LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Union européenne : Accompagner l’émergence de l’Union africaine

Publié le mardi 4 janvier 2005 à 11h13min

PARTAGER :                          

A la faveur d’un voyage d’études en France à la mi-novembre 2004, un groupe de journalistes du Burkina a fait un tour au siège de l’Union européenne à Bruxelles.

A la représentation française, l’équipe a pu rencontrer plusieurs personnalités au nombre desquelles, M. Nicolas Kerleroux, du service/presse du secrétariat général du Conseil. Avec lui, les échanges ont porté sur la politique étrangère de l’Union envers l’Afrique.

Sidwaya (S.) : A travers quels mécanismes s’est construite la politique étrangère de l’Union européenne ?

Nicolas Kerleroux (N. K.) : En résumé rapide, nous avons commencé par des déclarations, des démarches conjointes, etc. En 2004, nous sommes arrivés à une maturité de politique étrangère qui se traduit non plus par des déclarations mais par des actes et des coopérations militaires. Le premier développement le plus significatif a été la nomination d’un monsieur "melting pot", une personne chargée de représenter l’Union sur la scène internationale. Cette personne a pour mission de soigner la visibilité et la continuité de la politique européenne sur la scènne mondiale. Le deuxième grand développement, est la mise en œuvre d’une politique de sécurité et de défense qui était déjà prévue depuis 5 ans. Cette politique de l’Union se donne pour objectif non seulement d’avoir une diplomatie, une politique étrangère mais aussi de se doter de la capacité d’agir dans la gestion des crises (civiles ou militaires). Maintenant, nous sommes à une période où on a déjà lancé plusieurs opérations, civiles comme militaires. La planification, la conduite et la supervision de ces opérations sont assurées par le Conseil européen (Bruxelles). Il y a cinq (5) ans l’institution était civile. Actuellement, l’Union a mis en place un comité militaire et un Etat-major (militaire). Environ 130 militaires venus des différents Etats membres sont détachés au Conseil (Bruxelles). Nous avons lancé des opérations militaires en 2003. La première opération militaire a eu pour cadre les Balkans en Macédoine. En été dernier, a eu lieu la 2e opération militaire, dénommée "Opération Athemis..." en République Démocratique du Congo. L’Union s’apprête à lancer la plus grande opération qui sera la reprise des activités de l’OTAN en Bosnie-Herzégovine. Pour cette opération l’Union enverra 7000 hommes. Elle sera la plus grande opération entreprise par l’Union.

S. : Qu’est-ce que l’UE peut apporter à l’Afrique dans ce domaine ?

N. K. : Dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité, l’UE essaie d’accompagner l’émergence de l’Union africaine (UA). Nous avons historiquement soutenu aussi les organisations sous-régionales comme la CEDEAO. L’Union européenne étant elle-même une organisation multilatérale, elle a toujours tendance à promouvoir les organisations-sœurs d’autres continents (Amérique latine, Afrique).

L’action de l’UE est avant tout une action de soutien à la mise en place d’une architecture continentale, de paix et de sécurité en Afrique. Le soutien est à la fois politique, financier et militaire.

S. : Pouvez-vous nous citer quelques exemples ?

N. K. : Nous pouvons prendre l’exemple du Darfour (Soudan) qui est un sujet fortement d’actualité. Sur ce sujet, nous avons soutenu l’Union africaine. D’abord en l’assistant dans la médiation qu’elle a entreprise. Notre Union a envoyé du personnel à "la mission d’observation au Darfour" initiée par l’UA. Je pense notamment au vice-président de la Commission cessez-le-feu qui est un Européen. A Addis Abeba, nous avons aussi envoyé des planificateurs au quartier général de l’Union africaine pour assister cette institution dans la planification de ses opérations. Enfin, on a envoyé une dizaine d’observateurs militaires européens qui sont déployés conjointement avec des observateurs africains.

Au niveau financier l’Union européenne assure à la fois le soutien politique-humanitaire, et opérationnel dans la résolution des crises. Nous avons fourni plus de 300 millions d’euros pour le Darfour et très récemment on a débloqué 80 millions d’euros sur un nouvel instrument qu’on appelle la "Peace initiative of Africa", un instrument financier, spécifiquement destiné à soutenir les initiatives de paix en Afrique sur le budget communautaire.

Pour le Soudan notre action n’a pas consisté à envoyer des troupes européennes. Il s’est agi de soutenir l’UA dans ses propres opérations de maintien de la paix. On a déployé quelques personnels mais en nombre réduit. Il était également question d’envoyer des policiers sur demande de l’UA.

S. : Quels sont les axes de coopération avec l’UA ?

N. K. : L’autre grand axe de l’action de l’UE en Afrique, est la conduite des opérations de l’Union en tant que telle. Donc, là il ne s’agit plus de soutenir un acteur mais il s’agit avec un mandat de l’ONU de rétablir une situation quelconque. L’exemple à ce jour est "Arthemis..." spécialisé à renforcer la Mission des Nations unies au Congo (MONUC) dans la région de L’Iturie à l’Est du Congo où la MONUC n’arrivait plus à faire face à la situation. Ainsi, le secrétaire général des Nations unies a demandé aux Européens de s’engager . Nous avons rapidement monté une opération qui a permis de faire le pont entre la MONUC1 et la MONIC 2 renforcée. Pour cette opération, on a utilisé ce qu’on appelle le concept de "nation cadre", plutôt que lieu de convoquer une conférence de participants, de demander qui peut faire quoi dans telle ou telle opération. La conférence de participants pourra durer plusieurs mois alors que le "concept de nation cadre" permet d’obtenir des résultats rapidement. Dans cette opération la France a été la première à apporter les moyens logistiques et à fournir la plus grande partie des troupes sur le terrain. Les Français ont été rejoints par des Suédois, des Belges, des Allemands, etc. L’opération a été gérée, conduite depuis Bruxelles, par le Conseil, notamment le Comité de sécurité de l’UE. C’est une mission généralement reconnue comme couronnée de succès. Une mission dont les objectifs sont bien définis et qui a permis à l’ONU de reprendre pied au Congo. C’est un modèle "ARTEMIA.." qui reste d’actualité parce qu’on cherche à moderniser ce type de modèle et à le prendre comme référence pour d’autres missions. On cherche notamment à développer ce qu’on appelle le regroupement tactique qui sert de pont à 1500 hommes. Ces derniers sont surtout déployables très rapidement sur une longue distance et sont capables de faire face aux environnements très hostiles. Nos militaires, nos politiques travaillent actuellement sur cette sorte de regroupement tactique parce qu’il s’agit maintenant pour les Européens de mettre l’accent sur la déployabilité des forces. Nous avons tous hérité de la guerre froide des armées qui sont positionnées et assez statiques en attendant une attaque possible. La transformation de ce modèle a donné un modèle beaucoup plus rapidement déployable sur une grande distance. Cependant, les transformations ne sont pas encore terminées, elles sont en cours. Il est possible que dans un avenir proche on retrouve ces types de mission en Afrique. Par ailleurs, on est en train de préparer également une mission de soutien à la police à Kinshasa. Il y aura une mission de formateurs policiers pour aider au renforcement de la sécurité en Afrique.

S. : Y a-t-il un accompagnement politique à toutes ces actions ?

N. K. : On a un dialogue UE-Afrique bien rodé. En effet, nous avons des rencontres ministérielles avec les organismes sous régionaux de l’Afrique (CEDEAO, SADEC, etc). On a aussi des instruments de diplomatie entre les deux continents. Par exemple le représentant spécial de l’UE pour les Grands Lacs chargé de représenter l’Europe dans la région. Le défi pour l’Europe est de faire face à ces opérations. Pour "Arthemis" nous avons constaté un déficit, en matière de transport stratégique, c’est-à-dire que l’Union n’a pas assez d’avions gros porteurs pour amener les troupes, la logistique et le matériel sur les théâtres des opérations lointains. Pour cela les Européens sont obligés de louer des avions à la Russie. Il faut qu’au niveau industriel, on travaille pour avoir des solutions à long terme. Un avion gros porteur est en construction et pourrait être disponible à l’horizon 2010. Ce gros porteur améliorera les capacités européennes de transport des troupes sur des théâtres d’opérations lointains. On a des déficits capacitaires dans l’un et l’autre. Mais il y a un processus permanent pour tenter de combler les lacunes capacitaires de la défense européenne. Un élément important dans notre contexte est aussi le lancement de l’ Agence européenne de défense, créée le 12 juillet dernier. L’Agence est en train de se bâtir. Elle va essayer de coordonner les efforts des Européens pour qu’ils se dotent des capacités afin de soutenir la politique européenne de sécurité et de défense. Cela permettra d’éviter le double emploi et de bien utiliser l’argent disponible pour la défense européenne afin de contribuer à l’amélioration des capacités . L’autre défi est celui de la cohérence d’ensemble des instruments européens. L’UE s’est dotée progressivement de tout une série d’outils : les instruments de politique étrangère, commerciale, diplomatique et des instruments de gestion de crise politique et civile. Le défi c’est donc d’utiliser ces outils de manière cohérente. Puisque ce sont des outils gérés parfois de manière différente et par des secteurs différents. Ainsi, l’utilisation cohérente de ces outils dans une région donnée peut avoir un impact assez important. C’est ce que nous faisons en Bosnie Herzegovine, dans les Balkans.

Une gestion de crise par la formation de la police et une gestion militaire de crise avec la reprise des opérations de l’OTAN. Toute proportion gardée c’est ce type d’opération que nous avons fait en République démocratique du Congo. C’est un défi très important... La future Constitution européenne, si elle est ratifiée, a des dispositions qui permettent d’entrevoir une forte cohérence dans la conception et l’utilisation des instruments de politique étrangère notamment avec les ministres des Affaires étrangères qui vont synthétiser des attributions actuelles de la politique étrangère.

S. : Et la Côte d’Ivoire ?

N. K. : La Côte d’Ivoire est l’exemple d’une opération qui n’est pas européanisée. C’est une opération au départ française et qui est devenue onusienne, regroupant des forces françaises et africaines. L’Union européenne n’a pas vocation à s’occuper de tout cela. Elle n’en a pas la capacité. L’UE, en dehors de ses actions diplomatiques, n’a pas joué un rôle en tant que tel dans la crise ivoirienne ni dans celle de la Sierra Leone. Cependant, il n’y a pas de règle absolue, de modèle préétabli pour l’implication de l’UE dans des opérations de crise.

S. : Le cas du Togo est également d’actualité !

N. K. : Il n’y a pas de règle absolue où on dit que l’UE doit agir ici et non là. Malheureusement il n’y a pas une pénurie de crise. Il y en a beaucoup en Afrique et ailleurs alors que la politique diplomatique et sécuritaire de l’UE est très récente. Elle se bâtit progressivement et a commencé par ce qui représente le défi n°1 pour l’Europe, à savoir la stabilisation des Balkans, région limitrophe de l’UE. Il n’y a pas un calendrier établi des actions européennes au monde. Du reste, chaque crise a ses spécificités, son histoire propre.

S. : Pensez-vous qu’une organisation comme l’UE est possible en Afrique ?

N. K. : On observe que l’OUA s’est transformée en UA et nous espérons qu’elle se dote progressivement d’organes nouveaux.

Notamment, elle a un Conseil de sécurité, un commissaire à la paix et à la sécurité, un président de la Commission, Alpha Konaré.

On ne peut pas reproduire à l’identique l’Union européenne en Afrique, chaque continent a ses spécifités.

S. : Mais il semble qu’il y a une volonté de développer une capacité africaine à résoudre les crises étant donné que l’OUA est créée depuis des années.

N. K. : Prenons l’exemple du Darfour, c’est l’UA qui a pris la direction des opérations. Il s’agit d’une opération d’observation de cessez-le-feu relativement modeste qui s’est étendue par la suite. L’UE a fourni à l’Union africaine une aide logistique et financière. En tant qu’organisation multilatérale il est logique que notre Union ait des affinités avec d’autres organisations sœurs qui désirent aussi un développement intégré comme le nôtre. On a l’impression depuis Bruxelles qu’il y a une volonté de renforcement des instruments de l’UA pour la gestion des crises. Mais cette impression est fausse. L’UA est loin d’avoir un plan de paix intégré ni une capacité d’action sur l’ensemble du continent. Néanmoins, il y a un semblant de volonté de renforcer les capacités de cette organisation.

Propos recueillis par Marceline ILBOUDO

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique