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Le « sommet de Ouagadougou » permettra-t-il de trouver une porte de sortie à la crise malienne ? (5/5)

Publié le lundi 17 décembre 2012 à 14h33min

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Alassane D. Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire et président en exercice de la Cédéao était à Paris ces jours derniers (et à Cannes ces jours-ci). Les mauvaises langues ivoiriennes diront qu’il y a était déjà le mois d’avant, et celui d’avant, et les autres encore et encore. ADO est un haut fonctionnaire international que des événements politiques auxquels il entendait rester étranger ont muté en homme politique et, finalement (et non sans mal) en président de la République. Il est désormais un « en haut d’en haut », normal il n’a jamais été autre chose ; a un formatage de « fonctionnaire » et est resté « international ».

Cette « internationalité » - oh ! c’est un mot qui traduit bien les pérégrinations que certains lui reprochent – il l’a exprimée à l’issue de son entretien avec François Hollande à l’occasion de son séjour parisien. « Nous sommes complètement en phase avec le président Hollande qui nous apporte son soutien ». De quoi s’agit-il ? Du plan de reconquête militaire du Nord du Mali, occupé par les islamistes armés, adopté par les chefs d’Etat des 15 pays membres de la Cédéao le 11 novembre (pas vraiment un jour pour déclarer la guerre) à Abuja : 3.300 soldats pour une durée d’un an ! Optimiste ou irréaliste ?

Mais Alassane est impatient : « Il faut bien sûr le dialogue politique mais une intervention militaire me paraît indispensable et dans les meilleurs délais ». « La question malienne est une question urgente », a-t-il dit ; « très grande urgence », a-t-il même précisé. « Les forces ouest-africaines et africains sont quasiment prêtes et le nombre [de soldats] par pays a été arrêté ces jours-ci ». Ne manque plus que la résolution des Nations unies. Pas chaudes. Ou réalistes. Ou, encore, conscientes de l’inanité militaire et politique de cette « opération ». D’ailleurs, Alassane ne manque pas de « ménager la chèvre et le choux » (son ministre de l’Intégration africaine, Ally Coulibaly, était, pendant ce temps, à Ouagadougou pour participer au sommet de fondation du « dialogue inter-malien ») : « Nous attendons la résolution des Nations unies pour préparer nos forces pour une intervention si le dialogue politique n’aboutit pas ». Il a ajouté dans la foulée : « La question malienne est d’abord une question africaine, ouest-africaine ».

Boum. La déclaration d’Alassane sur le perron de l’Elysée a eu l’effet désiré. Abdelmalek Droukdel, leader d’AQMI, s’est aussitôt engouffré dans la brèche ouverte par le « nous sommes en phase avec le président Hollande ». Dont Droukdel dit : « Il est plus dangereux que Sarkozy, il tombe dans une contradiction flagrante en préparant la guerre et en creusant les tombes des Français. S’il avait parmi les otages certains proches, il ne mettrait pas leur vie en danger ». Il ajoute : « Si vous voulez la guerre, le Sahara sera un grand cimetière pour vos soldats ». Pour que tout le monde comprenne bien le message, la vidéo diffusée par AQMI était titrée : « L’invasion du Mali : une guerre française par procuration ». Si Abidjan est proche de Paris, Bamako serait ainsi bien éloignée de la capitale française ? Pas du tout : Droukdel, dans un message aux Maliens, les invite à « épouser les idées du groupe Ansar Dine [partie prenante au « dialogue inter-malien » de Ouagadougou], d’imposer la charia même dans la partie Sud du Mali ». Et pour faire peur à tout le monde, il promet que « le conflit peut durer, nous sommes des combattants ». Tout est dit. A Paris comme quelque part dans les sables du « corridor sahélo-saharien ».

L’Ivoirien Ouattara avait à peine tourné les talons que le Tchadien Idriss Déby Itno entrait à l’Elysée. Déby est, dans une Afrique où le pouvoir est majoritairement entre les mains de civils parvenus au pouvoir par la voie des urnes (même si elles étaient parfois bourrées de… mauvaises intentions), le seul chef d’Etat qui ait été, d’abord, un chef de guerre. Et tout le monde lorgne vers le savoir-faire (malgré tout ancien) de son armée dans les sables du désert (il faut rappeler que lors des dernières rébellions contre N’Djamena c’est l’armée… française qui l’a emporté). Déby, quant à lui, voit dans l’affaire une belle opportunité d’obtenir, avec le sang des autres, la reconnaissance de ses pairs d’Afrique de l’Ouest (le Tchad est parfois à l’étroit dans le cadre des institutions d’Afrique centrale sur lesquelles la minuscule mais richissime Guinée équatoriale a lancé une OPA). Et, dans le même temps, d’affirmer son « incontournabilité » auprès de ceux de la « communauté internationale » qui sont prêts à s’engager dans une « opération militaire » au Nord-Mali. Déby, autrefois fustigé par son « opposition », épinglé par la « communauté internationale » et les ONG, serait donc en passe de se refaire une virginité.

Déby était donc à Paris, le mercredi 5 décembre 2012, chez le « socialiste » François Hollande. Timing bien géré. Le procès des zozos de « L’Arche de Zoé » (enfin de ceux qui n’ont pas pris la poudre d’escampette) lui a permis, au passage de réclamer 6 millions d’euros d’indemnités pour les… familles des enfants que « l’ONG » avait tenté d’escamoter en 2007. A Paris, Déby a dit, par ailleurs, qu’il était dans un état de « confusion totale » concernant la situation au Mali. La Cédéao veut la guerre avec l’onction de l’ONU qui est plus que circonspecte sur le sujet tandis qu’à Ouagadougou un « dialogue inter-malien » se met en place. D’où la « confusion » de Déby. Séni Dabo relève dans Le Pays de ce matin (vendredi 7 décembre 2012) que « le principe de ce dialogue a même été accepté malgré les réserves de ceux qui prônent l’usage de la force » : notamment les chefs d’Etat du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Niger. Dabo rappelle que Déby a été « courtisé » pour être amené à engager des troupes au Mali. « Lesquelles troupes, ajoute-t-il, sont réputées être expérimentées pour mener des combats dans le désert ». Dabo souhaite donc « qu’au regard du rôle [que le président tchadien] entend jouer, il y a lieu de l’aider à voir clair dans cette situation ».

La « confusion » règne. C’est vrai. Mais ce n’est pas d’aujourd’hui ; cela date du 17 janvier 2012 et s’est aggravé avec le 22 mars 2012 ; sauf que c’était déjà la « confusion » au Mali auparavant. On peut simplifier les choses ; ce que font les « va-t-en guerre » : le Nord-Mali est occupé par des « terroristes » et des « mafieux » alliés à des « islamistes radicaux » qui veulent instaurer partout la charia ; il convient donc de les éradiquer avec le concours des Européens, eux aussi menacés. C’est une vision particulièrement étroite d’une situation particulièrement complexe qui vise à conforter la situation politico-diplomatique des uns et des autres mais pas à régler de façon durable la « crise malo-malienne ». Il est plus confortable, pour bien des chefs d’Etat de la région, de penser que les tensions auxquelles ils sont confrontés sont d’abord d’origine externe ; cela leur évite tout acte de contrition. Réduire la « crise malo-malienne » à la mainmise des « terroristes » et des « mafieux » sur le Nord-Mali avec le concours des « islamistes radicaux », c’est faire l’impasse sur la situation décrite par ATT (cf. LDD Burkina Faso 0316/6 décembre 2012) mais à laquelle il n’a pas eu le courage politique d’apporter les correctifs nécessaires ; parce que ces correctifs allaient à l’encontre des intérêts « affairistes » de ses partenaires « politiques ». L’Histoire l’a sanctionné.

Il ne servirait à rien (sauf à conforter les comportements irresponsables de certains chefs d’Etat) de se voiler la face : il ne s’agit pas seulement d’aller casser du « terroriste », de « l’islamiste », du « mafieux » (si tant est que cela soit, militairement, faisable) ; il s’agit de remettre le Mali sur les rails d’une vie politique normale afin d’impulser un développement qui soit durable mais aussi et surtout qui ne soit pas inégalitaire. Cela ne peut pas se faire en excluant : la Côte d’Ivoire en a fait la démonstration depuis le mardi 7 décembre 1993 (il y a, jour pour jour, dix-neuf ans !). Et elle n’est toujours pas parvenue ni à se réconcilier avec elle-même ni à s’extraire d’une occupation militaire étrangère.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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