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Togo 2013. La voie étroite vers un dialogue politique apaisé entre Faure Gnasssingbé et « l’opposition » (1/2)

Publié le mercredi 6 mars 2013 à 20h20min

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Togo 2013. La voie étroite vers un dialogue politique apaisé  entre Faure Gnasssingbé et « l’opposition » (1/2)

Ce pourrait être pire que ce ne l’est ; ce devrait être, cependant, meilleur. Le Togo siège pour deux ans, depuis le 1er janvier 2012 au Conseil de sécurité des Nations unies (dont il a assuré la présidence au cours du mois de février 2012, présidence qu’il va assurer à nouveau en mai 2013). Il a même expédié au Mali un détachement militaire dans le cadre de la MISMA : 500 hommes.

Et ce que Charles Debbasch, incontournable (et controversé mais qui n’est pas controversé au Togo ?) ministre conseiller à la présidence de la République du Togo, souhaite à la diplomatie togolaise ne peut qu’être espéré pour la vie politique du pays : « Il faut trouver les voies d’un consensus entre des intérêts divergents et préférer la paix à la guerre en considérant que le recours à la force est la dernière des extrémités. Que la sagesse éclaire tous les membres du Conseil de sécurité sous la présidence sereine et efficace du Togo ».

« Consensus », « intérêts divergents », « paix et guerre », « recours à la force », « sagesse », « présidence sereine et efficace », tous les mots sont là qui jalonnent la voie étroite vers un dialogue politique apaisé entre Faure Gnassingbé et « l’opposition ». Le Togo, qui peine à dégager une croissance économique soutenue*, est confronté, en permanence, à des tensions politiques qui pénalisent son activité. L’histoire de ce pays a toujours été mouvementée. Mais pour l’appréhender, il faut sortir des idées formatées que l’on peut résumer ainsi : Eyadéma, militaire ignare formé dans les troupes coloniales, président-assassin face à une opposition assassinée parce que porteuse de toutes les espérances.

Le régime institué par Eyadéma n’était pas de ceux que l’on pouvait, de l’extérieur, apprécier. Il était plus stalinien (dans l’acception sociale de ce terme : une bureaucratie dominée par un parti-Etat) que militaire. Et dans un pays où les « élites » ne manquent pas (même si elles ont parfois tendance à se considérer plus élitistes qu’elles ne le sont vraiment), on pouvait penser que celles-ci en faisaient trop quand elles étaient hors du Togo et pas assez quand elles y étaient. La « dictature » instituée par Eyadéma n’a été possible que dans la mesure où ceux qui criaient « haro sur le baudet » étaient heureux, trop souvent, de profiter d’un système où la lâcheté et l’esprit de lucre l’emportaient sur la compétence. Eyadéma s’est imposé au pouvoir pendant trente-sept ans ; pas par hasard. Et, à l’exception de la famille Olympio, les leaders de l’opposition ont toujours été d’anciens cadres de son régime ; dont l’incompétence politique (au sens organisationnel du terme) et, plus encore, l’ambition personnelle, ont permis au régime de perdurer.

Quand Eyadéma est mort voici huit ans (5 février 2005), j’ai écrit que le bilan politique, économique et social du Togo au cours des années Eyadéma n’était pas pire que celui de beaucoup d’autres pays africains dont l’image démocratique était pourtant beaucoup plus forte (cf. LDD Spécial Week-End 0163/Samedi 5-dimanche 6 février 2005). Et sa succession, quoi qu’on en pense, s’est bien mieux déroulée que celle de son très digne proche voisin : Félix Houphouët-Boigny. Faure Essozimna Gnassingbé, qui était un choix à risques multiples, s’en sort mieux, jusqu’à présent, que ne l’a fait Henri Konan Bédié en Côte d’Ivoire. « Pour le Togo de l’après-Eyadéma, la marge est étroite entre l’impossible démocratie et le possible chaos ». C’était mon diagnostic en 2005. Peut-on dire aujourd’hui que la démocratie est possible et que le chaos est devenu impossible ?

Le chaos, pourtant, a été déclenché à Kara, le 9 janvier 2013, et à Lomé, dans la nuit du 11 au 12 janvier 2013. Deux incendies, considérés l’un et l’autre comme criminels, ont détruit les marchés de ces deux villes. Kara était la « capitale » politique d’Eyadéma, une ville-symbole où se trouvait le siège du parti unique, le RPT. Lomé est celle de Faure, héritier sans héritage. Les marchés sont, au pays des « Nana-Benz », le symbole de l’économie togolaise : son image de marque. On notera par ailleurs que le 13 janvier 2013 était la date du cinquantième anniversaire de l’assassinat de Sylvanus Olympio, premier président de la République.

Ajoutons, pour faire bon poids, que le 27 février 2013 se situait le quatre-vingtième anniversaire de l’incendie du Reichstag, le parlement à Berlin, qui, au lendemain de l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler, permis aux SA (puis aux SS de création ultérieure) de déclencher la répression contre les communistes allemands présentés comme les responsables de cette provocation.

Si j’insiste sur la symbolique c’est qu’elle au cœur du problème qui se pose aujourd’hui au Togo. Car les incendies de Kara et de Lomé ont mis le feu aux poudres dans un contexte politique délicat, certains rêvant de déclencher dans ce pays animisto-chrétien un « printemps arabe » (le mot d’ordre des manifestations de 2012 - place Dékon qui ambitionne de devenir la place Tahrir du Togo - était clair : « Faure dégage ! »). C’était l’objectif du Collectif Sauvons le Togo (CST), créé le 4 avril 2012 et qui se voulait un cadre d’action pour la société civile. Mais il fait la part belle aux partis politiques dont l’Alliance nationale pour le changement (ANC)** de Jean-Pierre Fabre, candidat à la présidentielle 2010, et l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (OBUTS) d’Agbéyomé Kodjo, ex-président de l’Assemblée nationale, ex-premier ministre. Le CST s’efforce de surfer sur la situation de Kpatcha Gnassingbé, demi-frère du chef de l’Etat, qui, accusé de tentative de coup d’Etat (cf. LDD Togo 037/Mercredi 22 avril 2009), a été condamné à vingt ans de réclusion en septembre 2011 dans une indifférence quasi générale : Zeus Ajavon, Raphaël Nyama Kpandé-Adzaré et Jil-Benoît Afangbédji, figurent de proue du CST, sont les avocats de Kpatcha. Mais pour la population togolaise, les règlements de comptes entre nomenklaturistes font partie de l’histoire du Togo, pas de celle des Togolais.

Il est vrai que dans le même temps, mi-avril 2012, Faure avait choisi d’en finir avec le Rassemblement du peuple togolais (RPT), le parti de papa, ex-parti unique, ex-parti-Etat, qui ne rassemblait plus grand monde et surtout pas le peuple, pour créer, dans la foulée, l’UNIR : Union pour la République. Une dénomination plus conforme aux ambitions du chef de l’Etat qui confiera la vice-présidence du nouveau-né à George Ahidam, formaté dans l’emblématique CAR : Comité d’action pour le renouveau, de l’ex-premier ministre Yawovi Agboyibo. Autrement dit, une page était tournée pour les nomenklaturistes de l’ex-parti unique. Il ne suffisait plus d’avoir fait fortune sous le père pour s’imposer sous le fils ! L’UNIR promet « l’ancrage de la démocratie au Togo, en œuvrant à l’émergence d’une nouvelle éthique républicaine ».

Déclaration de bonnes intentions que l’on jugera aux actes… !
C’est dans ce contexte, et alors que les élections législatives prévues initialement en octobre-novembre 2012 ont été reportées, que les marchés de Kara et de Lomé seront incendiés. Provocation du pouvoir pour renforcer la répression contre l’opposition ou action symbolique d’une opposition quelque peu débordée par un certain nombre de ses militants ? La réponse à cette question doit prendre en compte une donnée nouvelle dans le paysage politique togolais : la montée en puissance de la religion (pour ne pas dire de la superstition) qui vient battre en brèche une action politique de l’opposition qui, depuis toujours, s’est montrée incapable de promouvoir l’alternance.

* La croissance du Togo est de 3,9 % en 2011 et devait atteindre 4,2 % en 2012 ; les prévisions pour 2013 tablent sur 4,4 %. De quoi faire rêver les Français, mais moins forte que la croissance moyenne de l’ensemble du continent africain et nettement en-deçà de la croissance de la zone UEMOA (6,5 % prévus pour 2013).

** L’ANC résulte d’une scission au sein de l’Union des forces de changement (UFC), premier parti d’opposition, à la suite de la rupture entre Jean-Pierre Fabre et Gilchrist Olympio, rupture résultant d’un problème de leadership.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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