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Khadiata Pouye, réalisatrice sénégalaise : « L’Etat ne s’implique pas vraiment dans la production cinématographique »

Publié le mardi 26 février 2013 à 21h40min

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Khadiata Pouye, réalisatrice sénégalaise : « L’Etat ne s’implique pas vraiment dans la production cinématographique »

La 23e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) a officiellement ouvert ses portes le 23 février dernier sous le thème : « Cinéma et politiques publiques en Afrique ». Présente à ce festival son film « Cette couleur qui me dérange » dans la catégorie Panorama, Khardiata Pouye est une jeune cinéaste sénégalaise. Elle dénonce dans son œuvre, la dépigmentation pratiquée par les femmes. Revenant sur la place du cinéma dans les politiques publiques dans son pays, elle estime que le gouvernement sénégalais ne soutient pas assez les réalisateurs.

Vous êtes au FESPACO avec un film intitulé « cette couleur qui me dérange ». Quel est le synopsis du film ?

Khadiata Pouye : Le film parle de la dépigmentation en Afrique en général et particulièrement au Sénégal où je vis. Nous avons constaté depuis un certain temps que près de la moitié des Sénégalaises se dépigmentent la peau avec des produits chimiques et cosmétiques qui viennent de divers horizons. Au début, elles se voient belles mais la pratique prend par la suite des tournures catastrophiques. Elles sont par la suite défigurées, elles ont la peau calcinée parce qu’elles voulaient être belles.

Quelles sont les raisons qui poussent les Sénégalaises à se dépigmenter la peau ?

Avant de réaliser le film, j’étais persuadée que les femmes le faisaient pour les hommes. Je pensais qu’elles voulaient être belles pour être vues par les hommes. Mais pendant le tournage, je me suis rendu compte qu’en plus de cet aspect, c’était dû à des faits de société. La situation est paradoxale au Sénégal. Presque tout le monde a la peau noire mais les femmes qui ont gardé leur peau noire ne sont pas très considérées dans la société. Les hommes sont prompts à dire aux femmes à la peau claire qu’elles sont belles et justes mignonnes à celles qui ont la peau noire. Pour donc qu’on leur dise qu’elles sont belles, des femmes au Sénégal sont prêtes à beaucoup. C’est la raison pour laquelle j’ai titré mon film : « cette couleur qui me dérange ».

Il y a une femme qui parle de son cas dans le film. Elle était riche mais lorsqu’elle allait à une soirée, elle n’était pas considérée. Même les cameramen filmaient tout le monde sans elle. Et lorsqu’il restait une minute de bande qu’ils la prenaient en plan large avec tout le monde dans l’image. Elle en était frustrée et a décidé de se dépigmenter. Après cela, elle se sentait mieux considérée qu’avant. Mais actuellement, elle a presque perdu sa peau.

Ce phénomène peut, de votre avis, disparaître de nos pays ?

Peut-être ! Mais il va falloir en amont que nos autorités s’impliquent. Les gouvernants doivent adopter des lois qui interdisent la commercialisation de ces produits dépigmentant qui ont été fabriqués à partir de médicaments utilisés pour soigner des infections de la peau. Les industriels détournent ces produits pour en faire des produits cosmétiques. A force de les utiliser, la peau finit par prendre un coup.

A défaut d’interdire leur entrée dans nos pays, les dirigeants doivent faire en sorte qu’ils ne soient pas très accessibles. Parce qu’aujourd’hui, avec 500 francs CFA, toute personne qui le désire peut s’acheter ce produit au Sénégal. Ils doivent aussi organiser des actions de sensibilisation sur les méfaits de ces produits. Après la projection de mon film au Sénégal, des femmes qui se dépigmentaient ont arrêté et celles qui voulaient commencer y ont renoncé. Car j’ai mis l’accent sur les dangers de ces produits. J’ai voulu créer le sentiment de peur afin de dissuader celles qui voulaient se dépigmenter.

Où se déroule le film ?

L’action du film se déroule dans les différents quartiers de Dakar. J’ai pu y rencontrer plusieurs femmes qui m’ont parlé de leur situation. Je pense que comme beaucoup de films, « Cette couleur qui me dérange » donne des enseignements aux femmes.

Vous avez vu certains films en compétition. Quelle appréciation faites-vous de ces œuvres ?

J’ai vu pour l’instant 5 films en compétition pour l’Etalon du Yennega. Et à mon avis, le jury aura du mal à départager les cinéastes en compétition. Avant de venir à Ouagadougou, j’avais déjà vu le film « Tey » de Alain Gomis. J’étais optimiste que l’Etalon irait cette année au Sénégal. Mais depuis avant-hier, lorsque j’ai commencé à voir d’autres films en compétition, j’avoue que je suis surprise par la qualité. Pour cela, j’attends maintenant de voir qui va remporter l’Etalon de Yennega. Et je peux vous dire que le jury aura fort à faire pour choisir la meilleure œuvre. Car il y a de grands films. Mais j’ose toujours croire que le Sénégal a encore de la chance. Parce que nous avons « Tey » de Alain Gomis, « La Pirogue » de Moussa Touré et deux autres documentaires « Pésident Dia » et « Yoolé » qui sont en compétition dans différentes catégories.

Comment appréciez-vous l’organisation de la 23e édition du FESPACO ?

C’est la première fois que je viens au FESPACO et je trouve que c’est bien organisé. Les salles de projection ont été bien choisies et la répartition a aussi été bien faite. Les organisateurs sont accessibles et ils s’impliquent vraiment pour la réussite de la manifestation.

La 23e édition du FESPACO se tient sous le thème « Cinéma et politiques publiques en Afrique ». Quel est aujourd’hui le rôle de l’Etat sénégalais dans la production des films ?

L’Etat sénégalais ne s’est pas vraiment impliqué dans la production cinématographique. On voit cette année que le gouvernement sénégalais a envoyé une grande délégation conduite par le ministre de la Culture. Il y a aussi le conseiller spécial du président de la république qui fait partie de la délégation. C’est certes un accompagnement pour la participation au FESPACO mais cette stratégie ne traduit pas la réalité sur le terrain. Ce n’est pas vraiment ce qu’on cherche. Nous souhaitons que l’Etat nous accompagne dans la production de nos films. Il ne faut pas attendre que des films soient sélectionnés au FESPACO pour venir faire son show. Tout compte fait je reste optimiste pour la suite car c’est la première fois qu’un ministre de la Culture accompagne les cinéastes. Il y aura, peut-être une prise de conscience à l’issue de l’édition.

Où se situent aujourd’hui les problèmes des cinéastes sénégalais ?

Nous avons de grosses difficultés pour réaliser nos films. Il y a certes une éclosion de jeunes cinéastes sénégalais. Mais il y a d’énormes difficultés pour trouver des financements pour faire un film. La plupart de ceux qui ont présenté une œuvre cette année l’ont réalisé sur financements de structures occidentales comme Fonds Sud ou OIF.

Que faut-il concrètement faire pour le cinéma sénégalais ?

Il devient plus qu’urgent de mettre en place un fonds d’aide aux réalisateurs sénégalais pour la production de leurs films. Comme les gens se débattent pour produire eux-mêmes leurs films, ils sont maintenant obligés de créer ce fonds là pour les soutenir. Il n’y a plus de mais qui tienne. Après avoir vu ici comment les choses se passent, ils seront vraiment obligés d’instaurer une politique de financement des productions. Et je suis convaincue qu’ils le feront.

Jacques Théodore Balima

Lefaso.net

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