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Charles Blé Goudé. Métamorphose du « Jeune Patriote » en apôtre de la « réconciliation » ivoirienne (2/2)

Publié le mardi 22 janvier 2013 à 13h00min

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Charles Blé Goudé. Métamorphose du « Jeune Patriote » en apôtre de la « réconciliation » ivoirienne (2/2)

Au printemps 2007, Charles Blé Goudé « saluera » l’accord de Ouagadougou comme il avait salué celui de Pretoria : « Nous avons le devoir de montrer au reste du monde que les Africains sont capables de surmonter leurs contradictions » (Sidwaya du 17 décembre 2007). Le discours lénifiant qu’il ne cesse de tenir lui vaudra d’être nommé « ambassadeur de la paix et de la réconciliation » le vendredi 4 mai 2007.

S’entretenant avec Fabienne Pompey (Jeune Afrique – 31 mai 2009), à la veille de ce qui devait être la présidentielle 2009, il dira : « J’ai été le premier à demander pardon pour tout ce que j’ai pu faire moralement et physiquement » ; il ajoutera : « Si je devais refaire les choses, nous organiserions autrement la résistance. J’éviterais de tenir des propos à l’endroit d’un groupe ethnique ou d’un groupe religieux ». Cerise sur le gâteau : « Je n’envisage même pas que mon candidat [Gbagbo] perde [la présidentielle]. Certains disent que si Gbagbo perd, nous descendrons dans la rue. C’est faux ! Nous n’avons pas été éduqués comme ça ». Mais quelques années auparavant (Jeune Afrique – 25 janvier 2004), il disait au sujet d’Alassane D. Ouattara : « Pouvons-nous confier notre pays à quelqu’un dont on ne connaît ni les origines ni les intentions réelles ? Je ne le pense pas ».

Le 5 novembre 2010, Blé Goudé va être nommé ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi dans le gouvernement fantoche de Gilbert Marie Aké N’Gbo sous la « présidence » de Gbagbo au lendemain de la présidentielle (cf. LDD Côte d’Ivoire 0281/Jeudi 9 décembre 2010). Dans le quotidien privé burkinabè L’Observateur Paalga, San Evariste Barro écrira que c’est « franchement une prime à l’agitation » pour ce « propagandiste parfois haineux » propulsé là par son sponsor : Simone Gbagbo (L’Observateur Paalga ne se trompait pas dans la hiérarchie familiale : il appellait Gbagbo, « le mari de Simone »).

De mon côté, j’écrivais alors (cf. Côte d’Ivoire 0283/Lundi 20 décembre 2010) : « Ne nous y trompons pas non plus. Blé Goudé peut bien rassembler les « Jeunes Patriotes » pour dénoncer la volonté « génocidaire » de la France en Côte d’Ivoire, réclamer le départ de Licorne et de l’ONUCI, ce n’est qu’un rideau de fumée. Blé Goudé n’est qu’une marionnette pour détourner l’attention. Les « Jeunes Patriotes » s’agitent devant les télés tandis que les Gbagbo réactivent les vrais acteurs de la répression contre les « houphouëtistes » (ou considérés comme tels) : les « escadrons de la mort » et autres mercenaires ont repris du service, la nuit, dans les quartiers d’Abidjan pour mener leur sale besogne ! ».

Dans un entretien avec Arnaud Vaulerin (Libération du lundi 20 décembre 2010), Blé Goudé fustigera le chef de l’Etat français, Nicolas Sarkozy (« Le président ivoirien n’est pas un sous-préfet français. Sarkozy doit comprendre qu’il n’a aucun ordre à donner à la Côte d’Ivoire »), le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon (« L’ONU s’écarte largement de sa mission. A partir de là, elle doit comprendre la nécessité de quitter la Côte d’Ivoire »), les ex-premiers ministres Guillaume Soro et Alassane D. Ouattara (« Messieurs Ouattara et Soro ont accepté d’aller se mettre en prison de manière volontaire dans la République hôtelière du Golf. C’est la plus petite République du monde. Cela n’engage qu’eux. Nous, nous faisons en sorte que cette crise là soit un souvenir ».

L’affrontement post-électoral lui convient mieux que la gestion quotidienne des affaires de la République (à laquelle, d’ailleurs, il ne s’est jamais consacré). Blé Goudé rêve d’un destin national : « Si je ne deviens que Premier ministre, je n’aurai pas réussi ma vie » a-t-il dit, fixant « rendez-vous à Soro pour la présidentielle 2015 » (Pascal Airault - Jeune Afrique du 27 février 2011). Rendez-vous que, manifestement, il ne pourra pas honorer. Le 11 avril 2011, Gbagbo et Simone sont capturés (« Cela m’a rappelé Patrice Lumumba livré aux hommes de Mobutu et de Tshombé […] Je demande aux Africains de retenir cette date du 11 avril : l’Histoire s’est répétée » - entretien avec Pascal Airault et Philippe Perdrix, Jeune Afrique du 5 juin 2011).

Blé Goudé a « pris ses dispositions », de la Gambie au Ghana en passant par le Togo et le Bénin, il sera signalé partout. De son « exil », il contactera la presse pour bâtir sa légende : « Si quelqu’un doit être récompensé et félicité pour ses activités en faveur de la paix, c’est Blé Goudé Charles. Il faut le reconnaître humblement. J’ai permis à la Côte d’Ivoire d’éviter la catastrophe à plusieurs reprises. Malheureusement, ce n’est pas reconnu » (entretien avec Pascal Airault et Philippe Perdric, cf. supra). « Mes ambitions politiques demeurent intactes et sont plus que jamais justifiées » dira-t-il, souhaitant devenir le candidat des Jeunes Patriotes à la prochaine présidentielle. Alors qu’il sera considéré comme l’initiateur d’une tentative de coup d’Etat dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire au printemps 2012, il fera une « mise au point » : « Les pratiques putschistes sont aux antipodes de la philosophie qui fonde mon engagement en politique. Mon unique arme de combat demeure la parole ».

Va-t-il pouvoir utiliser cette « arme » maintenant qu’il a été extradé à Abidjan ? Blé Goudé est un électron libre… encore vivant ; d’autres ont disparu de la scène. Son nom est lié à l’histoire des deux dernières décennies de la Côte d’Ivoire. C’est un activiste. Rien à voir avec la flopée d’opportunistes qui ont fait sinon carrière tout au moins fortune, la main droite pour tenir ouverte la portière de la Mercedes dans laquelle ils s’engouffrent, la main gauche dans les caisses de l’Etat (ceux que Blé Goudé appelle les « postophiles »). Blé Goudé, quoi qu’il en dise, a fait, lui aussi, fortune. Mais il a été « au charbon », dans des conditions limites, bien plus que d’autres. Ce qui ne justifie rien. Son retour sur la scène ivoirienne se situe à un moment crucial pour le pays.

Dans son 31ème rapport périodique, le chef de l’ONUCI et représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, Bert Koenders a « appelé à des progrès dans les domaines de la réforme du secteur de la sécurité, du dialogue politique et de la réconciliation ». Il a « souligné la nécessité d’améliorer la gouvernance, la justice et les droits de l’homme » mais aussi « la vulnérabilité des organes de maintien de l’ordre et, en conséquence, l’importance qu’il y a à accorder la priorité à la réforme du secteur de la sécurité ». Situation tendue alors qu’au 18 décembre 2012, « la composante militaire de l’ONUCI était de 9.550 hommes, dont 9.275 membres du contingent, 178 observateurs militaires et 97 officiers d’état-major ».

Joël Poté, président intérimaire du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP), l’a dit hier, dimanche 20 janvier 2013, lors d’une conférence de presse au bar Le Baron de Yopougon* : « Son arrestation va accroître les rancœurs et la méfiance entre les Ivoiriens et constituer un obstacle pour le retour d’un climat social apaisé ». Poté a lancé un appel aux « exilés » : « Il n’y a rien en exil. L’histoire de la souveraineté c’est Laurent Gbagbo et l’avenir c’est Blé Goudé ». Poté rappelle également que Blé Goudé a été « l’initiateur du récent dialogue de Dakar entre le pouvoir et le FPI » (dialogue dans lequel s’est investi le président Macky Sall sous la férule de Stéphane Kipré, gendre de Gbagbo et proche de Blé Goudé). Reste à savoir ce que le pouvoir compte faire, désormais, de Blé Goudé à Abidjan : l’inculper, le juger et l’emprisonner au nom du passé ; ou le réinsérer dans le jeu politique au nom de l’avenir et du « dialogue politique ». Quel que soit le choix, il est à risques… !

* Le bar-dancing Le Baron, à Yop, quartier emblématique de l’opposition aux « Houphouëtistes » et, désormais, de soutien à Laurent Gbagbo, a été le QG de la culture musicale de l’Ouest de la Côte d’Ivoire, rue Princesse, avant de devenir une salle de réunion. Le Congrès panafricain des jeunes et des patriotes (COJEP) est devenu Congrès panafricain pour la justice et l’égalité (COJEP) à l’issu de son congrès de décembre 2012 et se présente désormais comme un « mouvement politique ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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