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Le Tchadien Mahamat Saleh Annadif, représentant spécial de l’Union africaine pour la Somalie (2/2)

Publié le mardi 13 novembre 2012 à 18h57min

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Le Tchadien Mahamat Saleh Annadif, représentant spécial de l’Union africaine pour la Somalie (2/2)

Au lendemain de l’élection à la présidentielle d’Idriss Déby (11 juillet 1996), résultat d’alliances contre nature au sein du « front » qui avait soutenu sa candidature au premier comme au second tour, le chef de l’Etat avait prôné un gouvernement « de large ouverture ». Mahamat Saleh Annadif sera nommé ministre des Affaires étrangères et de la Coopération (21 mai 1997).

A ce portefeuille, il prenait la suite de Saleh Kebzaboh. Président de l’UNDR, « opposant notoire », il était candidat à la présidentielle mais avait été éliminé dès le premier tour ; ayant appelé à voter Déby au deuxième tour, il s’était ainsi retrouvé en 1996 le premier des ministres (le Premier ministre étant Djimasta Koibla) avant d’être promu ministre d’Etat en 1997 et exclu du gouvernement en 1998.

A N’Djamena les ministres sont particulièrement volatiles au sein de gouvernements au renouvellement annuel, souvent même pluriannuel, et l’opposition est de son côté excessivement versatile ; comme le disait Kebzaboh à cette époque : « Les chemins tortueux et secrets de la politique sont souvent insondables » (entretien avec Anne Boher et Jean-Baptiste Placca – Jeune Afrique Economie du 18 novembre 1996).

Annadif va battre un record de longévité en tant que ministre des Affaires étrangères : 21 mai 1997-24 juin 2003. Qui sera difficile à battre. Mais le tempo du Tchad se prêtait à cette permanence. N’Djamena venait de nouer une relation nouvelle avec Paris (première visite officielle en France de Déby du 2 au 7 juillet 1997) dans la perspective de la mise en exploitation effective du pétrole tchadien (avant que les choses ne se gâtent en 1998, situation qui provoquera le renvoi de la trentaine d’hommes du service action de la DGSE qui assuraient la sécurité de Déby puis de l’ambassadeur).

Mouammar Kadhafi fera une visite-surprise dans la capitale tchadienne en 1998 (la première depuis 1981). Il n’était pas encore « le roi des rois traditionnels d’Afrique » mais déjà « le chef des chefs du monde islamique » : compte tenu de l’embargo aérien qui frappait alors la Libye, il était venu par la route avec dix limousines et deux cents 4 x 4. Kadhafi, qui venait de créer la Communauté des Etats sahélo-sahariens avec les pays concernés (Libye, Burkina Faso, Mali, Niger, Soudan, Tchad) avait convaincu Déby d’élargir cette communauté à des chefs d’Etat de confession musulmane (Omar Bongo, Abdou Diouf, Lansana Conté, Yahya Jammeh, Bakiri Muluzi du Malawi, Sani Abacha, Ahmed Tejan Kabbah et même « Ahmed » Mathieu Kérékou). Les relations entre Déby et Kadhafi vont connaître à cette occasion une lune de miel. Annadif, lors de sa prise de fonctions, était particulièrement critique à l’égard de l’organisation régionale à laquelle appartenait le Tchad : l’UDEAC (aujourd’hui CEMAC). « Certains pays se croient suffisamment riches pour pouvoir se passer des autres. Ce manque de solidarité explique la stagnation de la sous-région, ainsi que les turbulences qui la secouent périodiquement. Je le dis sans ambages : les dirigeants de l’Afrique centrale ont une grande part de responsabilité dans cette situation » (entretien avec Chérif Ouazani – Jeune Afrique du 3 septembre 1997).

Les 21 et 22 octobre 1998, à Genève, Annadif sera l’âme de la conférence de table ronde pour la République du Tchad. C’est lui qui présentera, à cette occasion, le Programme cadre de renforcement des capacités de gestion (PARC) et formulera le « défi politique et institutionnel » auquel était confronté le Tchad : « Aborder le troisième millénaire avec une démocratie renforcée et un Etat de droit consolidé ».

Ce jour-là, à Genève, Annadif, président des travaux de la Conférence, était le numéro 2 de la délégation tchadienne après Déby, délégation au sein de laquelle se trouvaient quelques uns des hommes qui, peu de temps plus tard, entreprendraient par les armes de reprendre le pouvoir des mains de Déby. Le retour sur le devant de la scène des « politico-militaires » va tendre les relations avec Paris, d’autant plus que le groupe Elf se retirait du projet « multinational » d’exploitation du pétrole tchadien. Alain du Boispéan, l’ambassadeur de France, fera les frais de cette affaire : il sera viré du Tchad. Dans le même temps, Kadhafi va se réinviter dans le jeu diplomatico-militaire. Le pays va retomber dans ses errements du passé. Le 20 mai 2001, Déby est réélu à la présidence de la République. Ce qui n’intéresse pas grand monde puisqu’il est établi, au Tchad, que l’alternance ne se fait pas par les urnes mais par les armes.

Dans ce contexte, la diplomatie tchadienne n’est rien d’autre qu’un clientélisme qui vise non pas à résoudre les problèmes d’un pays mais ceux d’un clan. Annadif va survivre*. Il est vrai que son discours est sans faille : « Aucune force, aucun mouvement quelconque ne peut arrêter la marche du pays vers le progrès […] Le président Idriss Déby a été élu par le peuple en 1996 et réélu en 2001 sur la base d’un programme précis. A ce titre, il n’est nullement l’otage de son clan, de sa tribu, mais il est au service des Tchadiennes et des Tchadiens qui lui ont fait confiance dans leur ensemble. Ce ne sont pas les desseins inavoués de quelques opposants de salon ou de prétendus experts du Tchad qui remettront en cause cet acquis » (lettre d’Annadif, alors directeur du cabinet civil de Déby, publiée en « droit de réponse » par Jeune Afrique du 20 novembre 2005).

Les mutineries à répétition, la question du Darfour, l’offensive militaire de l’opposition armée, l’occupation du Tibesti par le MDJT, l’affaire de « l’Arche de Zoé »… vont faire vaciller Déby sans jamais le faire tomber. Le pétrole, aujourd’hui, a permis de transformer la capitale à défaut de changer la condition des populations : mais on ne peut pas tout avoir. Et comme disait Voltaire, il vaut mieux prendre aux pauvres qu’aux riches : ils sont plus nombreux ! Annadif, sorti de la prison de Moussoro (dont on dit qu’elle a tout d’un bagne), reprend donc du service du côté de la Somalie. Il ne sera pas dépaysé : à Mogasdiscio (s’il y met jamais les pieds), c’est le même bazar qu’à N’Djamena aux heures noires des rébellions ; et la Somalie, question « nature de l’Etat », n’est pas (toutes proportions gardées) sans rappeler le Tchad, sauf que c’est au bord de la mer, ce qui est quand même plus agréable… !

Représentant spécial de l’Union africaine auprès de la Somalie ! Le job était assuré jusqu’à présent par Boubacar Gaoussou Diarra** (nommé représentant spécial de l’UA pour les Grands Lacs, un autre magnifique bazar africain) dont on ne peut pas dire qu’il ait donné beaucoup de visibilité à la fonction (il serait impudent de parler d’efficacité, ce n’est pas le propos). Le Conseil de sécurité des Nations unies vient de proroger de quatre mois seulement la mission de l’Amisom. Ce qui ne laissera guère de temps à Annadif pour en savoir plus sur ce qu’il faut faire en Somalie et comment le faire. Dans un entretien avec Djamil Ahmat (Infotchad.com), il a déclaré : « Je n’y ai pas séjourné, à part quelques escales à l’aéroport de Mogadiscio. Mais j’ai une idée, quand même, de ses difficultés ». Ouf ! Et il ajoute : « Je ferai partie de ces acteurs qui sont appelés à ce qu’un jour la Somalie retrouve sa flamboyance ». Nous voilà rassurés…

* Mahamat Saleh Annadif va abandonner le portefeuille des affaires étrangères à l’ancien premier ministre Nagoum Yamassoum au printemps 2003 (qui le conservera, avec le titre de ministre d’Etat, jusqu’au 7 août 2005). Sorti du gouvernement, Annadif sera nommé directeur de cabinet du président de la République et prendra officiellement ses fonctions le 9 septembre 2004. En 2006, il sera nommé par Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l’Union africaine, comme représentant permanent de l’UA auprès des Nations unies puis ambassadeur de l’UA auprès de la Belgique, de l’Union européenne, de l’OTAN. En avril 2010, il obtiendra le poste de secrétaire général de la présidence du Tchad.

** Boubacar Gaoussou Diarra, ministre dans les années 1990, ancien ambassadeur en Tunisie, a été le directeur du Centre africain d’études et de recherches sur le terrorisme (CAERT), créé par l’Union africaine, et dont le siège a été inauguré à Alger le 13 décembre 2004 par le président Abdelaziz Bouteflika. On ne peut pas dire que le CAERT soit très productif (ou alors de façon souterraine). Je n’ai pas connaissance d’autre numéro que le numéro 1 de sa revue trimestrielle African Journal on Terrorism Studies, publié en juin 2010 ; l’ancien ministre malien des Forces armées, Souleylou Boubeye Maïga, y signait alors un papier sur « la sécurité dans le Sahel ». C’est le 1er novembre 2009 que Diarra a été nommé à la tête de l’Amisom.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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