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Lutte contre la corruption au Burkina : « Nous avançons, mais très lentement », dixit Dr Claude Wetta, secrétaire exécutif du REN-LAC

Publié le vendredi 24 mai 2013 à 21h06min

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Lutte contre la corruption au Burkina : « Nous avançons, mais très lentement », dixit Dr Claude Wetta, secrétaire exécutif du REN-LAC

Docteur en économie, enseignant à UFR/SEG (Unité de formation et de recherche en sciences économiques et de gestion) de l’université de Ouaga II, Claude Wetta est le nouveau secrétaire exécutif du REN-LAC (Réseau national de lutte anti-corruption) depuis le 10 mai dernier. Membre du bureau depuis 9 ans, il aura occupé respectivement les postes de trésorier, ensuite secrétaire exécutif adjoint avant de se voir confier les rênes de la structure. Son adhésion au réseau, les grands chantiers de son mandat, les rapports sur l’état de la corruption au Burkina, le prix anti-corruption… ont constitué le menu de l’entretien qu’il nous a accordé le 15 mai dernier.

Lefaso.net : Qu’est-ce qui a motivé votre adhésion à ce réseau ?

Dr Claude Wetta : Ce n’est pas un réseau d’individu, c’est un réseau d’organisation. Mon organisation, c’est la CGT/B qui est membre fondateur du REN-LAC. Etant donné que c’est au niveau du bureau qu’on retrouve des individus, il a fallu attendre 2003 pour que je rentre au niveau de la trésorerie.

Lefaso.net : Depuis le 10 mai dernier, vous êtes le nouveau patron du réseau, peut-on savoir les grands chantiers qui vous attendent ?

Ce que vous devez comprendre, c’est que notre structure a des plans d’actions. Nous avons eu un plan stratégique 2008-2012. Nous allons bientôt entamer le plan stratégique 2013-2016. Ce plan stratégique, on l’élabore de manière participative. On a passé pratiquement un demi mois pour élaborer le plan stratégique. Pour l’élaboration de ce plan stratégique, au niveau du secrétariat exécutif, on était cinq personnes. Moi-même alors le Secrétaire exécutif adjoint, le secrétaire chargé des enquêtes, le secrétaire chargé de la communication et le secrétaire chargé du contentieux. Nous avions les permanents : le gestionnaire de compte programme, le comptable, le chargé des enquêtes, le chargé du plaidoyer et le chargé de la communication. On a également fait venir les CRAC (comités régionaux anti-corruption) : CRAC du Nord, du Centre-Ouest, et des Hauts-Bassins. On a emmené les deux membres d’honneur (le président d’honneur et un membre d’honneur). On a aussi fait venir nos organisations : l’ODE, le GERDES, la CGT-B, le MBDHP et l’AJB. Ce sont ces personnes avec un consultant qui ont élaboré ce plan stratégique pour quatre ans.

Quand vous arrivez en tant que secrétaire exécutif, vous avez déjà ce plan. Vous avez aussi un document annuel. Donc, quand vous arrivez, il y a déjà ces différents documents qui vous orientent. Evidemment, en tant que secrétaire exécutif, vous allez apporter votre touche dans l’exécution de ce plan stratégique. Si non, les grandes orientations sont données par le plan, c’est donné par l’Assemblée générale. Moi, je suis un exécutant.

Lefaso.net : Dites-nous que contient le plan que vous êtes chargé d’exécuter ?

Les grandes orientations du plan stratégique 2013-1016 comporte quatre axes. Il y a des axes traditionnels, ceux qui consistent à renforcer l’efficacité du réseau, informer, sensibiliser les populations. Nous avions déjà ça dans notre plan stratégique 2008-2012. Le nouveau plan stratégique innove. La nécessité de lutter contre la corruption dans les administrations publiques et para-publiques constitue un axe majeur. Le 4e axe, c’est le renforcement de l’engagement politique à lutter contre la corruption. Et là, ce qu’on souhaite, c’est renforcer l’efficacité de l’action au niveau de la justice, et impliquer un peu plus les médias. On travaille déjà avec les médias, mais on pense qu’il faut qu’on puisse renforcer les activités avec les médias parce que c’est par leur canal qu’on peut toucher les populations. On élabore des choses mais pour diffuser nos idées dans la population, il faut qu’on ait un axe de collaboration étroit avec les médias.

Lefaso.net : Combien d’organisations compte le REN-Lac et comment devient-on membre ?

Globalement, on peut dire 26 organisations membres. Pour devenir membre, il suffit tout simplement de faire une demande (demande manuscrite, n° du récépissé, engagement à rentrer dans l’association, engagement à payer les cotisations, rapport d’activités, être d’accord avec les statuts de l’association). Vous envoyez votre demande au secrétariat exécutif. On fait étudier le dossier avant de le passer en Assemblée générale. C’est l’Assemblée générale qui accepte ou rejette.

Lefaso.net : Vous avez fait le ménage en votre sein lors de la dernière Assemblée générale, en sanctionnant certaines organisations membres, qu’est-ce qui explique ces suspensions et exclusions ?

Il y a eu deux types de sanctions. Il y a la suspension pour un certain nombre d’organisations qui ne sont pas à jour de leur cotisation. Lorsque que vous faites trois ans sans payer vos cotisations, normalement, on peut vous suspendre. Mais, à notre niveau, depuis 1997, on a laissé les choses aller, on a essayé de discuter avec les uns et les autres jusqu’à cette année. Chaque année, l’AG nous a dit d’aller voir les responsables des associations membres pour s’assurer qu’elles veulent toujours travailler avec le réseau. Depuis les trois dernières années, on a essayé de rencontrer les responsables des organisations. On a discuté. Il y a des organisations qui participent aux activités mais qui ne paient pas leurs cotisations. Ces organisations ont été suspendues (trois).

Pour ce qui concerne les (4) organisations exclues, elles ne paient pas les cotisations, elles ne participent pas aux activités depuis pratiquement 12 ou 13 ans. Lorsqu’on a voulu faire des enquêtes sur les organisations qui ne participent pas aux activités, on n’arrive même pas à trouver quelqu’un au bout du fil lorsqu’on appelle. On s’est déplacé sur les sites (sièges), là aussi, on ne trouve personne. On nous a dit qu’il y en a qui n’existe plus. Donc, il fallait élaguer, faire en sorte à minimiser les coûts.

Lefaso.net : Dans les cas, l’aspect cotisation ressort, est-ce à dire que les frais sont élevés ?

Jusqu’à la dernière assemblée, c’était 15 000f par an par organisation. On a monté un peu la cotisation à 20 000f à l’issue de l’AG du 10 mai. Lorsque nous faisons le point avec les 15 000f par an, on avait 530 000f. Ça cause des problèmes parce que si les ressources internes ne sont pas solides, le risque est que les bailleurs de fonds se désengagent.

Lefaso.net : Avec ces sanctions, peut-on dire que c’est la grande cohésion au sein du REN-LAC aujourd’hui ?

Lorsqu’on regarde au niveau de l’Assemblée générale, les rapports d’activités, le rapport des commissaires de compte, le programme d’activités, les statuts et le règlement intérieur qu’on a modifié, ont été adoptés à l’unanimité. Au niveau de l’élection du bureau, la plupart des membres du secrétariat exécutif ont été élus soit à l’unanimité, soit à l’unanimité moins une voix. Là, on se dit qu’il y a la cohésion dans la structure. Mais, il ne faut pas dormir là-dessus, il faut toujours travailler afin que cette cohésion se renforce. Nous avons également ce souci, je pense que le nouveau secrétariat exécutif va travailler à renforcer la cohésion en ayant des contacts plus fréquents avec les organisations membres.

Lefaso.net : A l’occasion de la dernière Assemblée générale, vous avez décerné les trophées anti-corruption, quel est l’esprit qui sous-tend l’instauration de ces trophées ?

Une organisation comme le REN-LAC, c’est plus de 20 organisations qui sont généralement à Ouaga. Or, nous avons besoin de toucher évidemment la population de Ouagadougou, mais également de toucher les populations des campagnes.

Le seul intermédiaire qui peut nous aider à le faire, ce sont les médias. On leur donne l’information et eux, ils se chargent de la diffuser.

On s’est dit qu’il faut encourager les journalistes à publier des articles contre la corruption. C’est nous qui sélectionnons les articles des journalistes sur la corruption et on met en place un jury composé de journalistes professionnels, de professeurs d’universités qui enseignent le journalisme. Ces cinq personnes qui composent le jury sont indépendantes du REN-LAC.

Le chargé de communication est chargé de faire la revue et sélectionner les articles traitant de la corruption. On remet ces articles au jury qui statue et sélectionne les meilleures œuvres.

Lefaso.net : Mais jusque-là, vous n’avez parlé que de la presse écrite, qu’en est-il des médias audiovisuels et des médias en ligne ? Ne sont-ils pas concernés par cette « compétition » ?

Vous posez une question très intéressante. Nous cherchons à voir comment primer les autres organes. Mais, ce n’est pas évident. Pour la presse écrite, vous avez le support papier. Mais, pour ce qui concerne la radio et la télévision, il va falloir qu’on ait les moyens, des moyens énormes pour pouvoir écouter toutes les radios par jour, sélectionner les documents anti-corruption, les mettre de côté afin de les soumettre au jury.

On a demandé aux journalistes de nous faire des propositions pour voir comment, on peut mettre cette activité en chantier, surtout qu’on a budgétisé ça dans notre plan stratégique 2013-2016. La presse écrite bien sûr mais la presse audiovisuelle aussi. Mais, pour l’instant, on n’a pas les outils pour pouvoir le faire.

Lefaso.net : Chaque année, le REN-LAC publie un rapport sur l’état de la corruption au Burkina, à quand la sortie du prochain, celui de 2012 ?

On a déjà fait les enquêtes, on a saisi les fiches, on a fait un travail de production. On a même commencé à rédiger le rapport. Un petit comité est en train de travailler pour pouvoir effectivement sortir le rapport. On est bien avancé. Si tout marche bien, on pourra le sortir à la fin du 1er semestre c’est-à-dire en juin. Mais, s’il y a un léger décalage, ce sera au début du second semestre.

Lefaso.net : Le rapport paraît chaque année, mais est-ce qu’il change grand-chose ?

Lorsqu’on a commencé à parler de la corruption en 1997, les gens nous disaient que ça n’existe pas. Dans la réponse péremptoire qu’on nous donnait, c’est que la corruption n’existe pas au Burkina, mais elle existe dans les autres pays. Mais depuis qu’on publie le rapport et probablement avec d’autres influences possibles, les gens sont maintenant convaincus que le phénomène existe. Ils sont même convaincus que le phénomène a une certaine ampleur au Burkina parce que c’est ce que nos rapports disent. Nous nous disons que la lutte anti-corruption est un phénomène de longue haleine. Donc, on ne s’attend pas à ce que les choses changent d’une année à une autre. Il faut travailler la mentalité pour qu’on puisse avoir des résultats. Le changement des mentalités ne se fait pas en deux jours. Nous pensons que nous avançons, mais très lentement.

Il faut également se dire que les phénomènes ne vont pas quelques fois de façon linéaire. Si vous prenez le Burkina en 1982, il y avait un certain nombre de phénomènes. Et puis en 1983, on a un nouveau régime et on a commencé à parler des fonctionnaires pourris, des douaniers pourris. Et ça a eu un impact sur l’évolution des phénomènes. Donc, effectivement on voit l’évolution linéaire des choses, mais on se dit aussi qu’il faut avoir une vision dialectique parce qu’il peut y voir des moments où les choses vont s’accélérer.

Lefaso.net : Est-ce à dire à dire que les burkinabè sont de plus en plus en corrompus ou bien c’est parce que les gens savent maintenant ce qu’est la corruption ?

Nous pensons qu’il y a les deux éléments. Il y a le fait qu’à force d’en parler, les gens prennent conscience. On étale aussi au grand jour les cas de corruption. Les journalistes en parlent et en ce moment, il peut y avoir l’impression que c’est un phénomène qui s’amplifie.

Mais, on se dit aussi que quelque part, le gain facile, les raccourcis, c’est rentré dans notre culture. Est-ce que c’est l’environnement sous régional et mondial qui fait aujourd’hui que les gens se disent que si je commence à travailler, il faut qu’au bout de cinq ans que j’aie ma voiture, que j’ai ma villa. Quand on regarde au niveau de la jeunesse, les gens n’ont plus le temps. Chacun veut aller vite. Quel est le déclic qui fait aujourd’hui que les gens sont pressés ? Et ça, ça encourage la corruption. Donc, je pense qu’il faut voir les deux phénomènes.

Interview réalisée par Moussa Diallo

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