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Alain Bédouma YODA, président du Groupe parlementaire CDP « Si on voulait modifier la Constitution, on n’avait pas besoin de la deuxième chambre »

Publié le lundi 10 juin 2013 à 22h21min

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Alain Bédouma YODA, président du Groupe parlementaire CDP « Si on voulait modifier la Constitution, on n’avait pas besoin de la deuxième chambre »

Depuis mardi 21 mai 2013, la question de l’institution du Sénat comme deuxième chambre du Parlement burkinabè a été tranchée par l’Assemblée Nationale qui a adopté le projet de loi y afférent. Institution censée apporter un plus à la démocratie au pays des Hommes intègres, le Sénat est cependant diversement apprécié des uns et des autres avec une cristallisation des positions au niveau des partis politiques, notamment siégeant à l’AN. Pour mieux comprendre la pertinence, les tenants et les aboutissants de la création du Sénat ainsi que la position du parti majoritaire, le CDP, sur la question, nous avons rencontré le président de son groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Alain Bédouma YODA, avec le verbe facile qu’on lui connaît et le langage accessible, nous entretient ici sur le sujet de l’heure au plan politique au Faso. Lisez plutôt.

La loi sur le Sénat a été adoptée le mardi 21 mai 2013. Comment avez-vous vécu les travaux en séance plénière qui ont abouti au vote de cette loi ?

Alain Bédouma YODA (ABY) : Il serait bon de vous rappeler qu’avant que le texte n’aille en plénière, il y a eu bien évidemment les travaux de commissions. Dans les commissions, le travail s’est fait normalement. Comme à l’accoutumée, c’était l’occasion pour les députés d’apporter leurs amendements, de poser des questions au gouvernement et, par groupe parlementaire, de discuter des questions qui posent problème. C’était aussi l’occasion de voir les points sur lesquels on peut faire des concessions nécessaires pour que ce soit une loi qui représente les avis des députés de toute l’Assemblée nationale. Evidemment, il y a des députés qui ont boycotté ces travaux en commissions. C’est leur droit ; mais je dirai que ces comportements ne rendent pas service à la démocratie.

Le microcosme politique national et le monde associatif de la société civile s’entredéchirent actuellement sur la création du Sénat. Quelle lecture faites-vous de cette montée d’adrénaline ?

ABY : Je voudrais vous dire que ce n’est pas une montée d’adrénaline subite. Si vous vous souvenez bien, après le CCRP, il y a eu les Assises régionales et nationales ainsi que la remise des conclusions consensuelles et non consensuelles du CCRP au Président du Faso qui a pris solennellement la décision de faire appliquer les propositions consensuelles. Vous vous souviendrez aussi que depuis que le CCRP a été lancé, il y a un certain nombre de partis politiques de l’opposition, les mêmes, et certaines associations de la société civile qui étaient contre l’idée du CCRP en disant que rien n’en sortirait.

Malheureusement pour eux, comme vous l’avez constaté, les questions sur lesquelles ils pensaient qu’il y aurait forcing n’ont pas connu de forcing. Au CCRP, c’est lorsqu’une proposition n’a pas connu d’opposition expresse, qu’elle était considérée comme un point consensuel. En conséquence, je pense qu’on a voulu créer artificiellement une montée d’adrénaline mais, en vérité, on connaissait les positions des uns et des autres avant que le projet de loi n’arrive devant l’Assemblée nationale.

Dans une république, chacun joue son rôle que ce soit l’opposition, la majorité ou la société civile. De même, les institutions de la république fonctionnent au regard de ce que la Constitution a donné comme prérogatives à chacun, En l’occurrence, il n’y avait plus qu’une mise en œuvre d’une réforme constitutionnelle qui a été votée en juin 2012, juste après les conclusions consensuelles du CCRP. Il est donc tout à fait compréhensible que ceux qui avaient boycotté le CCRP continuent dans leur attitude. Mais comme notre groupe parlementaire l’a relevé, c’est une erreur politique. Parce que, s’ils avaient été au CCRP, les points sur lesquels ils n’auraient pas été d’accord, n’auraient pas été consensuels. Et il n’y aurait pas eu de mise en œuvre.

Maintenant que la réforme constitutionnelle a eu lieu, on ne pouvait plus ne pas mettre en œuvre ce que notre loi fondamentale a décidé. J’ajoute que le débat était faussé dans la mesure où dans les propositions consensuelles, il y a eu par exemple l’obligation de renforcer le pouvoir du Parlement en équilibrant davantage les pouvoirs exécutif et législatif. C’est en ce sens que lorsqu’un Premier ministre est nommé, il doit faire une déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale qui est suivie de débats et de vote. Et il faut que cette déclaration soit adoptée par la majorité des députés pour que sa nomination vaille investiture.

C’est ainsi que vous avez dû remarquer qu’à la dernière déclaration de politique générale, l’opposition a saisi l’occasion de façon goulue pour apprécier ou critiquer. Mais c’était tout à fait normal. Cependant, s’il faut reconnaitre que ce sont des réformes consensuelles qui ont abouti à cette possibilité, il faut également qu’on accepte que les autres réformes consensuelles qui sont dans la Constitution puissent être mises en œuvre. Pour nous donc, ce n’est pas une montée d’adrénaline brusque. C’est une chose qui a été préparée de longue date et qui, malheureusement pour l’opposition, était une erreur de départ avec le fait de n’avoir pas participé aux travaux du CCRP.

Mais la position de votre partenaire, l’ADF/RDA, qui a voté contre le projet de loi, semble pour le moins un pied de nez. Comment vous l’expliquez ?

ABY : C’est une question qui devrait être posée à l’ADF/RDA. Comme vous le savez, l’ADF/RDA a participé aux travaux du CCRP et donc à la prise des propositions et des recommandations consensuelles. Elle a également voté la loi constitutionnelle qui institue un Sénat et d’autres réformes qui figurent dans la Constitution. Il était donc pour le moins étonnant pour nous que l’ADF/RDA refuse de voter pour la mise en œuvre de la deuxième chambre du Parlement. Cela étant, nous pensons que c’est son droit le plus absolu sur le plan politique. La majorité est plurielle, il y a des fois où on peut s’entendre et il y a des moments où on ne peut pas s’entendre. Ce que l’on peut simplement dire c’est que cette position ne donne pas à l’opinion une lecture d’une constance politique. C’est ce qui est un peu regrettable.

Leurs critiques portent, entre autres, sur la non prise en compte des jeunes. Que répondez-vous ?

ABY : C’est comme je viens de vous l’expliquer. Au CCRP, il y a eu des discussions et des propositions consensuelles dont les projets de lois qui viennent a l’Assemblée sont le fruit . Ils étaient là et ils étaient d’accord. Ils ne découvrent donc pas brusquement les composantes du Sénat. Bien que comparaison ne soit pas raison, je voudrais vous rappeler que lors des élections municipales et législatives passées, les partis avaient largement la possibilité de faire représenter les jeunes. Je ne néglige pas ce que chacun a essayé de faire mais si vous regardez parmi les députés c’est notre parti qui a le plus de femmes, presque 30%, et le plus de jeunes. Il ne me semble donc pas crédible, après avoir participé aux travaux du CCRP, après avoir bien vu que cette décision consensuelle ne concernait qu’un certain nombre de catégories de personnes, et venir à l’Assemblée nationale se prévaloir de cet argumentaire pour ne pas voter la deuxième chambre du Parlement. Je pense qu’il doit y avoir d’autres raisons que seul le parti en question pourrait vous donner.

Selon le CGD, une enquête par sondage qu’il a lui-même dirigé indiquerait que seulement 23% des Burkinabè sont favorables à la création du Sénat. Qu’en dites-vous ?

ABY : J’ai beaucoup de respect pour le CGD. Je pense que c’est une association qui essaye d’animer la vie sociale et politique au Burkina Faso. Mais, à moins que je ne sois pas bien informé, il ne me semble pas que le CGD soit un institut de sondage. D’ailleurs, nous allons probablement, au cours de cette législature, proposer une loi sur les instituts de sondage afin qu’ils soient reconnus comme tels avec des éléments scientifiques bien déterminés car, il serait bon, compte tenu de l’évolution du Burkina Faso, qu’il y ait une législation qui clarifie cette question afin que des instituts de sondage puissent être créés avec des règles que tout le monde connaît. De ce fait, lorsque les résultats seront publiés, évidemment ce sera sur des bases scientifiques que personne ne peut contester.

Cela étant, j’ai appris comme vous ce qui a été publié par le CGD et je vous renvoie à ce que je viens de dire sur la question de l’institut de sondage.

Ceux qui s’opposent à la création du Sénat invoquent les questions de coûts et d’opportunité. N’y voyez-vous pas tout de même quelques raisons objectives ?

ABY : D’abord, sur la question du coût, il n’y a pas une institution de la république qui ne coûte pas de l’argent. L’Assemblée nationale coûte de l’argent, le Gouvernement coûte de l’argent, la Justice coûte de l’argent. Je vous rappelle également que la presse coûte de l’argent, de même que les partis politiques et le Chef de file de l’Opposition, etc., en ce sens qu’ils bénéficient de subventions de l’Etat. Si on veut que rien ne coûte, il n’y aura pas d’institutions de la république. S’il n’y a pas d’institutions, la république elle-même n’existera pas. Et si la république n’existe pas, je ne sais pas dans quel Etat nous serons. C’est vrai qu’on peut se poser des questions sur le coût mais nous nous sommes engagés dans un système démocratique qui impose d’avoir des institutions de la république. J’aurais souhaité qu’on se pose des questions sur le plus que va apporter le Sénat. C’est vrai que nous sommes dans un pays pauvre où on doit faire attention à tout ce qui doit coûter comme argent aux citoyens lambda. Mais je pense que nous nous sommes engagés aussi dans un processus démocratique d’amélioration continue.

Quant à la question d’opportunité, il y a eu 3500 personnes qui ont été consultées sur un éventail large de questions dont les réformes politiques. Ces 3500 personnes ont représenté les communautés coutumières et religieuses, les syndicats, la société civile, les partis politiques, les jeunes, la diaspora ... pour ne pas dire toutes les couches sociales du pays. Ces 3500 personnes ont estimé que c’était bon d’avoir une deuxième chambre au Parlement. Ce souhait a été pris en compte dans la constitution en juin 2012. A partir de ce moment, on ne discute plus de la question de l’opportunité puisque ce serait quand même ne pas considérer ces représentants de toutes les couches sociales du Burkina d’une part, de la loi constitutionnelle d’autre part. De toutes les façons, dans une république, il y a toujours des problèmes à gérer. Mais, il me semble qu’il est beaucoup plus indiqué de voir dans quelle mesure on peut faire en sorte que les institutions que nous mettons en place apportent toujours un plus à notre jeune processus démocratique.

Justement, en quoi le Sénat va-t-il apporter un plus à notre démocratie ?

ABY : Vous savez bien qu’actuellement c’est l’Assemblée nationale seule qui vote les lois. Alors qu’à l’Assemblée nationale, ce sont des représentants des partis politiques qui sont élus au niveau des populations compte tenu du fait que notre système politique est partisan. Vous savez que dans un système partisan, il n’y a que les partis politiques qui décident. Alors, la deuxième chambre du Parlement va apporter un plus en ce sens qu’on aura des personnes qui ne sont membres d’aucun parti, il y aura également des personnes qui ont une certaine expérience de la vie ou qui ont une certaine culture de toute nature.

En faisant appel aux coutumiers, aux religieux, aux syndicats, aux politiques, à la société civile, à la diaspora... pour constituer le Sénat dans les proportions qui ont été indiquées, ils auront une distance que les partis politiques n’ont pas forcément. Ce sont des personnalités qui seront dans des composantes bien précises et qui ont une vision de notre processus démocratique, de notre économie et de notre vie sociale. Comme cela a été dit au CCRP et ailleurs, nous pensons que c’est de cette façon qu’on peut avoir beaucoup plus de sérénité pour discuter des propositions et des projets de lois qui pourraient plus correspondre aux attentes des populations puisque l’aspect partisan sera tempéré.

A partir du moment où nous aurons d’autres composantes de la société qui seront moins partisanes, plus empreintes à considérer la volonté des populations à la base, je pense que cela apporte énormément à la loi qui sera beaucoup plus polie, sereine et concentrée sur les préoccupations des populations. Par ailleurs, le fait que les collectivités territoriales vont participer au Sénat, beaucoup de leurs problèmes concrets seront pris en compte. En toute objectivité, il me semble que nous avons beaucoup plus de chance d’améliorer notre processus démocratique avec une deuxième chambre moins politique et moins partisane que l’Assemblée nationale qui, du reste, continuera de faire son travail.

Certains, pour ne pas dire tous ceux qui sont contre la création du Sénat, disent qu’en réalité il y a, derrière, la modification de l’article 37. Que leur répondez-vous ?

ABY : L’article 37 a été discuté au CCRP et il n’y a pas eu de consensus. Le Président du Faso s’est engagé à ne faire mettre en œuvre que les propositions consensuelles. Du reste, a contrario, je voudrais vous faire comprendre que si on voulait modifier la Constitution, on n’avait pas besoin de la deuxième chambre. L’Assemblée nationale en votant la loi constitutionnelle de juin 2012 l’a fait avec une majorité qualifiée dont on avait besoin. De plus, il y a d’autres voies pour modifier. En fait, ce sont nos contempteurs qui pensent qu’on a besoin d’une autre structure pour modifier l’article 37 mais ils oublient que les modifications consensuelles ont été faites sans la deuxième chambre. Je pense donc que c’est une mauvaise compréhension de croire que le Sénat est mis en place pour pouvoir modifier la Constitution. C’est une fausse liaison parce que sans le Sénat nous avons fait des modifications constitutionnelles. Ce n’est vraiment pas l’objectif. Si c’était l’objectif, on l’aurait dit. On peut reprocher tout ce que l’on veut au chef de l’Etat parce qu’on est de l’opposition mais on ne peut pas dire que c’est quelqu’un qui ne tient pas parole.

Alors, quel message pouvez-vous adresser aux Burkinabè en ces moments où ceux-ci se posent beaucoup de questions sur l’avenir de la paix sociale qui est menacée ?

ABY : Je voudrais d’abord dire à vos lecteurs qu’ils soient convaincus que le Sénat viendra approfondir notre processus démocratique, que la Constitution a déjà été modifiée dans ce sens et que nous sommes conscients qu’il est de notre devoir de mettre en œuvre ce que la Constitution a prévu. Ce sont les raisons qui justifient que cette deuxième chambre soit mise en œuvre. Ensuite, vous savez que chacun a souffert dans sa chair les problèmes qu’on a vécus en 2011. Que l’on soit commerçant, homme politique, syndicaliste, étudiant ou élève, simple passant ou touriste... chacun a vécu des moments douloureux. Je pense qu’il n’est pas de l’intérêt du Burkina de retomber dans cette situation. Il est constant que lorsque les explications complètes ne sont pas données, les gens se posent des questions. C’est légitime.

Mais je réaffirme que la mise en œuvre du Sénat est une décision consensuelle de plus de 3500 personnes et qui tend à approfondir notre processus démocratique. Avant, il n’y avait pas d’Assemblée nationale et c’est grâce à la Constitution de juin 1991 que nous avons maintenant une Assemblée nationale, des contrepouvoirs comme la presse, la société civile. Tout cela, c’est parce que l’Etat existe. Le jour où ces structures ou ces institutions ne seront pas là, ce sera la loi de la jungle et je crois que personne n’a intérêt à ce qu’on en arrive là.

Les derniers événements dans des pays de la sous-région nous montrent bien qu’on a intérêt à ce que notre paix sociale ne soit pas vendue à vil prix. C’est quand on ne l’a plus qu’on se rend compte que la paix sociale est extrêmement importante pour un pays.

Mais la décision de l’ADF/RDA de voter contre la loi sur le Sénat n’ouvre-t-elle pas une boîte de pandore quant au respect des décisions consensuelles prises au sein du CCRP ?

ABY : Il me semble, sans être de l’ADF/RDA, que cette décision de ne pas voter une proposition consensuelle qui est sortie du CCRP auquel ce parti a participé est purement conjoncturelle. Je voudrais cependant vous demander de vous approcher peut-être de l’ADF/RDA pour savoir si elle n’a pas ouvert la boite de pandore sinon je ne saurais répondre à cette question. Ce que je puis dire, c’est que je pense que les décisions consensuelles qui ont été prises au niveau du CCRP vont continuer à être mises en œuvre. Je crois et j’ai confiance au chef de l’Etat qui a pris cet engagement.

Drissa TRAORE
L’Opinion

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