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Un chef d’Etat débutant pour la présidence de l’Union Africaine ! Est-ce que ça marchera mieux qu’avec les « vieux » ?

Publié le mardi 29 janvier 2013 à 15h18min

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Un chef d’Etat débutant pour la présidence de l’Union Africaine ! Est-ce que ça marchera mieux qu’avec les « vieux » ?

48 ans, président de l’Ethiopie depuis le vendredi 21 septembre 2012 – voici quatre mois – Hailemariam Desalegn vient d’être promu président de l’Union africaine (UA). Il prend la suite de vieux « routiers » du pouvoir : Yayi, Obiang, Mutharika, Kadhafi, Kufuor, Sassou-Nguesso, Chissano, Mbeki. Et encore, je ne vais pas fouiller dans la mémoire de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), la maison-mère. C’est la première fois qu’un président tout neuf se retrouve propulsé à la présidence de l’OUA/UA.

Mais vu ce que les « vieux » ont fait de cette présidence, je ne peux que me réjouir d’y voir débarquer un « jeune homme » tout nouvellement propulsé à la tête de son pays par des événements indépendants de sa volonté. Ce ne sera pas pire que ce que nous avons vécu, en matière de panafricanisme, depuis cinquante ans (la charte de l’OUA a été signée le 25 mai 1963) : ni le pire ni le meilleur, mais un attentisme qui confine à l’inertie.

Hailé Sélassié avait présidé l’OUA en 1966-1967, Mengistu Hailé Mariam en 1983-1984, Meles Zenawi en 1995-1996. Ils étaient au pouvoir depuis plusieurs années. Depuis que l’UA a pris la suite de l’OUA, sa présidence n’était jamais tombée dans l’escarcelle de l’Ethiopie. C’est donc une première pour Hailemariam Desalegn ! D’autant plus significative qu’il n’est pas une tête d’affiche continentale même s’il a été ministre des Affaires étrangères de son pays, ce qui l’a mis, nécessairement, au contact de ceux qui sont ses pairs aujourd’hui, Addis Abeba étant la capitale de l’Ethiopie et de l’UA. La question se pose, bien sûr, de savoir s’il pourra se donner les moyens de gérer, tout à la fois, son accession au pouvoir en Ethiopie et la présidence de l’UA.

Car Desalegn n’est qu’un héritier inattendu. C’est la mort, le 20 août 2012, de Meles Zenawi (cf. LDD Ethiopie 001/Mercredi 22 août 2012) qui l’a propulsé sur le devant de la scène. La Constitution éthiopienne ne s’étant guère souciée de la transition en cas de disparition brutale du Premier ministre, il a été décidé dans les instances dirigeantes que ce serait le vice-premier ministre qui achèverait le mandat de cinq ans du gouvernement. Ce qui repousse les élections au printemps 2015. Porté à la présidence de l’EPRDF, la coalition au pouvoir depuis 1991, Desalegn a été investi premier ministre par les députés le 21 septembre 2012.

Né en 1965, Desalegn est originaire du Sud de l’Ethiopie, en pays Wolayta (entre le fleuve Omo et le lac Abaya) sur lequel des rois ont régné jusqu’à la conquête de ces territoires par Ménélik II à la fin du XIXème. C’est à Boloso Sore qu’il fera ses études primaires et secondaires avant de rejoindre l’université d’Addis Abeba puis de se rendre en Finlande, à l’université de Tampere, à quelques encablures du cercle polaire arctique. Alors qu’il mène une carrière administrative dans l’enseignement supérieur, il va s’affirmer comme un des leaders de l’EPRDF de Zenawi pour la région Sud avant de prendre la vice-présidence du tout puissant parti gouvernemental (il revendique 5 millions de membres, encadre toutes les activités politiques, économiques, sociales, culturelles et domine l’Assemblée nationale où il détient pratiquement 100 % des sièges dans le plus pur style des bureaucraties staliniennes).

Elu député en 2005, nommé conseiller spécial (en charge de l’organisation publique) de Zenawi, intégré au gouvernement en 2008 au poste de ministre chargé de la… Discipline gouvernementale, c’est en 2010, alors que l’EPRDF est devenu totalement hégémonique dans la vie politique du pays, que Desalegn a été promu vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères.

Desalegn va avoir la rude tâche de mener de front son installation à la tête de l’Ethiopie, dans un contexte géopolitique délicat (Soudan du Sud, Somalie, Kenya…) – sans parler des luttes politiques qui risquent fort de s’exacerber en Ethiopie dans la perspective des élections de 2015 – et sa mission de président de l’Union africaine, dans un contexte géopolitique qui n’est pas plus favorable, loin de là. Plus encore avec une présidente de la Commission qui est, tout comme lui, une débutante (la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini Zuma n’a obtenu sa nomination qu’en juillet 2012). Ajoutons à cela que la « culture » qui prévaut à Addis Abeba n’a rien à voir avec celle en vigueur à Pretoria, mais que les deux capitales, l’une à l’Est l’autre au Sud du continent, sont des pôles régionaux majeurs non dénués d’ambitions.

Le président sortant, le Béninois Thomas Boni Yayi, a fait, cette année, l’expérience du « bazar » que peut être l’UA. Alors que l’année 2012 devait être électoralement calme (après un début de décennie 2010 marqué par une succession de présidentielles dont certaines à risques), les morts de John Atta Mills au Ghana et de Meles Zenawi en Ethiopie ont changé la donne. Mais les maux de l’Afrique sont venus d’ailleurs ; non pas de la question de l’alternance politique (qui avait pourri la situation en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Niger, au Sénégal… en 2010-2011) mais des rebellions : rien d’étonnant à cela en RDC, du côté du Nord-Kivu, un cancer qui ronge la région des Grands Lacs depuis deux décennies ; rien d’étonnant non plus en RCA, en Guinée Bissau, au Soudan... Mais c’est dans un pays d’Afrique de l’Ouest présenté comme un modèle de stabilité, de démocratie et d’alternance réussie, que le pire s’est produit. Le Mali a été confronté, en l’espace d’un an, à une « rébellion » intérieure, un coup d’Etat militaire, une sécession territoriale, une invasion de groupes islamistes radicaux, une guerre menée par une puissance étrangère…

Boni Yayi a dû gérer cette « affaire malienne » (qui l’a concerné au premier chef, le Bénin étant tout comme le Mali membre de la Cédéao) alors qu’il lui fallait, dans le même temps, solutionner la question de la présidence de la Commission de l’UA, autant dire avec une administration panafricaine en panne (si tant est qu’elle soit, parfois, en état de marche). D’où un « constat amer » : l’UA, a-t-il dit lors de son discours d’ouverture du sommet d’Addis-Abeba, le 27 janvier 2013, « s’écarte de plus en plus de ses objectifs », dénonçant « le cloisonnement », « la faible synergie entre les Etats d’une même région et d’une région à une autre », « une situation déplorable » et des « dysfonctionnements ». Il s’est interrogé sur la partition que doit jouer chacun des présidents : celui de l’UA, celui de la Commission, celui du Conseil de paix et de sécurité, afin d’éviter, dit-il, « la confusion » qui règne actuellement. Il a appelé à la constitution d’une « Task Force » composée de « hautes personnalités africaines » pour penser une « nouvelle gouvernance de l’Union » (y compris pour ce qui est du Parlement panafricain).

Faisant l’impasse sur la totalité des dossiers chauds du continent (y compris la RCA qui a fait l’objet d’un « dialogue » initié par Ali Bongo Ondimba à Libreville), Boni Yayi s’est appesanti non pas tant sur « l’affaire malienne » que sur l’implication de la France sur le terrain : « La France a fait ce que nous aurions dû faire face au terrorisme international », a-t-il déclaré en substance. On se souvient de l’indécente déclaration du président en exercice de l’UA après que la France soit entrée en guerre, à Kona, le vendredi 11 juillet 2013 : « Je suis aux anges ». Qui n’était que le constat d’échec des « Africains » dans la gestion de cette affaire (et plus encore sa résolution). Constat d’échec général revendiqué par tous les participants au sommet d’Addis Abeba qui ont mis, cette fois, dans leur poche, bien profond, leur indéfectible attachement à la souveraineté des pays africains.

Une UA unanime face à la guerre engagée par la France au Mali est une UA en miettes. Cinquante ans après la fondation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), plus de dix ans après celle de l’Union africaine, il faut bien se rendre à l’évidence : ça ne marche pas parce que personne n’a envie que ça marche. Reste à savoir ce que Desalegn va pouvoir tirer de ce « bazar » et dans quelle mesure l’axe Addis Abeba/Pretoria (débarrassé, chose rare, des « francophones ») va pouvoir relancer une institution panafricaine à bout de souffle.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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