LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Mauritanie : Obscurs tourments du pouvoir

Publié le mardi 14 décembre 2004 à 10h32min

PARTAGER :                          

En proie à d’inextricables difficultés dues essentiellement à sa gestion autocratique et clanique du pouvoir, le président mauritanien, Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, persiste et signe. Les principaux responsables de ses ennuis actuels sont le Burkina Faso et la Libye.

Maaouiya Ould Sid’Ahmed n’en démord pas. Pour lui, les anciens militaires mauritaniens qui ont trempé dans le complot manqué de juin 2003 ont bien trouvé refuge au Burkina Faso. De plus, bénéficiant de séances d’entraînement dans diverses casernes du Pays des hommes intègres, ils s’apprêteraient à déstabiliser la Mauritanie. De graves accusations confirmées devant les caméras de la télévision nationale mauritanienne par le lieutenant-colonel Mekhalla Ould Mohamed Cheikh après son arrestation à Nouakchott. Le plan devait partir de la Libye via le Burkina Faso et s’achever par la prise de Nouakchott, la capitale mauritanienne. Problème, selon des associations des droits de l’homme et l’opposition : le lieutenant Mekhalla Ould Mohamed Cheikh aurait fait ces aveux après avoir été torturé.

Outre les militaires mis en cause, Nouakchott pointe également du doigt un autre conspirateur tapi dans l’ombre à Ouagadougou, Moustapha Chaffi. Ce dernier réside dans la capitale burkinabé depuis de longues années, après avoir séjourné au Niger où il est né, et où il s’était lié d’amitié à la fois avec le défunt président nigérien, Ibrahim Baré Maïnassara, et son tombeur, lui aussi décédé, Mallam Wanké.

Egalement proche de l’actuel président nigérien, Mamadou Tandja, Moustapha Chaffi dément toutes ces accusations (voir interview), qui, selon Djibril Bassolé, le ministre burkinabé de la Sécurité, sont totalement fallacieuses : “Notre pays, a-t-il sèchement déclaré, se trouve à des milliers de kilomètres de la Mauritanie et n’est nullement lié à ce qui s’y passe”, tout en ajoutant : “D’ailleurs, nous avions demandé à la Mauritanie de nous fournir des explications détaillées sur l’identité des personnes recherchées. Elle en a été incapable...”

Pouvait-il en être autrement, puisque, de source bien informée, les soldats censés se trouver au Burkina et au Mali sont en train d’être arrêtés les uns après les autres sur le sol mauritanien. Ainsi le capitaine Abderahmane Ould Minni a-t-il été appréhendé fin septembre. Le 9 octobre, ce fut au tour du commandant Saleh Ould Hanenna de tomber dans les mailles du filet des forces de sécurité mauritaniennes à Rosso, à la frontière avec le Sénégal, à 205 km environ de Nouakchott.

Pas toujours désigné comme un modèle de vertu dans la sous-région - c’est un euphémisme -, et très proche de la Libye de Mouammar Kadhafi (1), le président burkinabé Blaise Compaoré est, pour Nouakchott, le bouc émissaire rêvé, le “fauteur de troubles” désigné dans la sous-région. Reste à savoir quel intérêt aurait Blaise Compaoré à détruire le régime mauritanien. Seul ce dernier pourrait apporter une réponse à cette question. Attendons... Il semble que le pouvoir, qui ne cesse de “déjouer” des tentatives multiples de coups d’Etat ces derniers temps, tente aussi de faire oublier les énormes difficultés auxquelles son régime est confronté, ainsi que les maux divers qui minent la Mauritanie.

N’ayant jamais manifesté le désir réel d’appartenir à la famille africaine et éprouvant les pires difficultés pour intégrer celle du monde arabe, Ould Taya, qui a accédé à la magistrature suprême en 1984 à la faveur d’un coup d’Etat, est un adepte de la manière forte, qui n’aime pas partager son pouvoir. Sauf avec des membres de son clan ou de sa famille. L’ouverture démocratique qu’il a initiée à contrecœur en 1992, pour donner un gage à la communauté internationale, n’a été qu’une courte parenthèse très rapidement fermée.

En juin 2003, des unités rebelles de l’armée tentent de le renverser. Pendant quarante-huit heures, Nouakchott est en état de siège. Le pays vit des heures sombres. Bilan officiel des très violents combats entre les insurgés et les troupes restées loyales au président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya : quinze morts et soixante-dix blessés. Cette rébellion bénéficie à ses débuts du soutien de la grande majorité des Mauritaniens. Pour Ibrahima Diallo, du Mouvement des forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), les Mauritaniens espéraient enfin se libérer du joug du “dictateur invétéré et auteur de tous les maux du pays”. Espoir déçu. La tentative de putsch échoue.

Comme il fallait s’y attendre, la réplique du pouvoir est conforme à sa brutalité coutumière. De nombreux militaires (plus de cent trente officiers, pour la plupart originaires de l’Est du pays) et des civils ont été arbitrairement appréhendés. Des arrestations qui ont radicalisé un peu plus les positions de tous les contestataires du régime. A l’intérieur comme à l’extérieur.

Fédérés autour du slogan “Brimés de partout, unissons-nous”, ils ont décidé de ne laisser aucun répit au pouvoir. “Nous n’avions au départ aucun lien avec les mouvements qui combattent Maaouiya Ould Sid’Ahmed. Mais étant donné que nous sommes aussi victimes de ses agissements, nous n’avons eu d’autre choix que de les rejoindre”, confie ce Mauritanien qui vit aujourd’hui en exil. Résultat de cette union, la naissance d’une nouvelle force qui prit le nom de “Cavaliers du changement”. Avec pour objectif de chasser Ould Taya du pouvoir par tous les moyens.

Certes, les arrestations successives de certains de leurs leaders, en particulier celle du commandant Saleh Ould Hanenna, sont un coup dur porté à leur combat, mais ils ne semblent pas pour autant prêts à baisser les bras. Bref, de quoi alimenter les inquiétudes quant à l’évolution, dans les prochaines années, de la situation sociopolitique dans le pays. L’ouverture du procès des détenus - dont les familles sont sans nouvelles - est prévue pour le 21 novembre prochain. Un procès à haut risque dans un climat où il est devenu difficile de faire la juste part entre les tensions réelles et la paranoïa d’un pouvoir décidément en proie à d’obscurs tourments.

Par Poyel Sané
Le Nouvel Afrique Asie (http://www.afrique-asie.com)
N° 183 de décembre 2004

(1) Le chef de l’Etat mauritanien a toujours entretenu des relations des plus tourmentées avec le guide libyen Mouammar Kadhafi.


MOUSTAPHA LlMAM CHAFFI, accusé par les autorités mauritaniennes d’être le principal soutien des putschistes en fuite qui auraient trouvé abri au Burkina Faso, nous livre sa version des faits. Il a élu domicile à Ouagadougou depuis de nombreuses années et serait l’un des proches du président Blaise Compaoré.

LE NOUVEL AFRIQUE ASIE : la Mauritanie vous accuse donc d’être lié à diverses manœuvres visant à sa déstabilisation...

MOUSTAPHA LlMAM CHAFFI : Je suis tombé des nues quand j’ai appris que j’étais mêlé à ce projet de coup d’Etat. Je demande aux autorités mauritaniennes d’apporter la moindre preuve de mon implication. Car, lorsque l’on accuse, on doit être à même de fournir des preuves. Je ne connais aucun des officiers mis en cause. Et aucun d’entre eux ne peut prétendre me connaître.

Ce n’est pas la première fois que Nouakchott pointe le doigt vers vous. En juin 2003, vous auriez prêté main forte à l’action des militaires putschistes.

M. L. C. : C’est, là aussi, une accusation gratuite et ridicule. La Mauritanie a prétendu que j’avais coordonné les manœuvres à partir de Dakar, alors que, précisément, j’effectuais la Oumra à la Mecque. Cherchez l’erreur.

Comment expliquez-vous alors ces accusations répétées à votre encontre ?

M. L. C. : Je me pose moi aussi la question. A mon avis, il s’agit sirnplement d’une fuite en avant. Le régime en a pris l’habitude, pour masquer les problèmes auxquels les Mauritaniens sont de plus en plus confrontés dans leur quotidien. Pour ces manœuvres, les Mauritaniens de l’étranger servent de boucs émissaires. Surtout ceux qui réussissent leur vie par leurs propres moyens et ne doivent rien à ce pouvoir.

Ce n’est un secret pour personne que ce régime, policier par essence, a pour habitude de démarcher ses ressortissants à qui il demande de lui servir d’espions. Personnellement, au Burkina, comme ailleurs, j’ai été approché par divers émissaires, qui voulaient non seulement que je leur collecte des renseignements sur le Burkina, la Libye et d’autres pays, mais aussi que je leur établisse un fichier des Mauritaniens vivant à l’étranger, et considérés à leurs yeux comme des "agitateurs". Je n’ai pas cédé.

Résultat, jaloux de mes entrées auprès d’un certain nombre de personnalités africaines, du monde arabe et d’ailleurs, ils ont décidé de me faire la guerre. Cela est tout à fait dans la nature d’Ould Taya, un homme belliqueux et miné par ses complexes. Depuis son arrivée au pouvoir, il multiplie purges sur purges au sein de l’armée et dans la haute administration. Son règne est le plus sanglant de l’histoire de la Mauritanie. Souvenez-vous des évènements qui avaient opposé ce pays au Sénégal en 1989. Sa soldatesque avait expulsé et exécuté des officiers négro-mauritaniens dont le seul tort était d’être noirs. A cette époque, les boucs émissaires étaient Israël, la France et le Sénégal.

Aujourd’hui, il fait porter le chapeau de ses difficultés au Burkina, à la Libye et aux salafistes d’Al-Zarkaoui.

Vos propos dénotent une prise de position politique contre le régime...

M. L. C. : Je ne fais que constater la réalité. Qu’on soit politique ou pas, il n’est pas interdit de donner son point de vue. D’autant que je suis, tout de même, un citoyen mauritanien. Toute personne honnête pourrait constater qu’il y a un ras-le-bol général dans le pays.

Quel est votre statut au Burkina Faso ?

M. L. C. : Celui d’un simple ressortissant mauritanien immigré. Un statut qui semble déranger Ould Taya et son entourage.

Est-il vrai que vous êtes le conseiller aux affaires arabes du président blaise Compaoré ?

M. L. C. : Encore une idée qui a germé dans l’imaginaire des autorités mauritaniennes. Je respecte beaucoup Blaise Compaoré. J’admire le courage dont il fait preuve dans la gestion des affaires de son pays. Mais, dans cette tâche, il n’a nullement besoin de moi. .

On dit aussi que vous vivez grâce aux moyens que vous fournit l’état burkinabé...

M. L. C. : La maison que j’habite est ma propriété. Je suis certes un homme de relations, mais un homme très indépendant. J’ai été un des premiers philatélistes en Afrique. J’ai imprimé des milliers de timbres pour le compte de dizaines de pays à partir de la Suisse, où je travaillais pour la Société Impressort. Aujourd’hui, je suis un homme d’affaires. Je participe à des projets qui me permettent de gagner ma vie, sans rien demander à personne.

Les autorités burkinabé ont-elle pris contact avec vous à la suite des déclarations de la Mauritanie à votre sujet ?

M. L. C. : Non. Puisqu’elles connaissent la vérité. La Mauritanie ne donne aucune preuve de ses accusations et lance des arguments contradictoires. Les personnes recherchées auraient résidé chez moi, puis habité dans une villa à cent mètres de la présidence burkinabé... Troisième version : elles étaient réparties entre les casernes militaires de Diebougou et de Pô au Burkina, puis à Bouaké, dans le centre de la Côte-d’Ivoire. Allez savoir quels liens peuvent exister entre les Ivoiriens, adeptes du coupé-décalé [une danse à la mode en Côte-d’Ivoire - ndlr] et les hommes d’AI-Zarkaoui, qui sont des islamistes ! Certains fugitifs ont été arrêtés en Mauritanie même, alors qu’on les disait être dans des hôtels à Ouagadougou. Ridicule !

Dans le cadre de cette affaire, vous joindrez-vous à la décision du Burkina et de la Libye de porter plainte contre la Mauritanie devant la commission juridique de l’union africaine ?

M. L. C. : Le Burkina et la Libye agissent par les voies propres aux Etats qu’ils sont. Moi, je me battrai pour rétablir le préjudice causé à ma personne. La Mauritanie est aujourd’hui devenue un Etat de non-droit. Et je n’y suis pas retoumé depuis quatre ans. Depuis que j’ai constaté que les autorités mauritaniennes s’accommodaient mal de mes relations et de mes activités professionnelles, et que ma vie pouvait être en danger.

Propos recueillis par Poyel Sané
Le Nouvel Afrique Asie (Décembre 2004)

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique