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Martin Bouygues revient sur ses traces en Côte d’Ivoire (2/2)

Publié le vendredi 10 mai 2013 à 21h14min

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Martin Bouygues revient sur ses traces en Côte d’Ivoire (2/2)

Mardi 3 octobre 1995, 11 h 20. Au deuxième jour des conférences-débats dans le cadre du forum « Investir en Côte d’Ivoire » (ICI 95), qui se déroule à l’hôtel Ivoire, c’est Olivier Bouygues* le modérateur du thème abordé ce jour-là : « Les opportunités et perspectives offertes par les filières mines et énergie ». Quelques heures auparavant, c’est Marcel Zadi Kessy, PDG de Sodeci et de CIE (cf. LDD Côte d’Ivoire 0403/Mardi 7 mai 2013), président du Conseil national du patronat ivoirien (CNPI), qui intervenait sur « le rôle du secteur privé dans la politique de développement économique ».

Olivier Bouygues n’est pas le plus connu des héritiers de Francis Bouygues. Mais il tend alors à devenir le plus « ivoirien » de la famille. Après le père, bien sûr, alors décédé, qui avait initié le contact avec Félix Houphouët-Boigny et Zadi Kessy. Un contact fructueux : SETAO, Colas, Sodeci, CIE et, désormais, CIPREL : « La première unité privée de production d’électricité en Afrique », ne manquera pas de souligner ce jour-là Olivier Bouygues présenté comme le directeur de la Division générale services (DGS) du groupe Bouygues mais qui était, aussi, président de CIPREL.

La Compagnie ivoirienne de production d’électricité (CIPREL) a été créée entre le groupement SAUR/EDF, Pétroci et quelques autres. Le 20 juillet 1994, elle a signé une convention de concession pour la construction, l’exploitation et le transfert de propriété d’une centrale thermique à Vridi équipée de turbines à gaz. Une opération qui s’inscrivait dans la continuité de l’opération, lancée en 1990, de mise en place de la CIE. « Les approvisionnements, soulignait alors Olivier Bouygues, se révélaient incertains. L’électricité était produite par une centrale thermique obsolète et des barrages hydroélectriques menacés par la sécheresse. Pour compléter ses approvisionnements, la CIE était donc contrainte d’importer de l’électricité du Ghana. C’est alors qu’est né le projet « Foxtrot » qui devait permettre de pérenniser l’œuvre accomplie par la CIE ». Mais le projet « Foxtrot » (cf. LDD Côte d’Ivoire 0403/Mardi 7 mai 2013) va être mis en veilleuse dès lors que la Côte d’Ivoire pourra substituer du gaz associé des gisements « Panthère » et « Lion » au gaz sec de « Foxtrot ». Le projet CIPREL/Vridi II trouvera son aboutissement le 10 novembre 1995 avec la cérémonie solennelle d’inauguration de l’arrivée à Vridi-Canal du gaz naturel offshore du bloc CI-11, six mois après l’inauguration, le 27 avril 1995, de Vridi II.

L’ambiance, en Côte d’Ivoire, était alors à l’euphorie. On ne parlait pas encore « d’émergence » mais le pays ambitionnait de devenir « l’éléphant d’Afrique » à l’image des « dragons » d’Asie. Mohamed Lamine Fadika, ministre des Mines et de l’Energie, qui était intervenu dans le cadre d’ICI 95 juste avant Olivier Bouygues (en présence, il faut le souligner, du Sud-Africain Robert E. Townshend, divisionnal manager d’Anglo-American, et de l’Américain Steve Thornton, président de la compagnie pétrolière UMIC, opérateur sur le bloc CI 11), avait rappelé, à juste raison, que l’énergie électrique est « un des facteurs clé du développement industriel et de la croissance économique du pays »**, affirmant par ailleurs que « le potentiel gazier offshore de la Côte d’Ivoire est tel que l’électricité pourra être produite dans des conditions avantageuses pendant plusieurs dizaines d’années. C’est dire que le secteur électrique ivoirien se trouve dans une situation prometteuse et que le but visé est à notre portée ». Pronostic technique qui va être mis à mal par les événements politiques.

La relation Abidjan/Bouygues avaient été initiées par Francis, fondateur de la dynastie. Son fils et successeur, Martin, les avaient renforcées et diversifiées en coopération avec Alassane D. Ouattara, premier ministre du « Vieux ». Sous Henri Konan Bédié, c’est son frère, Olivier, qui va assurer le suivi de l’implantation du groupe dans le secteur énergétique. Tout au long de cette période, un homme sera un fil rouge dans l’histoire du groupe français en Côte d’Ivoire : Marcel Zadi Kessy, patron de la Sodeci puis de la CIE et enfin de CIPREL. Quand Laurent Gbagbo va conquérir le pouvoir en octobre 2000, le groupe Bouygues va faire le dos rond.

Sa mainmise sur les secteurs de l’eau et de l’énergie électrique, ses ambitions dans d’autres secteurs des services, avaient été, dans les années 1990, un cheval de bataille du FPI (Bédié, président de l’Assemblée nationale, n’avait pas été en reste). Or, la concession accordée à CIE en 1990 expirait le 20 octobre 2005. Dans une conjoncture dégradée (c’est un euphémisme), la reconduction du contrat liant le groupe Bouygues à l’Etat ivoirien était un indicateur du rapport de force entre Abidjan et Paris. Gbagbo arrivait, lui aussi, en fin de son mandat légal et attendait « quelque chose de l’Elysée ». D’abord, la neutralité de la France dans le débat politique ivoirien. Et quelques avantages sonnants et trébuchants.

Le contrat sera renouvelé le mercredi 12 octobre 2005, pour quinze ans, au palais présidentiel, lors d’une cérémonie officielle à laquelle participaient Gbagbo et Olivier Bouygues qui saluera « un vrai partenariat extrêmement engageant ». « Engagez-vous, rengagez-vous », c’était d’ailleurs le mot d’ordre des responsables politiques ivoiriens à l’égard des investisseurs français. Et Paul-Antoine Bohoun Bouabré, « l’argentier » du régime Gbagbo, ne sera pas le dernier à tenir ce langage. Il avait qualifié le contrat avec Bouygues de « léonin » et disait que « le reconduire dans les mêmes termes serait irresponsable de notre part ». Il ajoutait que Zadi Kessy considérait, lui aussi, « qu’il fallait faire quelque chose ». Ce sera fait le 17 octobre 2005 : 15 % du capital de CIE sera cédé à l’Etat ivoirien. Et pour l’occasion, Martin Bouygues aura fait le déplacement à Abidjan. Pour le groupe français, après une longue guérilla menée par le régime Gbagbo contre ses positions acquises dans l’économie ivoirienne, c’était l’occasion de revenir sur un marché dont chacun espérait le redémarrage.

La conjoncture n’était pas alors favorable aux projets d’équipement et d’infrastructures. La victoire de Ouattara à la présidentielle 2010 va redonner du cœur à l’ouvrage au groupe français. Martin sera, bien sûr, de la fête lors de la prestation de serment du nouveau président de la République. Deux ans plus tard, il était de retour à Abidjan, ce lundi 6 mai 2013, pour une audience avec ADO. Le groupe Bouygues est présent dans bien des projets de la Côte d’Ivoire nouvelle : le 3ème pont (dédié à Bédié), le port (avec le groupe Bolloré notamment), des routes et des autoroutes, des bâtiments… Mais le patron de Bouygues n’est pas venu les mains vides : il a annoncé la « réouverture » de la SETAO, société historique de Bouygues en Côte d’Ivoire, le « redémarrage » de ETDE (qui devient Bouygues énergies & services) et, cerise sur le gâteau, un investissement de plus de 1 milliard de dollars pour un projet « important et lourd » sur le bloc CI-27 qui permettra à son groupe d’être « capable de produire, au moins pour les dix ans à venir, une quantité de gaz suffisante pour assurer les besoins de la Côte d’Ivoire et produire de l’énergie électrique ». « Le communisme, c’est les Soviets + l’électricité » disait Lénine. L’émergence, serait-ce les vieux copains + l’électricité ?

* Diplômé de l’Ecole nationale supérieure du pétrole et des moteurs, Olivier Bouygues a été celui qui a propulsé le groupe dans le secteur énergétique. Au sein de Bouygues Offshore, il a été le directeur de Boscam, sa filiale camerounaise. C’est en 1992
qu’il a été nommé directeur de la Division générale services (DGS) et vice-PDG de SAUR dont il deviendra PDG en avril 1997. Depuis 2002, il est directeur général délégué du groupe Bouygues et directeur général de SCDM qui rassemble les parts
de la famille Bouygues dans les sociétés du groupe.

** Il ne faut pas oublier qu’au cours du week-end du 16 au 18 février 1990, c’est de l’EECI qu’est partie la contestation qui a abouti aux réformes politiques et sociales qui ont bouleversé la Côte d’Ivoire. Ce week-end-là, le pays était plongé dans le noir et la chaleur à la suite de multiples coupures d’électricité. Pendant des semaines, puis des mois, il faudra négocier pour éviter une grève générale du personnel et la perspective d’une privatisation d’EECI, via la création de CIE, décidée en conseil des ministres le 22 août 1991.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

Lire aussi : Martin Bouygues revient sur ses traces en Côte d’Ivoire (1/2)

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