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Les « Assises nationales » au Burkina Faso. Un an après… ! (1/3)

Publié le jeudi 13 décembre 2012 à 18h15min

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Les « Assises nationales » au Burkina Faso. Un an après… ! (1/3)

Il y a un an, le mercredi 7 décembre 2011, 1.510 citoyens burkinabè se réunissaient dans l’enceinte du Palais des sports de Ouaga 2000. Il s’agissait d’examiner et d’adopter, « en toute souveraineté », les propositions du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP).

Le CCRP, qui rassemblait des représentants des partis de l’opposition et de la majorité, des religieux, des coutumiers ainsi que des membres de la société civile, s’était réuni du 23 juin au 14 juillet 2011, et avait pour tâche de « créer de nouveaux cadres d’expression et de liberté », « d’améliorer la gouvernance dans le sens d’une rééquilibrage des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire », enfin « d’améliorer la gouvernance électorale ».

Blaise Compaoré avait été réélu, sans surprise et sans enjeu, en novembre 2010, dans une indifférence d’autant plus totale (mais avec un score flamboyant : plus de 80 % des suffrages exprimés) que les Burkinabè (et l’Afrique de l’Ouest en général) n’avaient d’yeux que pour la présidentielle… ivoirienne dont le deuxième tour opposait Alassane D. Ouattara à Laurent Gbagbo. Alors que le grand voisin sombrait dans le chaos post-électoral, le Burkina Faso allait connaître une crise majeure, particulièrement dramatique pour la population : vols, viols, meurtres… les régiments, y compris la garde présidentielle, s’étant mutinés. Dans un contexte régional et africain délicat, on pouvait craindre le pire. Mais le Burkina Faso a trouvé en son sein l’énergie et les voies et moyens d’éradiquer une crise annoncée. Le gouvernement de Tertius Zongo, reconduit quelques mois auparavant, allait faire les frais de ces semaines d’émeutes sanglantes. C’est Luc Adolphe Tiao, jusqu’alors ambassadeur à Paris, qui allait prendre sa suite.

Bongnessan Arsène Yé était nommé ministre chargé des Relations avec le Parlement et des Réformes politiques ; avec le titre de ministre d’Etat. C’est lui qui va avoir la mission de mener à bien les travaux du CCRP et, dans la foulée, le bon déroulement des « Assises nationales ». Yé (cf. LDD Burkina Faso 0241/Lundi 17 janvier 2011), médecin-militaire, vieux baroudeur du Front populaire, a été le « Monsieur Politique et Organisation » du Burkina Faso post-révolutionnaire avant de s’ériger en « Monsieur Renforcement de la Démocratie et de l’Etat de droit » dès lors qu’il aura présidé la commission constitutionnelle chargée de l’élaboration de l’avant-projet de Constitution de la IVème République (adoptée le 2 juin 1991). Depuis qu’il a délaissé le petit foulard rouge noué autour du cou, Yé porte en bandoulière l’article 37 de la Constitution. Le « 37 » limite à deux le nombre de mandats du président du Faso. Autrement dit, dans le contexte actuel, le billet de Compaoré n’est plus valable au-delà de fin 2015. C’est dire que le « 37 » est au cœur du débat politique et que l’opposition considérera qu’on l’a retrouvé, en 2011, au cœur de la contestation. Ce qui est politiquement et socialement faux.

Pour Yé, à l’instar du parti présidentiel, le CDP, le « 37 » est « une sorte d’entrave à l’expression de la volonté populaire ». Et dès que le tonitruant ministre d’Etat apparaît quelque part, chacun pense qu’il va, à nouveau, le brandir tel un sceptre royal. Ou un paratonnerre. Tant qu’on ne sait pas si, l’ayant jeté aux orties, Compaoré sera ou ne sera pas candidat à la présidentielle 2015, personne n’osera, dans l’entourage du chef de l’Etat, réclamer l’héritage. Et Yé pourra ainsi proclamer, comme à l’ouverture des travaux du CCRP : « Nous ne sommes pas ici pour réviser l’article 37 pour que Blaise Compaoré s’éternise au pouvoir ».

Yé, qui sait d’où il vient, n’est pas homme à « injurier l’avenir ». Son titre de docteur et les ouvrages politiques à son actif (dont « Profil politique de la Haute-Volta coloniale et néo-coloniale ou les origines du Burkina Faso révolutionnaire », écrit dès 1985) ont fait oublier aux jeunes générations qu’il était docteur… en médecine et officier supérieur (il était capitaine au temps de la « Révolution ») ; il est vrai que son diagnostic politique doit être, désormais, plus crédible que son diagnostic médical : depuis un quart de siècle il s’est illustré dans les partis (il a présidé l’ODP/MT et le CDP), à l’Assemblée nationale (qu’il a présidée de juin 1992 à juin 1997), au gouvernement. Il refusera de présenter le CCRP et les « assises nationales » comme la réaction aux événements de 2011 (« des manifestations violentes jamais égalées » dira-t-il) ; il va les inscrire dans la continuité de l’action présidentielle : « Nous ne cesserons jamais de le répéter et de le dire, le point de départ c’est l’appel du chef de l’Etat […] Je crois qu’il faut situer clairement les choses dans leur cadre. Si on sort de ce cadre, on est perdu. Le premier appel officiel qu’il a lancé, c’était le 11 décembre 2009 à Ouahigouya, lors de la fête nationale. Et depuis lors, chaque fois qu’il avait l’occasion de s’adresser à la nation, il le rappelait. Pendant la campagne présidentielle, comme vous avez dû le remarquer, les réformes politiques ont occupé une place importante et il a échangé, chaque fois qu’il le pouvait, avec les différentes composantes sur la question » (entretien avec Cheick Ahmed et Idriss Birba – L’Opinion du jeudi 23 juin 2011). Pas de rupture, pas de changement de cap, pas même de louvoyage, le vaisseau ADP trace sa route avec Compaoré à la barre et Yé (lassé, parfois, de jouer au « naufragé volontaire ») à la vigie, les yeux fixés sur l’horizon… 2015.

Il y a donc trois ans (11 décembre 2009), Compaoré appelait aux réformes politiques ; il y a un an (7 décembre 2011), les « Assises nationales » étaient organisées pour les mettre en forme dans un cadre aussi consensuel que possible. Le vendredi 27 avril 2012, à Paris, j’avais interrogé Yé sur la nécessité qu’il y avait à organiser des « Assises nationales » pour définir les réformes politiques nécessaires à la prise en compte de l’évolution du Burkina Faso. N’y avait-il pas, pour cela, une Assemblée nationale où siègent les représentants du peuple ? N’était-ce pas affirmer que les institutions ne jouaient pas leur rôle ? Yé reviendra aux fondamentaux de la politique de Compaoré : « Les grandes décisions doivent être prises dans le cadre d’un consensus large. C’est le désir qui a animé le président du Faso dès son premier mandat. Or, au sein de l’Assemblée nationale, l’ADP et ses alliés sont largement majoritaires : y débattre des grandes décisions reviendrait à discuter entre nous. Il fallait donc trouver un cadre plus large qui ne soit pas limité aux seuls partis politiques ayant des députés ; les petits partis, ceux qui sont pour l’instant exclus du jeu démocratique, peuvent, eux aussi, avoir des idées intéressantes. Et puis il y a les coutumiers et les religieux dont le rôle est très important à tel point que, chaque fois qu’il y a une crise, nous sommes obligés de recourir à eux. Il y a, aussi, ce que l’on appelle la société civile ». Yé n’est d’ailleurs pas fan de la « société civile » ; il la trouve « très politisée » et estime qu’elle sert de « camouflage » à des « courants […] qui n’arrivent pas à percer sur le terrain politique et qui espèrent, ainsi, peser sur la conduite des affaires » (L’Opinion – cf. supra).

Les « Assises politiques » seront ouvertes par Tiao qui avait dû abandonner le costume d’ambassadeur du Burkina Faso en France pour endosser celui de Premier ministre. Il s’était dit « bouleversé, étonné, écœuré » par ce qui s’était passé quelques mois auparavant. « Il faut retrouver nos valeurs, l’intégrité devant être au centre de nos préoccupations », « engager des réformes », « renforcer les institutions », « réformer la justice », « améliorer la gouvernance », « résoudre coût que coûte le problème de la jeunesse qui a besoin de rêver et le droit de rêver ». Tout cela, il l’avait dit à Paris lors du dîner d’au-revoir aux amis français du Burkina Faso (cf. LDD Burkina Faso 0260/Lundi 11 juillet 2011). Devant les délégués des « Assises politiques », il se dira : « Convaincu que la démocratie est une construction permanente et sujette à des réajustements continus, les présentes Assises nationale doivent demeurer, en toute circonstances, l’instance d’approbation des propositions faites par le CCRP et enrichies par toutes les régions du Burkina ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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