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Mali : L’ambassadeur Mohamed Salia Sokona, président de la « Commission dialogue et réconciliation ». Pour complaire à Paris et à Ouagadougou ?

Publié le mardi 2 avril 2013 à 16h10min

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Mali : L’ambassadeur Mohamed Salia Sokona, président de la « Commission dialogue et réconciliation ». Pour complaire à Paris et à Ouagadougou ?

Un retraité de la haute administration, une femme de la société civile, un Touareg originaire de Kidal. Le choix du président et des deux vice-présidents de la « Commission dialogue et réconciliation » illustre la volonté des autorités maliennes de se plier à la règle qu’impose la « communauté internationale » : « faire contre mauvaise fortune bon cœur ».

Autrement dit prendre en compte que Bamako n’est plus, politiquement et diplomatiquement, qu’un théâtre d’ombres et que les ficelles des marionnettes sont désormais tirées à Paris, New York et Bruxelles. Fin de la récréation ; enfin, plus exactement, du chahut politico-militaire. Le général François Lecointre, patron d’EUTM Mali, qui, en bon soldat, n’a pas le goût des circonvolutions qu’affectionnent les diplomates, le dit sans ambages : « Les Maliens […] sont très conscients de la nécessité de reconstruire leur armée, très conscients que la faillite de cette institution a failli entraîner la disparition de leur pays ». « Tout est à reconstruire, dit-il, c’est une armée déstructurée, qui s’est effondrée parce qu’elle souffre de vingt ans de sous-financements systématiques et de la méfiance du pouvoir politique ». Quand on se souvient que l’ancien chef d’Etat « légal », Amadou Toumani Touré, était un officier général, cela oblige à relativiser beaucoup de choses. Et encore, Lecointre n’évoque que la faillite de l’armée ; s’il fallait se pencher sur la faillite de l’Etat malien et de sa classe politique, aïe, aïe, aïe… !

L’EUTM Mali, l’opération de reconstruction et de professionnalisation (on peut rêver) de l’armée malienne, vise à former 3.000 soldats appelés à prendre la suite des 4.000 militaires français déployés sur le terrain depuis près de trois mois et dont le désengagement partiel est annoncé (annoncé mais sans cesse reporté : François Hollande évoque désormais un premier retrait de 2.000 hommes en juillet et les autres d’ici la fin de l’année). Ils vont être « reformatés » par 550 militaires européens (originaires de 23 pays, ce qui ne va pas faciliter la communication) à Koulikoro, sur les rives du fleuve Niger, entre Bamako et Ségou, où une « école militaire » a été implantée et sécurisée par les instances européennes.

Au-delà de leur formation, il faut aussi assurer leur équipement, ce qui ne sera pas la chose la plus simple même si, au cours des opérations menées par l’armée française, une partie significative des stocks des « terroristes » a été détruite. Il se peut, cependant, que des caches soient encore intactes et que les groupes armés aient pensé à réserver quelques surprises pour la période post-française, quand les Maliens seront engagés seuls sur le terrain avec un soutien logistique bien moins efficace que celui mis en action actuellement.

Il suffit de feuilleter les pages du mensuel RAIDS (avril 2013), tout juste sorti des presses, et d’examiner les photos des opérations menées dans le massif des Ifoghas et dans la ville de Gao pour constater le gap technologique qu’il peut y avoir entre l’armée française et une armée africaine, non seulement en matière de puissance de feu mais également de « renseignement ». Bon courage à la relève, si jamais il y en a une… !

Le ton à Paris est à la fermeté. Et Bamako peut bien s’en émouvoir, cela ne saurait perturber l’Elysée et l’hôtel de Brienne. La présence des « occidentaux » au Mali s’inscrit désormais dans le temps. Et dans la soumission. « Nous serons intraitables » a affirmé Hollande à l’adresse de Bamako lors de son intervention télévisée sur France 2 le jeudi 28 mars 2013.

Les Nations unies devraient, dans le cadre d’une résolution prévue mi-avril, transformer la fantomatique MISMA en Minuma bénéficiant de « tous les moyens nécessaires » pour s’imposer sur le terrain : 11.200 soldats et 1.400 policiers. A New York, on souhaite que « le scénario ivoirien » ne se reproduise pas (une force d’interposition qui n’a d’autre but que de permettre aux « politiques » de mener leurs « petites affaires ») ; mais il n’y a pas de garantie que les Maliens soient plus sourcilleux que les Ivoiriens en matière de souveraineté nationale (il y a encore 450 militaires français et un paquet de matériel – avions et hélicoptères – en Côte d’Ivoire plus de dix ans après les « événements du 18/19-septembre 2002 »). Quand le business va, tout va. On parle donc aujourd’hui, au Mali, de « stabilisation ». Et l’implication des « occidentaux » sur le terrain risque de se faire sans nuance. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, ira à New York pour voter cette nouvelle résolution onusienne. Et sera, d’ici la fin de la semaine, à Bamako, pour la mise en place de la « commission dialogue et réconciliation » qui doit permettre, sur le papier, de renouer le contact et le dialogue entre le Sud et le Nord.

Là encore, la Côte d’Ivoire sert d’étalon. La France, dont l’interposition militaire a permis l’accession au pouvoir d’Alassane D. Ouattara, a laissé faire la nouvelle équipe : une commission « vérité et réconciliation » a été mise en place et confiée à un nomenklaturiste du PDCI : Charles Konan Banny, ancien premier ministre qui s’était vu, auparavant, président de la République. Et s’adonne avec délectation à ce qu’il adore : protocole, réceptions, audiences, déplacements nationaux et internationaux… Autant dire que le bilan concret, en matière de « réconciliation », frise le zéro absolu. A Bamako, pas de têtes d’affiche. Un retraité de la haute administration, une femme de la société civile et un Touareg de Kidal. Le retraité n’est pas un total inconnu.

Mohamed Salia Sokona, 66 ans le 19 août prochain, est né à Siguiri, en Guinée. Diplômé de l’ENA, il a rejoint l’administration territoriale (1975-1986) puis entamé une carrière dans les cabinets ministériels (1986-1993). Il a été ensuite délégué général des Maliens de l’extérieur (1994-1997), ministre des Forces armées et des Anciens combattants* (1997-2000), ambassadeur au Burkina Faso (2000-2003) puis en France (2003-2010). Il a été membre de la première commission électorale nationale indépendante en 1997 après avoir participé à l’organisation des premières élections démocratiques dans le pays en 1992. Un parcours diversifié qui ne manque pas de postes de prestige (ministre, ambassadeur). Et lui a permis d’être au contact – diplomatique – avec deux capitales qui comptent dans le dossier malien : Ouaga et Paris. Il était en poste dans la capitale française quand près d’un millier de travailleurs sans papiers (dont 70 % de Maliens) se sont mis en grève en 2008 pour réclamer leur régularisation. Dans une période tendue : Bamako refusait alors de signer les « accords de gestion concertée des flux migratoires » avec Brice Hortefeux, le ministre de l’immigration.

Réservé, organisé, consensuel, Salia Sokona est assisté de deux vice-présidents. Traoré Oumou Touré n’est pas, elle non plus, une inconnue. Elle préside la Coordination des femmes et des organisations féminines du Mali (CAFO) qui regroupe plus de 2.000 associations et ONG. A la tête de la CAFO depuis plus de vingt ans, elle a participé à tous les processus de médiation au Mali depuis la chute de Moussa Traoré. Elle était à Ouagadougou, dans le cadre de la médiation, les 14, 15 et 16 avril 2012, pour refuser la marginalisation des femmes dans le processus, rappeler qu’au côté des « valeurs occidentales » il faut prendre en compte les « valeurs traditionnelles des savoir vivre et savoir faire » et dire qu’il ne s’agit pas de parler pendant des jours « sans jamais prononcer deux notions essentielles : le pardon et la réconciliation ». Enfin, le deuxième vice-président est Méti ag-Mohamed Rhissa, présenté comme un ancien professeur de français qui aurait rejoint le service des douanes, un Touareg malien originaire de la région de Kidal.

* C’était dans le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita formé le 16 septembre 1997. Mohamed Salia Sokona conservera son portefeuille jusqu’au changement de premier ministre (Mandé Sidibé). Le 21 février 2000, c’est donc Soumeylou Boubeye Maiga, ancien chef de la sécurité d’Etat, qui prendra la suite de Salia Sokona.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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