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Mali : Et le colonel Alaji Ag Gamou est arrivé (1/2)

Publié le mardi 5 mars 2013 à 06h40min

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Mali : Et le colonel Alaji Ag Gamou est arrivé (1/2)

C’était une guerre sans visages. Cela tend à être une guerre à visages multiples. Et on ne sait plus où donner de la tête. Au début, il y avait la France, bien sûr, et bien seule. Puis les Tchadiens se sont illustrés sur le terrain aux côtés des Français.

Avec des forces dont le nom fleure bon le Sahel : Fatim : Forces armées tchadiennes en intervention au Mali (dont le patron est le général Oumar Bikomo). Et un commandant en second, nommé à la fin du mois de janvier 2013, qui est une découverte mais pas vraiment un inconnu. Il s’agit de Mahamat Idriss Déby Itno, patron de la garde présidentielle (Direction générale de service de sécurité des institutions de l’Etat – DGSSIE), promu général de brigade à titre exceptionnel le 9 janvier 2013 (à la veille de l’intervention française au Mali) en compagnie de quatre autres colonels, à un âge où un officier sorti des meilleures écoles militaires ambitionne d’accéder au grade de capitaine (en France, il n’y a pas de nomination au grade de général de l’armée de terre avant 50 ans et encore faut-il être breveté CID - ex-Ecole supérieure de guerre). Le fils du chef de l’Etat tchadien, blessé dans les combats qui ont fait une vingtaine de morts dans les rangs tchadiens, viendrait d’être transféré en France pour y être soigné. Rien à dire sur les combattants tchadiens : ils savent ce qu’est la guerre du désert et naissent avec une kalach dans leur berceau.

Le chef de l’Etat tchadien surfe sur la guerre au Mali avec brio : incontournable sur le terrain, il s’impose face à ses pairs d’Afrique de l’Ouest qui ont l’air, pour la plupart d’entre eux, de petits enfants apeurés. Déby Itno n’hésite pas d’ailleurs à « gronder ». Il en a fait la démonstration, voici quelques jours, à Yamoussoukro, dans le cadre du sommet de la Cédéao (cf. LDD Cédéao 009/Jeudi 28 février 2013) et, il y a quelques semaines, à N’Djamena, à l’occasion de celui de la Cen-Sad (cf. LDD Cen-Sad 002/Lundi 18 février 2013). Aujourd’hui, vendredi 1er mars 2013, Déby enfonce le clou : il revendique pour ses troupes la mort d’Abou Zeid, émir d’AQMI, ennemi numéro un de la France dans le « corridor sahélo-saharien » pour prises d’otages. C’est dire à Paris (ce que Paris n’aime pas, plus encore avec un « socialiste » à l’Elysée pas vraiment fan de Déby) : avec moins de technologie, d’aviation, de drones, etc. nos hommes font plus que les vôtres ! Il est vrai que le Tchad a plus de dégâts humains que la France ; ce qui ne risque pas de soulever l’opinion publique tchadienne contre le pouvoir en place.

La guerre entre dans sa huitième semaine. Et ne fait plus la « une » des médias audiovisuels : pas d’images, pas de reportages. Il n’y a que la presse écrite qui s’efforce de faire son job loin des champs de bataille tout en maugréant contre l’embargo qu’exercent les responsables militaires français. Et il ne faut pas compter sur les généraux Grégoire de Saint-Quentin, patron de l’opération « Serval » depuis Dakar, et Bernard Barrera, responsable des opérations terrestres sur le terrain, pour savoir quoi que ce soit. Finalement, dans cette affaire on connaît bien mieux les chefs du camp d’en-face (AQMI, Ansar Dine, MUJAO…) que ceux de notre camp.

Pour ce qui est de la composante malienne de cette opération, c’est encore pire. Le capitaine Sanogo, qui ne sait pas grand-chose des… choses militaires, est très occupé à compter les billets de sa solde ; ce qui arrange bien tout le monde. Et, de toutes les façons, il boude dans son coin après s’être fait admonesté par Déby qui pense que la place d’un officier putschiste malien est sur le terrain, au plus près des combats. Sauf que les combats, Sanogo ne doit s’y intéresser que sur une console de jeux vidéos. Et encore, si ce n’est pas trop violent…

Pour le reste, du côté malien, on joue profil bas. La honte devrait être là depuis longtemps. Depuis que le « repli stratégique » a été érigé en règle absolue face à l’offensive du MNLA voici plus d’an an. Cependant, à la suite de l’affaire de Konna, le 11 janvier 2013, les militaires maliens ont changé de tactique : ce n’est plus le « repli stratégique » (il est vrai qu’ils avaient quasiment le dos au mur) mais le : « Au secours la France ». C’est pourquoi l’arrivée d’une star, et plus encore d’une star malienne, sur le devant de la scène fait que tout le monde applaudit. « S’il fallait un visage à cette guerre, ce pourrait être le sien », a écrit Rémi Carayol dans Jeune Afrique du 24 février 2013. Acte I, scène 1, entrée en scène : « Les voilà qui arrivent, les hommes de Gamou. Le pick-up n’a pas totalement fini sa course qu’ils pointent déjà leur arme sur deux suspects, des Arabes soupçonnés d’appartenir au Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), le groupe islamiste armé qui a régné sur la ville durant neuf mois. Le colonel-major El Hadj Ag Gamou les rejoint. La kalach à la main, il se dirige vers l’un des deux hommes à terre, maintient sa tête avec son pied tout en toisant les alentours, puis, après avoir ordonné leur évacuation, marche derrière eux d’un pas sûr, presque tranquille. Un vrai seigneur de guerre… ». Ouais, c’est bien : le pied qui écrase le visage de l’homme à terre (que l’on devine d’ailleurs désarmé), le regard circulaire sur les spectateurs, le « pas sûr, presque tranquille » ; bien sûr, un « seigneur de guerre » ce n’est pas un chef militaire et ça rappelle les mauvais souvenirs de la Côte d’Ivoire, pas très loin d’ici ; mais enfin, c’est l’Afrique, pauvre et démunie, on fait avec ce qu’on a sous la main. Et, en l’occurrence Gamou. « S’il fallait un visage à cette guerre, ou tout du moins un personnage pour en faire un film hollywoodien, ce serait lui. Regard noir, visage à la fois dur et avenant, et cette barbe de deux jours qui mange jusqu’à ses pommettes. Gamou, 49 ans, n’aime pas la lumière mais ne refuse pas un entretien avec Jeune Afrique » ajoute Carayol.

En fait, Gamou raconte à Carayol sa légende (les Touareg sont être les rois du storytelling) de fils de berger de la région de Ménaka qui, n’ayant jamais été à l’école, s’est engagé dans la Légion Verte de Mouammar Kadhafi. Syrie, Liban, Libye, Tchad. Retour au Mali en 1988. Il a 24 ans. C’est l’année où Iyad Ag Ghali, qui a le même parcours « guerrier » que Gamou, va créer le Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA) avant de déclencher les insurrections touareg à Ménaka et Tidermène, dans la région de Gao, le 28 juin 1990. Le MPLA, confronté à la guerre des chefs, va rapidement se scinder en Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), dirigé par Ag Ghali, et en Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA) dirigé par Zahabi Ould Sidi Mohammed. Le MPA va à sont tour se scinder en Front population de libération de l’Azawad (FPLA) dirigé par Rhissa Ag Sidi Mohammed et en Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad (ARLA) d’Abderrhamane Mohammed Galla. C’est au sein de l’ARLA que l’on retrouve alors Gamou.

A Bamako, Moussa Traoré est encore au pouvoir. Des médiations, auxquelles participent les présidents algérien, nigérien et libyen, vont démarrer à Djanet. Le renversement de Traoré, en 1991, va accélérer le processus. Le 10 décembre 1991, au lendemain de la Conférence nationale (31 juillet-15 août 1991) le MPA, le FPLA, le FIAA, et l’ARLA vont fusionner au sein du Mouvement des fronts unifiés de l’Azawad (MFUA). Qui va s’auto-dissoudre à la suite de la signature, le 11 avril 1992, du Pacte national (qui ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté touareg). Le 27 mars 1996, va être organisée, à Tombouctou, la cérémonie de la Flamme de la paix. La période qui s’étend du Pacte national à la cérémonie de Tombouctou va être propice aux règlements de compte entre factions « rebelles ».

Les tensions seront particulièrement fortes entre les Touareg de Ménaka et ceux de Kidal, entre la plèbe et l’aristocratie. Les relations entre les hommes (et, plus encore, les familles) importent plus que les alliances entre groupuscules, à géométrie variable en fonction des intérêts de chacun. Quant à l’idéologie (plus religieuse que politique) de ces groupuscules, elle est encore plus aléatoire. Dieu reconnaîtra les siens. En attendant que vienne le temps de cette reconnaissance, il est important pour chacun « de ne pas injurier l’avenir ».

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 6 mars 2013 à 10:23, par sidwata En réponse à : Mali : Et le colonel Alaji Ag Gamou est arrivé (1/2)

    Difficile de donner un point de vue car l analyse est profonde et un peu militaire. Je me perds souvent dans certaines analyses surtout avec des noms arabes ou touaregs, c est pas evident.
    Merci au journaliste qui fait du bon boulot

  • Le 6 mars 2013 à 11:48, par bill En réponse à : Mali : Et le colonel Alaji Ag Gamou est arrivé (1/2)

    Quelle belle phrase !!!!
    Dieu reconnaitra les siens.Mais en attendant que personne n’injurie l’avenir !!!
    Merci de nous avoir eclare un peu ,car je ne comprenains pas grand chose des raison de cette guerre.

  • Le 6 mars 2013 à 18:18, par Le present En réponse à : Mali : Et le colonel Alaji Ag Gamou est arrivé (1/2)

    Bel article !!!! Je me perdait déjà à l’introduction sur les expression : "une guerre sans visages" ou "une guerre à visages multiples" Mais au finish avec d’enormes difficultés sur un style inhabituel, je finis par comprendre quelque choses ! QU’ALLAH SE SOUVIENNE DE TOUT LES INFORTUNES DE CETTE GUERRE !

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