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L’escamotage du Premier ministre du Mali : Un « flip flap » annonciateur d’un prochain bouleversement ? (2/2)

Publié le lundi 17 décembre 2012 à 14h35min

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L’escamotage du Premier ministre du Mali : Un « flip flap » annonciateur d’un prochain bouleversement ? (2/2)

En l’espace de quelques heures, le capitaine Amadou Haya Sanogo dégage en touche le premier ministre Cheick Modibo Diarra tandis que le président par intérim, Dioncounda Traoré, nomme, sans coup férir, son successeur : Diango Cissoko. Tout cela s’est déroulé à Bamako alors qu’à Ouagadougou venait de se tenir le premier « sommet » du « dialogue inter-malien » et qu’à Rome venaient de se réunir, autour du représentant spécial pour le Mali du secrétaire général des Nations unies, le ban et l’arrière ban de ceux qui gardent, en Afrique comme ailleurs dans le monde, un œil (et plus souvent les deux) sur ce dossier politique, diplomatique et militaire (cf. LDD Mali 054/Mercredi 12 décembre 2012).

Qui peut penser que tout cela relève de ce « hasard objectif » cher aux Surréalistes ? Ce remarquable « flip flap » - geste technique footballistique - permet au Mali de changer de trajectoire politique. Sans drame. Diarra, opposé au « dialogue inter-malien » (je rappelle que c’est son ministre des Affaires étrangères qui avait représenté le Mali à Ouagadougou, le 4 décembre 2012) et « va-t-en guerre » sans nuances, voit d’un seul coup sa carrière politique sérieusement remise en question. « Il était quand même le point de blocage » souligne son « tombeur », le capitaine Sanogo. Un Sanogo qui, du même coup, revient sur le devant de la scène politique en un temps où il récupère les armes qui, depuis plusieurs mois, étaient sous embargo au port de Conakry. Traoré, le chef de l’Etat – dont Sanogo, pour l’instant, ne remet pas en cause le leadership – se voit ainsi renvoyer l’ascenseur, lui qui, voici quelques mois, avait remis en selle le putschiste en le nommant à la tête du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité.

Timing parfait. La nomination dans la foulée d’un nouveau premier ministre a coupé l’herbe sous le pied à tous les commentateurs prêts à hurler au coup de force militaire. Le nouveau promu n’est pas un nouveau venu. Il avait émergé sur la scène du Mali post-22 mars 2012 à la suite des événements du 30avril/1er mai 2012. Les commentant le mercredi 2 mai 2012, dans le cadre de son adresse à la Nation, Diarra avait dit alors : « Nous avons assisté à une tentative de déstabilisation du pays ces dernières 48 heures qui se sont soldées par une victoire, en tout cas temporaire, pas complète encore, de notre armée et de nos forces dé sécurité ». Une « déstabilisation » dont Diarra, alors, ne dira rien, si ce n’est qu’elle était le fait « d’éléments en civil et armés ». La veille, à l’occasion du premier conseil des ministres (30 avril 2012) tenu par Diarra, Diango Cissoko avait été chargé de « mener la discussion avec le Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat (CNRDRE, junte militaire) sur le rôle qui doit être le sien pendant la transition ».

Cissoko, originaire de Djidian (cercle de Kita, dans l’Ouest du Mali), docteur en droit (doctorat de 3ème cycle + doctorat d’Etat, les deux* obtenus à l’université de Rouen), a débuté sa carrière d’administrateur civil dans les services pénitentiaires (il a été le directeur de la prison centrale de Bamako), a été ministre de la Justice, Garde des sceaux (1984-1988), secrétaire général de la présidence de la République (avec rang de ministre) du 15 février 1988 jusqu’au 26 mars 1991, jour de la chute du régime de Moussa Traoré. Une chute qui a été fatale à sa carrière. Il va connaître alors une longue traversée du désert.

Sa traversée du désert, il la vivra en tant que « consultant » ; ce qui signifie en clair qu’on n’a pas de boulot mais que, malgré tout, on entend encore gagner de l’argent grâce à son carnet d’adresses et aux services rendus par le passé. Et cela jusqu’à sa nomination, le 13 novembre 2002, comme directeur de cabinet (avec rang de ministre) du premier ministre. Amadou Toumani Touré venait de conquérir le pouvoir (par les urnes cette fois) et avait nommé à la primature un Touareg : Mohamed Ag Hamani. Cissoko restera directeur de cabinet du premier ministre jusqu’au 28 janvier 2008 (c’est Modibo Sidibé qui était alors premier ministre), date à laquelle il sera nommé secrétaire général de la présidence de la République. En mai 2011, il obtiendra le poste de Médiateur de la République.
Diarra était une formidable « image de marque » (même si certains pensent qu’elle était quelque peu surfaite) mais pas assez dans l’air du temps qu’il fait actuellement à Bamako pour s’imposer dans le rôle qui lui avait été confié. Pour parler franc, il y avait des moments où il semblait débarquer de la planète Mars et n’être pas conscient des réalités maliennes. Sauf à organiser, là où il se trouvait (et s’y trouvait bien), son devenir politique et « social ».

Cissoko, Premier ministre, voilà qui donne (jusqu’à quand ?) un peu plus de cohérence à l’exécutif malien. Diarra était redevable à Sanogo d’avoir mené à bien le « contre coup d’Etat » du 1er mai 2012. Cissoko lui doit son job de premier ministre. Traoré, qui reste en place après avoir été dans le collimateur de Sanogo (ce qui lui a valu une longue hospitalisation en France, il ne faut pas l’oublier), peut se réjouir que le « Captain Putsch » l’ait débarrassé d’un premier ministre handicapant et lui ait permis d’introniser rapidement un nouveau chef de gouvernement. Mais dans cette affaire, le plus grand dénominateur commun s’appelle Sanogo. Ne faut pas l’oublier !

La perspective de livraisons d’armes et l’arrivée de formateurs militaires de l’Union européenne remettent les militaires maliens sur le devant de la scène. Pour eux, c’est l’occasion de « redorer leur blason » s’ils veulent avoir un avenir politique et social au Mali (n’oublions pas que ATT était général !) et de prendre quelque peu en otages le président de la République et le Premier ministre. Ce qui, bien sûr, ne résoudra pas la « crise malo-malienne ». Mais ce n’est pas une préoccupation majeure à Bamako ; après tout, c’est Sanago qui, le 22 mars 2012, a provoqué l’effondrement de l’Etat malien (même s’il était déjà bel et bien rongé de l’intérieur et de l’extérieur). Il faudra attendre la formation du nouveau gouvernement (que Cissoko promet dans les prochaines heures) pour savoir quel est le nouveau rapport de forces au Mali. Le pays est aujourd’hui traversé de multiples contradictions.

La médiation menée par la Cédéao sous la férule des Burkinabè ne fait pas l’unanimité (mais les Maliens ne doivent pas perdre de vue que c’est leur pays qui est coupé en deux et non pas le Burkina Faso). Le « dialogue inter-malien » est perçu comme une concession aux revendications séparatistes des Touareg, par ailleurs responsables du massacre de soldats maliens à la veille de la déclaration de « guerre » du MNLA à Bamako. La question de la mise en œuvre d’un corps expéditionnaire de la Cédéao au Mali ne fait pas non plus l’unanimité ; chacun est conscient que si l’armée malienne avait été capable de bouter la « rébellion » hors du territoire national, elle l’aurait déjà fait ; faut-il pour autant permettre à des troupes étrangères d’intervenir ?

Les Maliens ont désormais des exigences qu’ils ne formulaient pas avec autant d’assurance avant que l’état de déliquescence de leur armée et de leurs institutions n’apparaisse au grand jour. Dans le même temps, chacun est conscient qu’il faut aider le Mali à s’en sortir et que la responsabilité est collective. Même si, comme me le faisait remarquer l’ambassadeur du Mali au Burkina Faso, Mamadou Traoré, « il y a trop de mains dans cette affaire malienne ». Et, surtout, trop de mains sales… !

* Sa thèse de doctorat de 3ème cycle (décembre 1981) portait sur « la coopération policière internationale – Contribution à l’étude de la condition juridique de l’Organisation internationale de police criminelle – Interpol). Sa thèse de doctorat d’Etat (octobre 1985), publiée en novembre 1986 dans la collection des Publications de l’Université de Rouen (PUR), est intitulée : « La fonction publique en Afrique noire. Le cas du Mali ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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