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Le Tchadien Mahamat Saleh Annadif, représentant spécial de l’Union africaine pour la Somalie (1/2)

Publié le lundi 12 novembre 2012 à 19h48min

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Le Tchadien Mahamat Saleh Annadif, représentant spécial de l’Union africaine pour la Somalie (1/2)

Mahamat Saleh Annadif est un Tchadien. Et, à ce titre, il a connu les ors de la République et les geôles de son président. Quelques mois après sa libération – après quatre mois de détention – le 17 juillet 2012, le voilà donc appelé en tant que représentant spécial et chef de la mission de l’Union africaine (UA) en Somalie (Amisom).

Autant dire qu’il ne sera pas dépaysé dans ce pays de la Corne de l’Afrique où le tribalisme, la guerre des chefs, la corruption et les trafics en tous genres… ont composé le quotidien. Un pays où chacun veut croire que la page de l’Etat déliquescent (et c’est un euphémisme) est définitivement tournée alors qu’on ne fait qu’ouvrir un nouveau chapitre (cf. LDD Somalie 003/Mardi 6 novembre 2012). Le Tchad, on en parle peu en ce moment. Histoire de ne pas faire trop vagues médiatico-diplomatiques alors que la Cédéao pourrait avoir besoin du savoir-faire militaire de ce pays (qui n’appartient pas à la Cédéao mais à la Cemac ; le Tchad y a cependant un statut d’observateur) dans son ambition de reconquérir le Nord-Mali. Et moins on parle du Tchad, moins on parle de corruption, d’atteintes aux droits de l’homme, de disparition de personnalités politique, de diplomatie-business, de tentatives de coups d’Etat… et de tout ce « folklore » qui est attaché à l’histoire de ce pays à nul autre pareil. « Il ne faut pas injurier l’avenir » : N’Djamena est disposée à intervenir au Mali si cette intervention est menée dans le cadre de l’UA et pas uniquement dans celui de la Cédéao !

La corruption, c’est ce qui a valu à Annadif d’être arrêté le 17 avril 2012 (« complicité de détournement de fonds publics »). Dans ses vœux pour l’année 2010, le président Idriss Déby Itno avait annoncé la couleur : « Nous avons décidé de tirer la sonnette d’alarme sur les gaspillages et les détournements de biens publics […] La pression sera maintenue en 2010 ». On s’attendait donc à ce que l’ensemble de la classe politique (qu’il convient de qualifier, plus exactement, « d’affairo-politique ») se retrouve en « taule ». Erreur : Déby a été sélectif. C’est que le Tchad a beaucoup changé depuis qu’il est au pouvoir (et que le pétrole est exploité significativement !) ; le chef de l’Etat n’est plus (enfin, sauf quand il y a nécessité absolue) ce « seigneur de la guerre du désert » dont il avait soigneusement peaufiné l’image.

Voilà donc qu’Annadif tombe pour une histoire de « pognon ». « Il n’est pas reproché à Mohamed Saleh Annadif d’avoir détourné de l’argent à son profit personnel, loin de là, expliquera cependant Déby à François Soudan (Jeune Afrique du 15 juillet 2012). Le problème à son niveau est que mes instructions n’ont pas été respectées. Je lui avais donné une directive précise, en présence du directeur général des grands travaux et présidentiels, [Mahamat] Zen Bada, qui a lui aussi été appréhendé. Toute sortie d’argent concernant les grands travaux devait être soumise à une double signature, la sienne et celle de Zen Bada. Or les quelque 2 milliards de francs CFA que Zen Bada a reconnu avoir détournés ne portaient qu’une seule signature, celle de ce dernier. Pourquoi ? Et pourquoi Annadif a-t-il écrit au directeur général de la Banque commerciale du Chari une correspondance semblant justifier cette anomalie ? En attendant que la justice y voie plus clair, leur sort est en quelque sorte lié ». Deux jours après la publication de cette interview (sans qu’il y ait de lien de cause à effet), Annadif sera libéré. Il aura passé trois mois en garde à vue à Moursal puis à la prison de Mossoro, à 300 km au Nord de N’Djamena.

Libéré sans jamais avoir été jugé (mais avec un dossier très minimisé par le chef de l’Etat) tandis que Zene Bada croupit en prison* avec quelques autres. L’Etat de droit, au Tchad, est encore une exception. La nomination d’Annadif par l’UA tombe donc à pic, moins de quatre mois après sa libération. Les mauvaises langues y verront un juste retour des choses : la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma a été élue, voici quelques mois, à la présidence de la commission de l’UA avec la voix du Tchad alors que Jean Ping, ressortissant gabonais (le Tchad et le Gabon appartiennent au même ensemble régional : la CEMAC) était candidat à sa réélection. Pas « sympa ». « Il m’est apparu, ainsi me semble-t-il qu’à mes collègues, qu’à compétences égales, c’était au tour du candidat de l’Afrique australe de diriger la Commission » a expliqué Déby (cf. supra, entretien avec François Soudan publié par Jeune Afrique). D’autres mauvaises langues ne manqueront de souligner qu’Annadif, quelque peu dérangeant sur la scène politique tchadienne, se trouve ainsi dégagé en touche pour un certain temps.

C’est que Mahamat Saleh Annadif n’est pas un quelconque diplomate. Il ne l’est pas d’ailleurs : c’est un ingénieur en télécommunications. Né le 25 décembre 1956 à Arada (à l’Est du Tchad, à une soixantaine de kilomètres au Nord de Biltine, sur la piste qui conduit d’Abéché à Faya-Largeau, ce qui lui vaut d’être qualifié « d’arabe » par ses ennemis politiques originaires du Sud), il fera ses études à l’université de Madagascar après l’obtention d’un bac C au Tchad. Il sortira major de sa promotion et reviendra au pays au moment des événements de 1980 qui verront se dérouler les « batailles » de N’Djamena, la constitution du GUNT, puis la victoire de Goukouni Weddeye face à Hissène Habré avant que celui-ci ne reprenne le contrôle de la capitale en 1982. Annadif, qui avait été embauché par l’Office national des postes et télécommunications (ONPT), rejoindra le CDR, le Conseil démocratique révolutionnaire d’Acyl Ahmat puis d’Acheikh Ibn Oumar, proche des Libyens. Au sein du Frolinat-CDR, il sera tout d’abord en charge de l’information et de la propagande (1982-1985) puis deuxième vice-président (1985-1989). Le référendum du 10 décembre 1989, va permettre l’adoption d’une nouvelle Constitution et le maintien d’Hissène Habré (candidat unique) à la présidence de la République pour un mandat de sept ans. Annadif entre au gouvernement en tant que secrétaire d’Etat à l’Agriculture (son ministre de tutelle est alors Gouara Lassou). Pour peu de temps. Le 2 décembre 1990, après avoir pris le contrôle d’Abéché quelques jours auparavant, Déby s’installe à N’Djamena tandis que Habré prend la fuite. Un Conseil provisoire de la République est mis en place. Deux ans plus tard, le 15 janvier 1993, s’ouvrira la Conférence nationale souveraine.

Annadif, directeur général des télécommunications internationales au sein de l’ONPT, va participer avec le Dr. Ibni Oumar Mahamat Saleh (mathématicien dont on est sans nouvelles depuis le 3 février 2008, devenu la figure emblématique des « disparus » de N’Djamena), à la création du Parti pour les libertés et le développement (PLD), un parti « socialiste » (il était représenté lors du récent congrès du PS français à Toulouse). Le 21 mai 1997, Annadif sera nommé ministre des Affaires étrangères et de la Coopération dans le gouvernement dont le premier ministre est Nassou Ouado. La donne a changé au Tchad. Le 3 juillet 1996, Déby a été élu à la présidence avec 69,09 % des voix à l’issue d’un second tour qui l’a opposé au général Abdelkader Wadal Kamougué. C’était la première présidentielle pluraliste. Un an plus tard, du 2 au 7 juillet 1997, Déby sera reçu en visite officielle en France : la première. Annadif, patron de la diplomatie (si tant est que ces mots « patron de la diplomatie » aient un sens au Tchad), est dans la délégation. C’est d’ailleurs lui qui, lors du dîner officiel au Quai d’Orsay, répondra au toast de Charles Josselin, secrétaire d’Etat à la Coopération : Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, avait choisi de ne pas être à Paris lors de cette visite.

* Une conférence de presse du collectif des avocats de la défense de personnalités emprisonnées a été organisée aujourd’hui même (jeudi 8 novembre 2012) pour dénoncer le maintien en détention d’Ahmadaye al-Hassan, ex-ministre en charge de la moralisation (cela ne s’invente pas !) malgré la multiplication des vices de procédure, tandis que Zene Bada – qui avait déjà été inculpé « pour faux et usage de faux » dans une affaire de fourniture de livres scolaires et incarcéré le 12 janvier 2010 – serait « à l’article de la mort » : diabétique, il aurait déjà perdu l’usage de ses jambes.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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