tenue de la présidentielle du 28 juillet 2013 ! On comprend qu’il ait cherche un soutien effectif du côté de Kosyam qui, de tout temps, n’a pas voulu exclure le MNLA des négociations.

* Ne perdons pas de vue que Paris est attentif à la situation qui prévaut en Algérie dans la perspective d’une succession annoncée : personne ne peut croire qu’Abdelaziz Bouteflika pourra reprendre ses fonctions à la tête de l’Algérie. Reste à savoir qui sera choisi par l’armée algérienne pour le remplacer. Notons par ailleurs que les relations entre Tiébilé Dramé et Alger étaient tendues. Le leader du Parena reprochait à l’Algérie « des ambiguïtés dans la gestion de la présente crise » et demandait que
sa position soit « claire et ferme en ce qui concerne la souveraineté et l’intégrité du Mali ». Il ajoutait : « Ce que le Mali a accepté sous médiation algérienne, l’Algérie ne l’acceptera jamais. Elle n’acceptera jamais de renoncer à exercer son autorité militaire sur une région de son territoire » (entretien avec « Tout sur l’Algérie », cf. supra).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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