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A la recherche d’un Mali rêvé perdu, Laurent Fabius ne sait plus à quel diplomate se vouer (3/3)

Publié le mercredi 27 mars 2013 à 21h05min

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A la recherche d’un Mali rêvé perdu, Laurent Fabius ne sait plus à quel diplomate se vouer (3/3)

Elisabeth Barbier, Laurent Bigot, Jean Félix-Paganon, Christian Rouyer (cf. LDD Mali 073/Vendredi 22 mars 2013) dégagés en touche. Des diplomates d’expérience qui, tous, ont eu à connaître le dossier du Mali. Au Quai d’Orsay, Laurent Fabius, y a gagné un surnom : « La cravache ». Allusion au stick qu’arboraient les officiers britanniques « au temps des colonies » ou aux pratiques des colons français nostalgiques de la schlague ?

Cette « réorganisation du dispositif diplomatique » français (pour reprendre l’expression du quotidien Le Monde daté du 23 mars 2013) est-elle l’expression d’une volonté d’implication politique de Paris dans la résolution de la crise malienne ? C’est ce que pense Le Figaro (22 mars 2013 – papier de Tanguy Berthemet) qui écrit : « Paris pense de plus en plus à l’après-guerre au Mali […] Au Quai, on reproche à cette équipe d’avoir une approche trop classique de l’imbroglio malien au moment où Paris voudrait peser plus lourdement sur la scène locale en toute discrétion ». Avant le 11 janvier 2013 et l’implication militaire de la France, Paris n’était engagé que dans le soutien à la médiation confiée à Blaise Compaoré par la Cédéao. Et jouait, au sein de l’Union européenne, de l’OTAN et de ses ex-colonies (Algérie comprise), le rôle de facilitateur.

L’intervention militaire sur le terrain a changé la donne. Au départ, il s’agissait de stopper une offensive des djihadistes ; puis, devant la constatation de l’impéritie du système politico-militaire malien, et de l’inertie de la majeure partie des pays membres de la Cédéao, la France s’est impliquée plus qu’elle ne pensait devoir le faire. Dans le même temps, c’est le ministère de la défense et l’armée qui ont eu la main sur le dossier malien au détriment du Quai d’Orsay et des diplomates. Pour Fabius, il s’agit, aujourd’hui, de passer à la vitesse supérieure avec des collaborateurs qui ne trainent pas derrière eux une vision des relations franco-africaines qui n’est pas dans l’air du temps. La politique africaine de Paris semble désormais claire et nette : « Ce que vous n’êtes pas foutu de faire, nous allons le faire pour vous ». De quoi, bien sûr, heurter la sensibilité de ceux qui pensent que, malgré tout*, le Mali est un Etat souverain (même si ses élites politiques et militaires n’en font pas la démonstration, c’est le moins que l’on puisse dire).

Avec le diplomate français Michel Reveyrand, époux de la ministre Marisol Touraine, comme « Monsieur Sahel » à Bruxelles (cf. LDD Mali 071/Mardi 19 mars 2013), Paris est bordé sur sa frontière européenne. Exit donc Christian Rouyer, qui avait pris la suite de Reveyrand à Bamako (cf. LDD Mali 008/Mercredi 26 janvier 2011). Il avait été nommé à ce poste le mercredi 20 janvier 2011 après avoir été détaché dans les fonctions de préfet. Amadou Toumani Touré était entré dans sa dernière ligne droite présidentielle. J’écrivais alors, annonçant cette nomination de Rouyer : « ATT entame sa dernière année au pouvoir. Elle ne sera pas la plus paisible, trop de problèmes nationaux et sous-régionaux étant en suspens. Elle risque fort, s’il reste sur la défensive comme il le fait jusqu’à présent, d’être dommageable pour son bilan. Plus encore si des connexions sont effectivement établies entre l’entourage du chef de l’Etat malien et le clan Gbagbo. L’argent pour les uns, les armes pour les autres. Et les réseaux mafieux pour tous ». ATT a été encore plus nul que je ne le pensais voici deux ans.
Le remplaçant de Rouyer est donc un militaire de carrière : Gilles Huberson. A 52 ans, il a un beau parcours derrière lui, même si les zones d’ombre sont nombreuses.

Officier supérieur, Huberson a été formé au sein de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr dont il est sorti en 1983. Il est également titulaire d’une licence d’histoire et d’un brevet de l’enseignement militaire suprême et a été auditeur de la dixième session (1998-1999) de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI). Ayant rejoint la diplomatie, il a été notamment en poste à Kuala-Lumpur et à Singapour ainsi qu’à Ottawa (2002-2005) en tant que deuxième conseiller. Il sera nommé sous-directeur de la sécurité et de la protection des personnes au Quai d’Orsay (un poste sensible en connexion avec les services français de renseignement et d’intervention), il quittera l’administration pour rejoindre le groupe LVMH – numéro un mondial de l’industrie du luxe – comme directeur des affaires générales, en charge notamment de toutes les opérations liées à la contrefaçon. Huberson est considéré comme un spécialiste des questions liées au terrorisme.

Il s’est également intéressé à la piraterie maritime contemporaine. Le 7 novembre 2009, il avait été nommé conseiller diplomatique de Marie-Luce Penchard, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur (Brice Hortefeux), chargée de l’Outre-mer. Promu conseiller des affaires étrangères hors-classe, il sera détaché, le 1er juillet 2012, auprès de l’ambassadeur de France à Bamako avant d’être nommé à la tête de la mission « Mali-Sahel » (MMS), job pour lequel il était assisté par un colonel et placé alors sous l’autorité du patron de la DAOI (Direction Afrique-Océan Indien). A ce poste, il est remplacé par Véronique Roger-Lacan, une juriste de 49 ans, spécialise de la « défense européenne » et de la coopération civilo-militaire en matière de crise, spécialiste de l’Asie (elle parle Hindi), et qui était, jusqu’alors, sous-directrice de l’Asie méridionale à la direction Asie/Océanie du Quai d’Orsay. Elle a été conseiller technique du secrétaire d’Etat chargé auprès du Premier ministre de l’action humanitaire d’urgence, Xavier Emmanuelli (1996-1997) et conseillère affaires stratégiques et de sécurité au cabinet de la ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes, Michèle Alliot-Marie (décembre 2010-février 2011).

L’incertitude dans laquelle se trouve aujourd’hui la France au Mali, ne sachant plus à quel saint se vouer (et, encore moins, à quel diplomate), était visible à Lyon, voici quelques jours, le 19 mars 2013, lors de la conférence sur le développement du Mali qui a mobilisé quelques ministres français et maliens ainsi que des représentants des ONG, des collectivités territoriales et de la « société civile ». Fabius appelle cela une « diplomatie démultipliée » dont les acteurs seraient les autorités locales, les assemblées parlementaires, les ONG, les entreprises… « A la diplomatie des chancelleries peut et doit s’ajouter une autre dimension de nos relations internationales, sans concurrence de l’une envers l’autre ». Pour lui, « la réconciliation nationale [au Mali] passera par la capacité des autorités locales à assumer leurs responsabilités et par la capacité des décideurs nationaux à confier aux autorités locales des pouvoirs qui soient vraiment des pouvoirs ». Je ne doute pas que les organisations de Touareg vont s’engouffrer dans la brèche tandis que Bamako va freiner de quatre fers.

C’est dire que dans ce scénario politique de sortie de crise nous sommes déjà dans l’illusion, Une illusion mortelle. Celle dont résultent les événements du 17 janvier, du 22 mars 2012 et du 11 janvier 2013 ! La promotion d’une « diplomatie démultipliée » ne serait-elle que l’aveu d’échec de la « diplomatie d’Etat » ? Une démarche que l’anthropologue Jean-Pierre Dozon qualifie « d’ONGisation » du continent et dont il a déjà dénoncé les effets pervers**.

* Le quotidien communiste L’Humanité, rapporte (19 mars 2013) le lapsus du lieutenant-colonel Patrick Martini, à la suite de la mort du caporal Alexandre Van Dooren. « Cet officier, écrit L’Humanité, est revenu sur l’état de santé des trois autres militaires blessés, ‘en cours de rapatriement vers la métropole’. Si l’usage de ce terme colonial est un lapsus, il est inquiétant. La France n’est plus ‘métropole », pour le Mali, depuis… 1960 ».

** Dans « L’Afrique à Dieu et à Diable. Etats, ethnies et religions » (éd. Ellipses, Paris, 2008), Jean-Pierre Dozon écrit : « Tandis que la politique du moins d’Etat devait signifier une meilleure gestion des affaires communes, la corruption et les pratiques de prébendes n’ont cessé de s’aggraver, se démultipliant à la mesure des processus de privatisation et de décentralisation tout en se connectant de plus en plus à des réseaux internationaux de trafics illicites, spécialement de drogues, d’armes et de marchandises de contrefaçon ». C’est le processus qu’a connu le Mali au cours des dernières décennies. On n’est pas sorti de l’auberge !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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