LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Taipei nomme un nouvel ambassadeur à Ouagadougou, promoteur en Afrique de la « diplomatie pragmatique ».

Publié le lundi 22 avril 2013 à 22h49min

PARTAGER :                          
Taipei nomme un nouvel ambassadeur à Ouagadougou, promoteur en Afrique de la « diplomatie pragmatique ».

La relation entre Taipei et Ouagadougou n’est pas une relation neutre. Loin de là. Blaise Compaoré, le président du Faso, aime à dire qu’elle est l’expression de la souveraineté de son pays : c’est un choix auquel le Burkina Faso, jusqu’à présent, reste fidèle (malgré les critiques de l’opposition*). Cette relation aura vingt ans l’an prochain (le 2 février 2014) et, compte tenu de son ampleur, se développe manifestement à la satisfaction des deux parties. Taipei est devenue une destination significative en Asie pour la présidence du Faso, le gouvernement et la diplomatie burkinabè. Taïwan n’est pas en reste : le président Ma Yin-jeou était en visite d’Etat au Burkina Faso voici tout juste un an (8-11 avril 2012).

Illustration de cette fructueuse relation chino-burkinabè : la nomination de Bruno Shen Cheng-hong comme ambassadeur au Burkina Faso. Pas encore quinquagénaire (il est né en juillet 1964), titulaire d’une licence en lettres décrochée au département de langue française de l’université catholique Fu Jen de New Taipei**, c’est un diplomate d’expérience qui a été en poste au Sénégal (Dakar, depuis, a basculé du côté de Pékin) et à Sao Tomé & Principe avant d’être nommé directeur adjoint des Affaires africaines et Ouest-asiatiques au ministère des affaires étrangères (actuellement dirigées par David Wang).

Je rappelle que 23 pays seulement ont maintenu des relations diplomatiques avec Taïwan dont 4 en Afrique : Burkina Faso bien sûr, Gambie, Sao Tomé & Principe et Swaziland. Shen Cheng-hong a présenté les copies figurées de ses lettres de créance le mardi 9 avril 2013 à Djibrill Y. Bassolé, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, prenant ainsi officiellement service. C’est aujourd’hui, vendredi 19 avril 2013, qu’il a été reçu par le président du Faso pour présenter ses lettres de créance (une cérémonie à laquelle ont participé cinq autres nouveaux ambassadeurs : Australie, Espagne, Japon, Luxembourg, Thaïlande).

Shen Cheng-hong n’est pas un inconnu au Burkina Faso. Depuis plus de douze ans, il est venu en visite, chaque année, à Ouagadougou. Il avait présidé la cérémonie d’ouverture et de clôture du camp « Découvrir Taïwan 2010 »*** qui visait à faire connaître l’île de la mer de Chine à des jeunes venus d’horizons divers, dont des Burkinabè. A cette occasion il avait insisté sur deux aspects de la diplomatie taïwanaise. Tout d’abord cette fameuse « diplomatie pragmatique » menée depuis plus de trente ans par Taipei mais qui a pris une ampleur particulière depuis l’accession au pouvoir de Ma Yong-jeou. « Comme vous le savez, expliquait alors Shen Cheng-Hong, notre grande difficulté avec les autres pays est liée au « Grand Frère » : la Chine populaire ».

La « diplomatie pragmatique » vise donc à créer un cadre apaisé de coopération économique et commerciale entre Taïwan et la Chine continentale dans la perspective d’une cohabitation des deux systèmes politique, social et économique. Une approche qui n’est pas sans rappeler le slogan de Pékin au sujet de Hong Kong et de Macao, formulé dès 1997 par le président Deng Xiaoping : « Un pays, deux systèmes ». Pékin aussi sait être pragmatique. En 2010, dans un entretien avec Théodore Zoungrana (Hebdomadaire du Burkina – jeudi 2 septembre 2010), Shen Cheng-hong ne cachait pas que la perspective d’une réunification n’était pas à l’ordre du jour, 70 % de la population souhaitant le « statu quo ».

L’autre aspect sur lequel insistait Sheng Cheng-hong est la nécessité de fonder le développement sur l’éducation. « S’il n’y a pas d’économistes, de techniciens, de professeurs, de médecins, de journalistes, bref d’intellectuels de diverses compétences, c’est quasiment difficile de développer un pays […] Comme nous ne sommes pas trop peuplé, nos parents ont mis toutes les ressources familiales dans l’éducation des enfants si bien que, de l’école élémentaire au collège jusqu’à l’université, l’envie de se cultiver est innée chez nous. Même les travailleurs continuent de se perfectionner en suivant continuellement des cours dans des hautes écoles. Pour nous l’éducation s’entend sur toute la vie. Elle n’est pas temporelle ».

A Ouaga, Sheng Cheng-hong prend la suite de Zhang Ming-Zhong qui y avait débarqué le 22 octobre 2009 (prenant lui-même la suite de Tao Wen-lung). Il avait déjà séjourné au Burkina Faso en 1997. Le 25 mars 2013, il a été reçu par Blaise Compaoré pour sa visite de départ. Au cours de son séjour, il aura mis l’accent sur la formation professionnelle (son cheval de bataille), le riz pluvial, la réalisation de l’hôpital national Blaise Compaoré, l’introduction de l’énergie solaire (les énergies renouvelables ont été au cœur du déplacement à Taïwan, à la mi-avril 2013, du ministre des Mines et de l’Energie, Salif Lamoussa Kaboré)... Au total, 22 projets de coopération sont en cours de réalisation. Au cours du séjour de Zhang Ming-Zhong (parrain de la promotion 2012 de l’Institut des hautes études internationales de Ouaga) au Burkina Faso, le président Ma Ying-jeou s’est rendu dans la capitale (et à Koudougou), du 8 au 11 avril 2012, à l’occasion d’une visite aux Etats africains avec lesquels son pays entretient des relations diplomatiques. Zhang Ming-Zhong a quitté le Burkina Faso après avoir rappelé, le 21 mars 2013, que « nous sommes tous des acteurs du développement, quelle que soit notre activité ».

La relation entre Taipei et Ouaga n’est comparable à aucune autre. Pas seulement pour des raisons géopolitiques ou strictement économiques mais également pour des raisons culturelles qui prennent en compte l’adéquation entre l’homme et son milieu naturel (Filippe Savadogo, plus qu’aucun autre, peut en témoigner). Reste que la question qui se pose est celle de la pérennité de cette relation. Taipei ne maîtrise pas totalement son destin. Pékin n’oublie pas qu’elle est une île chinoise. Et la désignation à Pékin, le 16 mars 2013, comme ministre des affaires étrangères, de Wang Yi, ancien ambassadeur à Tokyo (2004-2007) mais également chargé des affaires taïwanaises (2008-2013), laisse penser que Taïwan pourrait être, plus que jamais, une variable d’ajustement de la diplomatie chinoise à l’égard de « l’Occident », un « Occident » auquel appartienne, vus d’Asie, le Japon, la Corée du Sud et Taïwan.

* On se souvient du débat provoqué par la tribune de Zéphirin Diabré, président de l’UPC et aujourd’hui nouveau « chef de file
de l’opposition », publiée dans Le Pays daté du mardi 30-mercredi 31 août 2011 dans laquelle Diabré appelait
à « la nécessaire refondation » de la diplomatie burkinabè soulignant notamment l’inanité d’une relation avec Taipei
au détriment de Pékin, la République populaire de Chine étant « la deuxième puissance économique et financière
du monde ». L’ambassadeur Zhang Ming-Zhong n’avait pas manqué de remettre les pendules à l’heure : « En fait,
la différence fondamentale entre les deux rives [du détroit de Taïwan] est qu’à Taïwan, la démocratie est désormais enracinée dans la vie quotidienne. La preuve est que l’alternance politique a eu lieu au cours des années 2000 et 2008. Par contre, la Chine continentale est toujours gérée par un régime autoritaire où l’alternance politique et la liberté d’expression, qui sont deux idéaux chers à votre parti politique, sont étroitement surveillées voire interdites. Ce qui est un fait indéniable ». Il ajoutait par ailleurs : « Il serait juste d’affirmer que l’émergence de l’économie de la Chine continentale est due en partie au moins à l’expérience taïwanaise pour faire développer ses entreprises, et moderniser les lois aux normes dans
le monde, écourtant ainsi sa période de tâtonnement durant son développement national. De ce fait, la République de Chine (Taïwan) est tout à fait qualifiée pour être un partenaire durable et fiable du Burkina Faso ».

** Fu Jen University (FJU) a été fondée en 1925 à Pékin par des Bénédictins américains et a trouvé tout naturellement une terre d’élection à Taïwan après la conquête du pouvoir par les communistes chinois. A l’origine, ancrée dans la philosophie
et la théologie, elle a diversifié ses centres d’intérêts mais continue à former des religieux chinois (notamment originaires
du continent) – c’est un jésuite canadien-québécois qui est responsable de ce département – et s’affirme comme
un centre d’excellence. A noter que les catholiques sont encore une infime minorité à Taïwan : pas plus de 300.000.

*** Une opération animée par l’université privée Shih Hsin (qui possède un département de formation de journalistes
et de communicateurs) et parrainée par le ministère des Affaires étrangères de la République de Chine.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique