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Etienne Minoungou : « Qu’aujourd’hui, le FESPACO soit un véritable marché en marge du cinéma, c’est normal ! »

Publié le dimanche 3 mars 2013 à 21h49min

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 Etienne Minoungou : « Qu’aujourd’hui, le FESPACO soit un véritable marché en marge du cinéma, c’est normal ! »

Le FESPACO, grand rendez-vous de la cinématographie africaine suscite par endroits quelques divergences de vue. Avec Etienne Minoungou, comédien, metteur en scène, directeur des recréâtrales et président des rencontres professionnelles et du colloque officiel du 23è fespaco, nous avons abordé dans le cadre d’un entretien, ces divergences de vue et bien d’autres préoccupations relatives à l’avenir du cinéma africain.

Quelle est votre appréciation du déroulement du FESPACO ?

Je dois d’abord dire que le FESPACO est un véritablement espace de prise de paroles diverses et importantes. Nous avons recensé 60 espaces de rencontres et de discussions. Je parle des symposiums, des ateliers, des masters-class, du colloque, des rencontres professionnelles, des conférences de presse, des déjeuners et dîners de presse qui constituent pour moi des espaces de prise de paroles. Cela veut dire que le FESPACO a une autorité intellectuelle sur l’ensemble de la réflexion autour de la cinématographie. Et qu’ici tous les deux ans, les structures et organisations de professionnels ont reconnu au FESPACO un lieu privilégié pour venir discuter de leurs problèmes. Et ça, c’est impressionnant !

La deuxième chose que je constate, c’est que la ferveur populaire continue de grandir, les opportunités d’affaires sont là pour l’ensemble des habitants de la ville de Ouagadougou. Quand je vois par exemple l’accroissement de l’activité dans le domaine hôtel-restauration-café, je note que les acteurs de ce domaine tirent d’énormes bénéfices au cours du FESPACO.

Ce qui retient mon attention en matière cinématographique, c’est que la sélection est bonne cette année. 101 films sélectionnés sur plus de 700 inscrits, c’est la preuve que le FESPACO est véritablement un lieu reconnu. Mais je vois aussi que les professionnels sont aussi devenus de plus en plus exigeants. Ce qui me semble tout à fait normal ; et que le FESPACO travaille à répondre à cette exigence. De ce point de vue, la route est bien empruntée.

Mais quand je vois aussi des gens qui sont soucieux de l’organisation, c’est parce qu’ils ont un lien affectif avec le FESPACO, ils veulent que les choses s’améliorent. Sinon, ils feraient juste leurs affaires et circuler. Je crois que de toute façon, cette édition du FESPACO est en train de réussir son pari.

Pendant que certains disent que le FESPACO risque de devenir une machine à tuer le cinéma en ce sens que les vendeurs de brochettes, bière et autres bouffes en tirent plus de bénéfices que les cinéastes, d’autres trouvent que le FESPACO devient de plus en plus élitiste au regard notamment du recentrage et de la réduction des espaces de projections cinématographiques. Quels commentaires ces considérations suscitent en vous ?

Bon ; je respecte les opinions des uns et des autres. Mais jusqu’à ce qu’on me démontre le contraire à travers des études, je ne perçois pas ce que vous venez de me dire là.

Qu’aujourd’hui le FESPACO soit un véritable marché en marge du cinéma, c’est normal ! Et tout le monde saura que c’est dans l’ambiance, que c’est à l’occasion du FESPACO cela a lieu.

Que le FESPACO devienne de plus en plus élitiste, c’est-à-dire que l’ensemble des professionnels viennent ici pour regarder leurs travaux, c’est normal ! C’est l’essence même du FESPACO qui appartient d’abord aux professionnels. Si vous voulez que des dispositions soient prises pour partager le plus largement possible les productions, ça, c’est une préoccupation. Mais, je crois qu’à travers les projections en plein air, on peut dire que les FESPACO est accessible au grand public.

Par contre, je pense aussi que la ville de Ouagadougou peut agir en tant que commune dans la prise en charge d’un certain nombre de choses qui ne seraient plus tout à fait à l’initiative du FESPACO. La ville devra prendre sous sa responsabilité tout ce qui est lié à l’animation, à l’accueil, au tourisme que le FESPACO permet d’avoir à Ouagadougou. Et il y des organisations professionnelles (hôtels, restaurants, cafés, agences de voyage et de tourisme) qui peuvent aussi prendre en charge une grosse partie des prestations de services et décharger le FESPACO de devoir tout organiser, contrôler et suivre.

Pouvez-vous nous décrire l’ambiance qu’il y a eue au cours du colloque du FESPACO dont vous êtes le responsable ? Et quelles sont les grandes décisions qui en ont résulté ?

Les débats ont été très riches avec une salle tout le temps pleine, on a eu la présence de plusieurs ministres. Cette rencontre entre professionnels du cinéma a été un moment très important du FESPACO.

De ce colloque, ce que je retiens aussi, c’est mon regret de n’avoir pas vu des jeunes réalisateurs s’exprimer, des jeunes de 20 - 25 ans.

A l’issue des travaux, les professionnels ont voulu que de la volonté politique, on passe à la décision politique pour mettre en œuvre l’ensemble des outils et instruments élaborés et contenus dans les différentes politiques culturelles. Les professionnels souhaitent aussi l’implication effective à la fois des Etats et surtout de l’Union africaine. En outre, les professionnels souhaitent que soit mis en place de façon systématique des logiques de co-productions avec les chaînes de télévision pour accroitre la production. Mieux, la mise en place d’un fonds d’avance sur recettes au profit de la cinématographie a été suggérée. Et quel que soit le montant de ce fonds, il va influencer considérablement l’ensemble de la chaîne de production-distribution-exploitation, de sorte qu’au bout de quelques années, il puisse y avoir un retour sur investissement.

Le ministre gabonais de l’Economie numérique, de la communication et des postes a indiqué qu’il y a lieu d’élaborer une charte de qualité pour que l’accompagnement financier des pouvoirs publics soit effectif au profit du secteur de la production cinématographique. Partagez-vous cette option ?

Avant d’arriver à la charte de qualité, je pense qu’il convient d’abord de soutenir la production. Et la masse critique de production qui en découlera, connaîtra une sélection naturelle. On ne peut imposer des normes de qualité avant l’existence même du produit. D’ailleurs, qui va le faire et sur quels critères ?

Je crois que le ministre veut que les professionnels fassent attention dans leurs productions pour qu’elles soient plus sérieuses, mais il ne me semble pas opportun que d’emblée on mette en place un tel critère.


Pouvez-vous nous dire un mot sur les perspectives du cinéma africain ?

Je pense que les professionnels eux-mêmes peuvent mieux appréhender cette question. Mais moi qui suis un peu dehors et un peu dedans, je pense qu’il faut de la formation qui s’adapte à l’évolution technologique. La technologie évolue très vite ; donc le langage doit évoluer aussi en fonction de l’évolution technologique.

Or, nous n’avons pas des espaces de formation qui suivent la vitesse de l’évolution technologique des outils qui accompagnent le langage du cinéma. Il nous faut des formations qualifiantes structurées en croissance.

La décision d’écarter les films numériques long métrage au 23è FESPACO, est-ce-que vous la partagez ?

Je ne peux pas me prononcer sur ça ; c’est trop technique. Rires…

Votre mot sur une vue d’ensemble du FESPACO 2013

Moi, j’ai toujours une préoccupation : c’est que les médiateurs (politiques, partenaires techniques et financiers, critiques du cinéma, distributeurs) peinent à se constituer véritablement. Je parle des gens qui ont vraiment une relation de médiation entre la création et le cadre règlementaire, entre la création et la consommation. Cette masse critique d’intermédiaires doit faire irruption pour qu’on parle d’une véritable économie de la création.

Entretien réalisé par Fulbert Paré

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