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Côte d’Ivoire : Alassane D. Ouattara passe à la vitesse supérieure

Publié le samedi 11 décembre 2004 à 11h20min

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Le président du Rassemblement des Républicains (RDR), qui avait choisi, jusqu’à présent, un profil bas en matière de communication tout en étant omniprésent sur le plan diplomatique et international, vient de rompre avec cette stratégie et a décidé, désormais, d’entrer dans la bataille médiatique.

Il me l’a confirmé lors de notre dernier entretien, le mercredi 24 novembre 2004, à Paris. Au lendemain de la publication de son entretien avec Le Parisien (cf LDD Côte d’Ivoire 0133/Mercredi 24 novembre 2004) et à la veille de la parution de son interview par Jean-Philippe Rémy et Jean-Pierre Tuquoi dans Le Monde (daté du 28-29 novembre 2004). Quelques instants après notre rencontre, il répondait aux question des internautes du nouvelobs. com.

Ouattara communique et c’est nouveau. Mais c’est un acte réfléchi et structuré. Il ne s’est pas engagé dans cette voie sans obtenir quelques cautions. Dont celle de Béchir Ben Yahmed qui, dans JA./L’Intelligent n° 2290 daté du 28 novembre-4 décembre 2004, vient apporter son soutien à sa vision de l’évolution de la crise ivoirienne.

Dans son "Ce que je crois", Ben Yahmed écrit notamment : Marcoussis et Accra III "ne seront jamais appliqués et [...] continuer à espérer qu’ils le soient, à conditionner le retour de la Côte d’Ivoire à l’unité et à la paix à leur application est une... perte de temps ". Il ajoute "Laurent Gbagbo n’a accédé au pouvoir en octobre 2000 que par une forme de miracle et à la faveur d’un vote bien étrange". Dans le même numéro, Cheikh Yérim Seck, envoyé spécial qui a rencontré Gbagbo (Ben Yahmed ne met jamais tous ses oeufs dans le même panier), dresse un état des lieux, à Abidjan, qui laisse penser que Paris, New York et les capitales africaines se préparent des jours délicats.

Revenons à Ouattara. Si, dans "Le Parisien", il s’était contenté de défendre son point de vue, il a, dans les jours suivants, choisi de passer à la vitesse supérieure. La réalité des faits a pris le dessus, désormais, sur la volonté consensuelle qui prévalait jusqu’à présent.

L’attaque de "l’aviation" ivoirienne contre les soldats français a été une prise de conscience (enfin !) que Gbagbo était déterminé à aller jusqu’au bout de son raisonnement ("je suis victime de l’impérialisme français et de ses valets africains, parce que je suis le seul à m’opposer à son hégémonie", etc...), c’est-à-dire au delà du pire.

Je résume le raisonnement de Ouattara. Gbagbo est un accident de l’histoire. Ce régime, arrivé au pouvoir par la rue s’y maintient par la violence. Une date-line a été fixée par le Conseil de sécurité des Nations unies : 15 décembre 2004. D’ici là, Gbagbo doit avoir tout mis en oeuvre pour permettre le retour à un climat de paix et la préparation de l’élection présidentielle de 2005. C’est là la version soft.

Version hard : le régime de Gbagbo est un régime fasciste qui règne par la terreur ; il n’a pas l’intention de céder le pouvoir ; les Casques bleus devront donc investir Abidjan pour le forcer à céder la place. Un gouvernement de transition sera institué et, sous l’autorité des Nations unies, les élections pourront être organisées.

Ouattara est clair dans son propos : il est illusoire de penser qu’en quinze jours, Gbagbo va faire ce qu’il s’est refusé de faire au cours des deux dernières années (et, qui plus est, va à l’encontre de sa politique depuis octobre 2000). Il faut donc que la communauté internationale (Onu + France + Afrique) se prépare à la suite des événements !

Dans l’entretien que Ouattara m’a accordé, la ligne défendue était identique. Si ce n’est que le président du RDR s’est posé des questions sur la politique choisie par la France quand Paris a laissé "l’aviation" de Gbagbo bombarder le Nord de la Côte d’Ivoire. "La France a tardé à réagir" m’a-t-il précisé, laconiquement. La destruction de cette "force aérienne" a été pour lui un soulagement. C’était l’affirmation que Paris n’était pas du côté de Gbagbo et, compte tenu de la réaction de Gbagbo, pour longtemps !

Ouattara se félicite, par ailleurs, des prises de position des chefs d’Etat sud-africain et sénégalais. Thabo Mbeki et Abdoulaye Wade (qu’il qualifie, en ce qui concerne le chef de l’Etat sénégalais, de "courageuse" compte tenu de la présence d’une diaspora sénégalaise en Côte d’Ivoire) ont été fermes dans la condamnation de la politique de Gbagbo et dans leur volonté de trouver une solution rapide et circonstanciée.

Pour ce qui est des hommes, Ouattara considère également que le premier ministre de la transition, Seydou Diarra, a fait son travail : il a "résisté" à Gbgabo ! Il regrette que, de la même façon, le signataire des accords de Marcoussis pour le compte du FPI, Pascal Affi Nguessan, n’ait pas eu la même capacité de résistance. "On y a cru pourtant", m’affirme Ouattara.

Ouattara est pour un retour à Marcoussis. Tout en sachant que, ce jour-là, l’essentiel n’a pas été fait. "C’est alors, me dit-il, qu’il fallait décider un embargo sur les armes". Il ajoute : "Il fallait aussi suspendre l’activité des institutions mises en place précédemment, l’Assemblée nationale bien sûr, mais aussi le Conseil économique et social, la Commission électorale, etc... ". Il estime, surtout, que l’intervention onusienne ne doit plus se limiter à la sphère militaire mais s’étendre, également, à la sphère politique. Une question se pose : que faire de Gbagbo ?

L’attaque de "l’aviation" ivoirienne contre des militaires français et l’implication de Paris sur le terrain, en radicalisant la situation dans la zone Sud, a permis à Ouattara de combler son retard en matière d’analyse de la crise ivoirienne et des voies et moyens pour parvenir à une solution. Le yo-yo des années passées n’a pas facilité la perception de sa volonté politique.

Désormais, il fait l’impasse sur le passé et prend un temps d’avance. Ainsi, il escamote la question des journalistes du quotidien Le Monde, pourtant explicite quant à sa responsabilité dans la pérennité de la crise : "Dans ces conditions, comment expliquez-vous que des ministres de votre parti participent au gouvernement à Abidjan, avec Laurent Gbagbo ?". Ouattara répond à côté, feignant de comprendre qu’on lui demande pourquoi ils n’y participent plus ; il prétexte le "manque de sécurité à Abidjan" quand on évoque la gestion commune des affaires politiques.

Ouattara est-il embarrassé par le mode élyséen de gestion de la crise ? Qui alterne détermination et illusions (cela est vrai depuis qu’il a été exfiltré, par l’armée française, d’Abidjan après l’échec d’une tentative d’assassinat). La destruction de "l’aviation" ivoirienne est un soulagement ; l’embargo sur les armes en est un autre (notamment en ce qui concerne les aéronefs dont l’acquisition serait immédiatement sanctionnée).

L’offensive des Fanci (dont on a pu penser qu’elle avait le feu vert de l’Elysée) est, pour le moment, stoppée et l’option politique reprend le dessus. Mais Chirac se retrouve en retrait par rapport à Ouattara. Certes, le chef de l’Etat français a été le premier à qualifier de "fasciste" (même si ce n’était, disait-il, qu’un risque de "dérive") le régime de Gbagbo. Mais il persiste a considérer Gbagbo comme "le président légitime de Côte d’Ivoire" et appelle toujours à la reprise d’un "dialogue normal, tel qu’il avait été prévu à Marcoussis". Or chacun sait que Marcoussis visait à l’éviction de Gbagbo de la gestion de la crise, que Marcoussis ne sera pas appliqué et que le dialogue est impossible.

Ouattara n’est pas homme à avancer à découvert. S’il a, cette fois, une longueur d’avance sur Chirac, c’est qu’il a conscience qu’en s’avançant ainsi sur le devant de la scène, il bouscule, au niveau tactique, la stratégie de l’Elysée. Et pourrait retourner contre Gbagbo son arme de prédilection : la provocation, espérant que le chef de l’Etat ivoirien fera, d’ici le 15 décembre, la même erreur que le 6 novembre 2004 : sous-estimer la volonté et la capacité de riposte de la force Licorne. La prochaine fois, la cible pourrait ne pas être "l’aviation" ivoirienne !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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