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L’hyperprésidence rouge de Hugo Chavez fait paraître bien pâles les « tyrannies » pétrolières d’Afrique centrale.

Publié le samedi 9 mars 2013 à 20h28min

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L’hyperprésidence rouge de Hugo Chavez fait paraître bien pâles les « tyrannies » pétrolières d’Afrique centrale.

Vu des « démocraties occidentales », ce n’est pas un modèle. Un militaire de carrière auteur d’une tentative de coup d’Etat (1992), emprisonné par le pouvoir en place, élu six ans plus tard (1998) à la présidence de la République qui deviendra République bolivarienne du Venezuela (1999), réélu depuis, y compris le 7 octobre 2012 alors qu’il était atteint d’un cancer qui avait nécessité plusieurs interventions chirurgicales.

Il sera resté quinze ans au pouvoir et espérait s’y maintenir encore longtemps ; il était un farouche partisan des nationalisations ; il avait mis fin, par référendum, à la limitation des mandats... Autant dire que Hugo Chavez, mort le 5 mars 2013, n’était pas dans norme occidentale. « C’était un anti-américain militant, un anticapitaliste passionné » a dit Alain Juppé, ancien ministre des Affaires étrangères de la droite française qui a ajouté cependant : « C’était un démocrate autoritaire ».

Chavez avait inventé un truc pas possible que Jean-Luc Mélenchon, leader du Front de gauche, dans L’Humanité (jeudi 7 mars 2013), a bien défini : « Le mot modèle est à proscrire. Mais c’est une source d’inspiration avec de grandes figures : la refondation républicaine de la nation – non pas à partir d’une définition identitaire à la Sarkozy, mais sur une règle du jeu définie en commun, la Constitution ; la souveraineté nationale sur les secteurs qui permettent d’organiser la vie économique, comme l’énergie ou la finance. Et, la priorité des priorités, à la personne humaine ». En quinze ans, le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 54,5 % à 29,5 % et le taux d’alphabétisation des plus de 15 ans a progressé de 89,1 % à 95,2 %. Des performances liées à la manne pétrolière : le Venezuela en est le 12ème producteur et le 10ème exportateur mondial et détient des réserves considérables auxquelles il faut ajouter des réserves de gaz plus significatives encore. Les hydrocarbures assurent ainsi 95 % des recettes d’exportation du pays.

On me rétorquera qu’avec de telles ressources (mais le pétrole vénézuélien coûte cher à extraire : 90 dollars le baril contre 15 dollars pour le brut saoudien), les performances de Chavez sont à relativiser. Sans doute, d’autant plus que, dans le même temps, les performances économiques et sociales ne sont pas toutes aussi remarquables qu’il s’agisse de l’inflation, de la situation des finances publiques, de la criminalité… Mais il ne faut pas perdre de vue que le Venezuela était le quatrième producteur mondial de pétrole en 1950 et loin d’être alors non seulement une démocratie mais un pays où régnait la justice sociale.

Le recul de la performance pétrolière du pays (dont les réserves prouvées sont les premières du monde, devant l’Arabie saoudite) tient au fait que Chavez exploite peu un potentiel pétrolier immense, les « majors » occidentales étant exclues de la recherche et de la production au profit de compagnies certes technologiquement peu performantes (Iran, Biélorussie, Inde, Viêt Nam, Chine…) mais aussi moins avides financièrement (la compagnie nationale PDVSA, qui détient le monopole du secteur pétrolier, est impérativement partenaire à hauteur de 60 % de toutes les joint-ventures). « Chavez a réduit les inégalités au prix d’un échec économique » titrait hier (jeudi 7 mars 2013) le quotidien économique Les Echos. C’est oublier que l’Arabie saoudite, la Russie, l’Iran, les Emirats arabes unis, le Nigeria, l’Irak, l’Angola, pays exportateurs placés devant le Venezuela n’ont pas bâti, eux non plus, des économies diversifiées et durables ; et que, pour autant, ils n’ont pas réduit les inégalités, bien au contraire !

Les performances des pays africains producteurs de pétrole sont loin d’être, économiquement et socialement, aussi significatives que celles du Venezuela avec, cependant, des populations nettement moins élevées (il y a pas loin de 30 millions d’habitants au Venezuela). « Curieux ‘dictateur’ tant décrié par la pensée unique que cet homme qui s’est toujours soumis au vote populaire quand tant de nos ‘démocrates’ autoproclamés s’en lavent les mains », s’est exclamé, de manière inattendue, le député de droite Nicolas Dupont-Aignan, Il faut rappeler que, lorsque le patron des patrons, Pedro Carmona, à la suite d’une grève déclenchée par le patronat et des affrontements qui ont fait une vingtaine de morts, s’est autoproclamé président d’un gouvernement transitoire le 12 avril 2002, c’est un soulèvement civil, soutenu par l’armée, qui a permis le rétablissement de Chavez au pouvoir. Et quand l’opposition est parvenue à organiser un référendum révocatoire contre Chavez, en 2004, c’est Chavez qui l’a emporté.
Ce n’est pas pour autant que Chavez peut, sans retenue, réjouir les « démocrates » ou satisfaire les « révolutionnaires ».

Chavez n’est pas Lula qui, au Brésil - où les dictatures militaires ont été plus longues et plus sanglantes qu’au Venezuela engagé dans des processus, à géométrie variable, de « démocratisation » depuis plusieurs décennies -, a su bâtir (non sans dérives) un système politique et économique sans doute plus durable et mieux organisé. Mais le Venezuela de Chavez vaut mieux, bien mieux, que le Venezuela de ses prédécesseurs inféodés aux compagnies pétrolières étrangères et soumis à l’impérialisme US*. Le « populisme » (très sud-américain) anti-impérialiste (mais également anti-colonial et anti-occidental) de Chavez l’a fait s’enthousiasmer pour des personnalités peu recommandables : le terroriste « Carlos », Idi Amin dada, Castro, Kadhafi, Saddam Hussein, Ahmadinejad, Bachar al-Assad… Mais, dans le même temps, les populations, partout dans le monde, s’enthousiasmait pour ce leader qui n’était pas sans rappeler les grandes figures du tiers-monde de l’après-guerre.
Le dernier message de politique internationale adressé au monde par Chavez l’a été à l’occasion du 3ème sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Afrique et de l’Amérique du Sud (ASA) organisé à Malabo, capitale de la Guinée équatoriale, le vendredi 22 février 2013.

Dans ce message adressé à l’ASA et lu par Elias Jaua, ex-vice-président et, depuis le début de l’année 2013, ministre des Affaires étrangères, Chavez affirme : « Les empires du passé, coupables de l’enlèvement et de l’assassinat des fils de l’Afrique-mère pour alimenter un système esclavagiste ont semé le sang africain dans notre Amérique. Notre coopération doit être un lien de travail permanent pour orienter toutes ses stratégies vers le Sud, vers nos peuples. La stratégie néocoloniale a été de diviser les pays les plus vulnérables du monde pour les soumettre à une relation esclavagiste, une relation de dépendant. C’est pour cela que le Venezuela s’est opposé à l’intervention en Libye et refuse toute ingérence dans l’indépendance de nos pays et dans le développement de notre coopération Sud-Sud. Pour faire face à ce danger : union, union et union doit être notre plus grande devise ». Le président Obiang Nguema Mbasogo et son épouse se sont envolés pour Caracas dès l’annonce du décès de Chavez. Ce qui ne saurait étonner. Les deux chefs d’Etat sont non seulement hispanophones mais sur une même ligne politique intransigeante en matière de souveraineté nationale.
Chavez aura marqué son époque et l’histoire du Venezuela ; mais la force des hommes politiques se mesure d’abord à la qualité de leur succession. Au Brésil, Lula a su forger la sienne ; on attend de voir ce qu’il en sera de Nicolas Maduro dont on dit qu’il a été la « doublure de Chavez » sur la scène internationale : il a été en charge des affaires étrangères de 2006 jusqu’à sa nomination comme vice-président début 2013.

* Commentant la gestion de ses prédécesseurs, Hugo Chavez dénoncera une « crise éthique [qui] a évolué, et s’est transformée en crise économique […] d’où une crise sociale monstrueuse […] Il n’y a jamais eu ici de véritable démocratie, mais une tyrannie déguisée en démocratie. La démocratie ne saurait être limitée à un scrutin épisodique, dans le cadre d’une campagne électorale médiatisée au cours de laquelle on dépense des fortunes. La démocratie doit avoir un contenu et un engagement social, un projet de participation » (entretien avec Zyad Limam et Vincent Fournier – J.A./L’Intelligent du 14 novembre 2000).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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