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Mali : Et le colonel Alaji Ag-Gamou est arrivé (2/2)

Publié le mardi 5 mars 2013 à 18h59min

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Mali : Et le colonel Alaji Ag-Gamou est arrivé (2/2)

Les alliances au sein des diverses communautés touareg sont toujours à géométrie variable. En fonction des rapports de force institué avec les autres acteurs du « corridor sahélo-saharien » ; rapports politiques, nationaux et internationaux – des rapports tributaires de la compromission des hommes politiques – mais aussi rapports mafieux avec toutes sortes de trafiquants : cigarettes, drogue, armes, otages, etc. Iyad Ag Ghali (cf. LDD Mali 069/Vendredi 1er mars 2013) va passer d’un camp à l’autre.

Instigateur de la rébellion de 1990, cet Ifogha de Kidal, la noblesse des Touareg (dont Mamadou Traoré, ambassadeur du Mali à Ouagadougou, dit qu’ils sont « le nœud de toutes les intrigues de cette sous-région »), va multiplier les aller-retour entre le pouvoir (il a été consul à Djedda, en Arabie saoudite, de 2007 à 2009) et la rébellion. A bout de souffle quand éclatera la « guerre » de 2012, il basculera du côté d’AQMI qui lui apportera son soutien logistique. C’est ainsi qu’est né Ansar Dine. Une alliance qu’Intalla Ag Attaher, le patriarche des Ifogha, va dénoncer dans une lettre (8 juin 2012) dont l’authenticité n’est toujours pas avérée : « Je lance un appel pressant à tous ceux qui parmi mes amis, les responsables des communautés, et parmi mes enfants, qui sont membres jusque-là du groupe Ansar Dine, de le déserter dans les plus brefs délais parce que nous avons découvert que c’est un parti d’Al Qaeda ». La connexion entre Ansar Dine et AQMI était d’autant plus facile que Ghali a grandi en territoire algérien, à Tamanrasset (il ne s’exprime plus, d’ailleurs, qu’en arabe et se fait appeler Abou Fadil).

El Hadj Ag Gamou, quant à lui, qui appartient à une tribu Imrad (vassale), a choisi de rejoindre l’armée nationale malienne à la suite de la cérémonie de la Flamme de la paix (27 mars 1996). Formation à l’école militaire de Koulikoro, participation aux opérations de maintien de la paix au Liberia, affectation à Gao en 2005, il va commander la milice Delta créée par Amadou Toumani Touré (ATT). En 2006, elle sera chargée de réprimer la rébellion déclenchée par Ibrahim Ag Bahanga. Gamou va déclencher l’opération « Djigui Tougou » (Combler l’espoir) et devenir le maître de Kidal ; un Imrad, cela ne saurait convenir aux Ifogha. En 2011, ATT en fait son chef d’état-major particulier adjoint. Si ses troupes sont habillées et entretenues par l’armée malienne, le colonel-major est à la tête d’une « milice privée » qui a souvent défrayé la chronique par ses exactions contre les populations.

A la fin de l’année 2011, avant même le déclenchement de la guerre (17 janvier 2012), il aura, un temps, « disparu des radars du ministère de la Défense » alors qu’il venait de bénéficier d’une permission d’une semaine. On le dira même « déserteur ». Gamou avait alors été détaché à Kidal par ATT pour gérer sur le terrain le retour des « Libyens ». Quand la rébellion va être déclenchée, il sera formel : « Elle ne pourra jamais prendre le contrôle d’une ville malienne ». « Il n’y a aucun problème, ajoutera-t-il. L’armée est là. Nous sommes prêts à défendre l’intégrité de tout le territoire. Nous sommes prêts à verser notre sang pour le Mali s’il le faut… Que les Maliens se rassurent et qu’ils ne prêtent pas attention à ce qui se dit ailleurs sur la situation que nous vivons ». Mais Gamou va devoir fuir Kidal dont la rébellion s’empare le 30 mars 2012 tandis que Ghali s’installera à Tombouctou qui, tombée le 1er avril 2012 entre les mains du MNLA, va être conquise par Ansar Dine dès le lendemain. Le drapeau noir des Salafistes flottera sur la cité aux « 333 saints » tandis que la charia y est instituée.

Gamou racontera qu’il est parvenu à s’extraire de Kidal en laissant croire au MNLA qu’il allait rejoindre les rangs de la rébellion. Kidal, Gao, Ansongo, il passera la frontière avec le Niger du côté de Labézanga et, continuant de longer le fleuve Niger, va s’installer au Sud de Niamey, à Saguia. Les quelques centaines d’hommes qui l’ont rejoint ont été désarmés par les autorités et cantonnés. Gamou expliquera que sa présence au Niger « n’est pas fortuite, elle est purement stratégique ». Le coup d’Etat du 22 mars 2012 va le placer dans une posture difficile : il était l’homme de confiance d’ATT et même s’il a été considéré comme « le bourreau des bandits armés touareg qui ont juré de lui faire la peau », il sera dans le collimateur de la junte qui, avec lui, ne sait pas sur quel pied danser : plus qu’un militaire, c’est un électron libre, un véritable « seigneur de la guerre ». Gamou va alors créer le Mouvement républicain pour la restauration de l’Azawad (MRRA) : il vise à contrer les groupes islamistes armés du Nord-Mali et exiger l’autonomie politique de l’Azawad. S’agissait-il, là encore, d’une démarche non pas « fortuite mais purement stratégique » ? Quand en juillet 2012, le premier ministre Cheick Modibo Diarra viendra en visite officielle à Niamey, il rendra un hommage appuyé à Gamou : « Mon colonel, la République ne vous oubliera jamais ».

L’intervention française redonnera de la visibilité à Gamou. Le 26 janvier 2013, l’armée nigérienne va conquérir Ménaka, de l’autre côté de la frontière, porte d’entrée de la vallée de Zgarat, afin d’éviter toute fuite des « terroristes ». Puis quand, les Nigériens en auront expulsé les « islamistes », c’est le MNLA qui va s’y installer le 5 février 2013. Ménaka, ville natale de Gamou, va être le théâtre des habituelles diatribes des différents groupes armés. Le MNLA annoncera sa prise et sa sécurisation « dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et les groupes de narcotrafiquants qui sévissent dans l’Azawad ». Son communiqué ajoutera : « Sans aucune aide ni soutien d’aucune force engagée dans la lutte contre le terrorisme ». Gamou revendiquera, le 12 février 2013, le contrôle de la ville reprise aux « rebelles touareg du MNLA » et la capture de responsables de haut niveau dont Abdoul Karim Ag Matafa.

C’est dire la confusion qui règne. Qui fait quoi pour le compte de qui ? Le Matin, dans son édition du 17 janvier 2013, évoquant l’action de Gamou, écrivait qu’il était mis « à l’épreuve pour tester sa loyauté et son efficacité, lui qui n’a cessé, au cours de la guerre, de multiplier les pirouettes et les simulacres ». Illustration de la complexité de la situation : Gamou a accordé une interview à… L’Humanité (vendredi 1er, Samedi 2 et Dimanche 3 mars 2013). Entretien réalisé à Gao par Pierre Barbancey. Grand reporter au quotidien communiste, ancien de l’hebdomadaire niçois Le Patriote (lui aussi dans le giron du PC), Barbancey a l’expérience des terrains difficiles, récemment Afghanistan et Egypte. Il dit de Gamou qu’il est à la tête du GTA8 : « 700 hommes particulièrement aguerris, venus d’unités d’artillerie, de blindés et de l’infanterie ». Il ajoute : « Il n’est pas en soutien. Il fait partie du dispositif ». Gamou lui dit : « La guerre ne fait que commencer, croyez-moi […] C’est maintenant qu’ils vont s’organiser pour mener des attaques partout ». C’est politiquement que Gamou est intéressant. S’il reconnaît « qu’il y a un travail de réconciliation à faire » et qu’on « ne peut pas faire le Mali sans les Maliens » autrement dit sans « les Touareg, ni les Songhaï, ni les Arabes », il affirme : « Il y a une espèce de banditisme politique au non des Touareg et des Arabes du Nord du Mali. Le MNLA pas plus que le MUJAO ou Ansar Dine ou AQMI ne représentent les populations. D’ailleurs, le MUJAO n’a pas seulement recruté des Touareg mais aussi des gens du Sud du pays, ainsi que des Nigériens et des Mauritaniens ». Il ajoute : « Je ne peux pas dire que le MNLA est meilleur que les autres […] Le MNLA n’est rien d’autre qu’un porte-avions pour tous les djihadistes ».

Gamou est arrivé. Un Touareg qui a été très proche d’ATT, que les Touareg de Kidal considèrent comme un « traitre », et qui considère les Touareg du MNLA comme autant de djihadistes. Gamou a été reconnu par le premier ministre Diarra comme l’honneur de la République alors que Diarra a été détesté (et viré) par la junte du capitaine Sanogo. Quant à Dioncounda Traoré, président par intérim, il prend le colonel-major pour un « derviche tourneur ». Gamou est arrivé. Mais personne n’y voit plus clair pour autant !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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