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Stéphane Hessel :« Plus je veillis, plus l’Afrique m’est nécessaire »

Publié le jeudi 28 février 2013 à 19h49min

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 Stéphane Hessel :« Plus je veillis, plus l’Afrique m’est nécessaire »

Sa vie, ces dernières années, lui avait échappé. Plus, sans doute, qu’il ne l’aurait souhaité. Lui, qui s’était toujours refusé à être institutionnalisé, se retrouvait le porte-drapeau d’un mouvement qui, justement, n’en voulait pas, n’en voulait plus. Les « Indignés » ont déferlé sur l’Europe et l’Amérique du Nord pour dire : « Assez, nous n’acceptons plus les dérives d’un système qui nous broie les uns après les autres »

Sans jamais vouloir reconnaître que c’était le système qui était condamnable, les dérives lui étant inhérentes : exploitation, appauvrissement, soumission, asservissement… Stéphane Hessel vient de mourir. Une mort qui n’aurait pas fait la « une » voici quelques années à peine. Non pas que le parcours de Hessel, d’ores et déjà, n’ait pas été exceptionnel mais sa notoriété ne dépassait pas le cercle des intellectuels et des diplomates. Auteur de plusieurs ouvrages significatifs, c’est un minuscule opuscule de 32 pages qui coûtait 3 euros qui l’a propulsé sous les projecteurs, dans le monde entier. « Indignez-vous ! » a été édité fin 2010 et diffusé, depuis, à des millions d’exemplaires dans plus d’une centaine de pays. Et a donné son nom au mouvement des « Indignés ».

Les médias se sont jetés sur le vieil homme – il avait alors 93 ans – et en ont fait un symbole. Plus un jour sans Hessel, des films à sa gloire, des dialogues inattendus (ainsi avec Jeanne Moreau, actrice emblématique du film « Jules et Jim » - histoire d’un trio amoureux - tourné par François Truffaut en 1962, inspiré de la vie des parents de Hessel), et des livres « d’injonction » signés de lui produits à un rythme de stakhanoviste : après « Indignez-vous ! », « Engagez-vous ! », « Vivez ! ». Le système l’a instrumentalisé. Je m’en serais… indigné si je n’avais eu conscience, depuis longtemps, que c’était sa vraie nature (celle du système, pas de Hessel).

Hessel avait eu son heure de gloire en 2008, à l’occasion des cérémonies du 60ème anniversaire de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme à laquelle il avait participé en 1948. Il n’était certes pas un inconnu mais les causes qu’il défendait alors (l’esprit de la Résistance, les sans-papiers, les Nations unies, l’écologie, les Palestiniens, la République, la laïcité, les ONG…) n’avaient pas encore rencontré un écho « mondial ».

L’homme était éminemment respectable, famille d’intellectuels juifs allemands, diplomate de carrière, ambassadeur de France, mais c’était un vieil homme digne, rien d’autre, avec, comme tous les vieillards, ses obsessions (dont la faute de l’Etat d’Israël à l’égard des Palestiniens, ce qui vaudra à Hessel la haine des sionistes). On savait de lui qu’il était né en Allemagne, à Berlin (le jour du déclenchement de la révolution d’Octobre aimait-il à dire, le 20 octobre 1917).

Naturalisé français en 1937, il fera ses études à l’Ecole alsacienne (il sera bachelier à quinze ans et demi) et à la London School of Economics, s’inscrira à Sciences-Po dont il va détester l’ambiance (il a 18 ans) avant de rejoindre l’hypokhâgne du lycée Louis-le-Grand, être reçu à l’Ecole normale supérieure et décrocher une licence ès lettres. Il a 22 ans quand il se marie (avec Vitia Mirkine-Guetzévitch, juive russe, elle aussi appartenant à une famille intellectuelle, qui lui donnera trois enfants) le 1er novembre 1939 alors que, déjà, la guerre l’a rattrapé.

Mobilisé en 1939-1940, fait prisonnier, évadé, il s’engagera dans les FFL en mars 1941, sera capturé en France où il était en mission pour la Résistance et déporté à Buchenwald puis Dora de juillet 1944 à mai 1945. Fin de la guerre : il est chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire, titulaire de la médaille des évadés et de la Croix de guerre 39-45.

Le 1er octobre 1945, il sera admis au concours spécial d’entrée dans les carrières diplomatique et consulaire et mis à la disposition du Secrétariat général de l’ONU (1946-1950). A l’administration centrale de 1950 à 1955, il sera attaché au cabinet de Pierre Mendès-France en 1955, conseiller du haut-commissaire de France à Saigon (1955-1956), chef du service de coopération technique à la direction générale des affaires culturelles et techniques (1957-1959), directeur de la coopération avec la Communauté et l’étranger au ministère de l’Education nationale (1959-1964). Conseiller des affaires étrangères, il sera détaché au secrétariat d’Etat aux Affaires algériennes à Alger de 1964 à 1968, séjour au cours duquel il sera promu au grade de ministère plénipotentiaire (1965).

De retour à l’administration centrale, il sera nommé chef du service des Nations unies et des organisations internationales (1969-1971) avant d’être détaché auprès du secrétariat général des Nations unies à New York pour y exercer les fonctions de sous-directeur du PNUD (1971-1972). C’est alors qu’il sera chargé de mission au cabinet de Pierre Abelin, ministre de la Coopération. Président de l’Office national pour la promotion culturelle des immigrés, il est, en 1977, nommé ambassadeur auprès des Nations unies à Genève (son seul poste d’ambassadeur). En 1981, il se retrouve délégué interministériel pour la coopération et l’aide au développement. Et se verra élevé à la dignité d’ambassadeur de France

Professionnellement, une image lui colle à la peau : celle de « diplomate du multilatéralisme ». Dès lors sa carrière semblera assez terne ; le multilatéralisme ne prête pas à la flamboyance autant que le bilatéralisme (même si la flamboyance n’est pas la préoccupation du couple Hessel). C’est son engagement social, sans frontières, qui va le promouvoir dès lors qu’il aura quitté le Quai d’Orsay. En 1997, à 80 ans, il publiera son premier livre : « Danse avec le siècle » (éd. Le Seuil), dans lequel il raconte son parcours. On découvrira alors une histoire bien plus complexe que celle que laisse imaginer le CV de l’annuaire diplomatique ou du Who’s Who. Celle de ses parents bien sûr, Frantz et Helen, des intellectuels cosmopolites et anachroniques, bien dans leur peau, mal dans leur temps (ou, peut-être, est-ce l’inverse ?), deux fois mariés, deux fois divorcés, dont les réseaux relationnels sont innombrables et inattendus et remplissent, a écrit Marie Desplechin (Le Monde daté du 4 mars 2011), « désormais les livres d’histoire de l’art ».

Celle de son enfance et de son adolescence, d’un âge adulte très précoce (à 17 ans, il engagera une « relation sentimentale, assidue », avec une amie de sa mère de dix-sept ans son aînée), de la résistance, des camps nazis (dont il a réchappé en endossant l’identité d’un jeune Français mort du typhus, évitant ainsi la pendaison)… Son engagement politique contre le gouvernement d’Israël (qui « bénéficie en effet d’une impunité scandaleuse, alors que depuis des années il bafoue le droit international ») et Nicolas Sarkozy (« des prises de position inconnues depuis Vichy […] Il faut nous débarrasser de Sarkozy en 2012 ») a obtenu plus de visibilité dès lors que « Indignez-vous ! » est devenu un phénomène de l’édition, fin 2010.

Mais cette notoriété aura, au final, occulté bien des aspects plus essentiels (et moins anecdotiques) de la « pensée » de Hessel (même s’il serait indécent de l’ériger en un monument qu’elle ne saurait être : une vie d’exception ne fait pas une pensée d’exception ; il ne s’est d’ailleurs jamais revendiqué en tant que penseur). Notamment sur les questions du développement, de l’immigration, de l’Afrique (au sujet de laquelle il a écrit : « Plus je vieillis, plus l’Afrique m’est nécessaire. J’ai mis du temps à la connaître, mais je l’ai tout de suite aimée »*).

Sa réflexion sur ces sujets sera approfondie dans « Citoyen sans frontières » publié en 2008 (éd. Fayard), livre de conversations avec Jean-Michel Helvig : « Très vite, dira-t-il alors, je suis de ceux pour qui l’Afrique ne doit pas copier le modèle français, ni sur le plan éducatif, ni sur le plan du développement, et pas davantage sur le plan politique […] L’Afrique doit ‘virer sa cuti’, et cette cuti, c’est d’être d’anciens Français, dotés des schémas d’organisation à la française ».

* Dans « Danse avec le siècle », il consacre un chapitre entier à ses différents (et récents) séjours au Burkina Faso.
Stéphane Hessel a été également concerné par « l’affaire Claustre » au Tchad.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 28 février 2013 à 21:06, par Ben En réponse à : Stéphane Hessel :« Plus je veillis, plus l’Afrique m’est nécessaire »

    J’ai l’ai rencontré lors des rencontres de L’alliance Francophone à Paris en 2010 et en 2012. Un grand indigné à 90 ans passé. Dans ses diatribes , l’injustice exploitation, appauvrissement, soumission, asservissement étaient passés aux cribles et sévèrement fustigés...je me rappelle encore, comme hier à la dernière rencontre, c’était le 23 juin 2012 à la Maison de l’Amérique Latine à Paris, malgré le poids de l’âge, le doyen était encore là, et évidemment n’a pu s’empêcher une fois de plus de s’indigner ...je dirai de se révolter. Bravo Stéphane pour la voie que tu nous a indiquée, il ne nous reste en effet...qu’à nous indigner !
    Et merci pour l’amitié que tu as toujours entretenues pour le Burkina depuis que tu l’a décours

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