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Niger 2012. Mauvaise conjoncture économique mais opportunité géopolitique et politique pour un bras de fer avec AREVA (2/2)

Publié le vendredi 2 novembre 2012 à 18h02min

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Niger 2012. Mauvaise conjoncture économique mais opportunité géopolitique et politique pour un bras de fer avec AREVA (2/2)

La question du prix de l’uranium payé par la France au Niger est revenue sur le devant de la scène diplomatique dans un contexte particulier. Nous sommes en 2007. Mamadou Tandja est au pouvoir et tout le monde trouve cela plutôt bien. Sauf les Touareg nigériens qui, via le Mouvement nigérien pour la justice (MNJ), ont engagé l’offensive contre Niamey. Or Niamey voit dans la résurgence de la « rébellion touarègue » la main de Paris. Ou, plus exactement, d’AREVA.

Le gouvernement va décider l’expulsion de deux cadres dont un des patrons locaux d’AREVA : Dominique Pin (cf. LDD Niger 029/Lundi 30 juillet 2007). AREVA entend sauvegarder ses positions nigériennes qui lui assurent un uranium bon marché permettant la fourniture en combustible de ses clients alors que le prix moyen spot, après avoir fortement progressé depuis 2003, va exploser à compter de la mi-2006 (triplement du cours de l’uranium naturel). Le Niger, lui, va s’efforcer de diversifier ses partenaires et de négocier de nouveaux contrats afin d’engranger une part plus appréciable de la rente minière qui devient considérable mais lui échappe.

La « rébellion touarègue », qui est implantée dans les zones minières, subodore le jeu trouble qu’elle peut jouer : se faire payer pour limiter l’insécurité tout en multipliant – grâce aux armes acquises – les coups de boutoir contre le « lobby » uranifère (avec le soutien des ONG, notamment le groupe Sherpa, le Groupe de réflexion sur les industries extractives du Niger, l’association Alternatives Espaces Citoyens, etc.) et le pouvoir central, tandis que les autorités étatiques vont jouer de cette proximité forcée entre les « mines » et la « rébellion » pour exiger une ouverture du marché et un relèvement des contributions foncières.

A Paris, le secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie s’appelle Jean-Marie Bockel ; il a été président du groupe d’amitié France-Niger au Sénat et c’est un socialiste défroqué qui, à l’instar du ministre des Affaires étrangères et européennes (Bernard Kouchner), a rejoint le gouvernement de Nicolas Sarkozy qui vient tout juste d’être mis en place. La patronne d’AREVA est Anne Lauvergeon ; elle a été le sherpa de François Mitterrand en charge de la préparation des sommets internationaux. Pin, qui vient de se faire virer du Niger, appartenait, lui aussi, à la galaxie mitterrandienne : il avait été chargé de mission à la présidence de la République.

C’est dans ce contexte que Guy Labertit, qui avait été, jusqu’à l’automne 2006, le « Monsieur Afrique » du Parti socialiste, va publier dans Le Monde (daté du samedi 18 août 2007), une tribune intitulée « A qui profite l’uranium nigérien ? ». Bonne question alors qu’AREVA venait justement de renégocier ses contrats et que Mamadou Tandja surfait sur cette négociation pour obtenir une rallonge présidentielle. Sarkozy, quant à lui, entendait faire d’AREVA ce que ELF avait été pour ses prédécesseurs : l’outil de sa diplomatie économique.
Le Monde, dans son éditorial (édition du Dimanche 5-Lundi 6 août 2007), écrira justement : « A sa façon, moins brutale que celles du président vénézuelien Hugo Chavez ou du Russe, Vladimir Poutine, saisis par le « nationalisme pétrolier », le président nigérien agit à l’image des dirigeants des pays producteurs de pétrole et de gaz. Il tente de mieux contrôler une richesse de plus en plus convoitée avec tous les risques que cela comporte dans un pays dépourvu de tout. Qui pourrait le reprocher au chef de l’Etat le plus pauvre de la planète ? ».

Vendre des centrales nucléaires et assurer leur approvisionnement en uranium ! Sarkozy et Lauvergeon étaient sur la même longueur d’onde. Au Niger, malgré les tensions avec Paris et AREVA, le 13 janvier 2008, sera renouvelé l’accord de partenariat dans le secteur de l’uranium. Qualifié de « gagnant-gagnant ». Cerise sur le gâteau : AREVA devenait opérateur pour l’exploitation d’Imouraren, « deuxième gisement du monde » : 200.000 T de minerai soit une production de 5.000 T/an pendant 35 ans à compter de 2012 pour un investissement de 1,2 milliard d’euros. Mais, depuis, Tandja est tombé, Issoufou a été élu ; Lauvergeon, elle aussi, est tombée et a été remplacé par Luc Oursel ; Sarkozy a perdu face à François Hollande ; il y a eu Fukushima, la capture par AQMI de travailleurs d’AREVA et de Satom à Arlit, l’enlèvement à Niamey et la mort de deux autres Français, la guerre en Libye et la mort du « guide de la révolution », la rébellion touarègue au Nord-Mali et son occupation par des « islamistes radicaux », l’enlèvement de six personnes (dont cinq Nigériens) à Dakoro, au cœur du Niger.

Lauvergeon est enthousiaste, volontariste, entreprenante ; AREVA, elle l’a imaginée, créée, développée. Oursel, qu’elle avait recruté, est raisonnable : catholique pratiquant et autrefois militant, fils d’un colonel d’infanterie de marine, gendre d’un amiral, « un drôle de zèbre […], un mélange de vieilleries perdues et de bonne volonté préservée » a écrit (vendredi 19 octobre 2012) Luc Le Vaillant dans Libération. Pas le genre à s’emballer, Oursel. Il a fait tomber sa patronne sur une « affaire » liée à l’exploitation de l’uranium en Namibie. Et il serait prêt à céder 13 % du capital d’Imouraren SA* au chinois CGNPC pour 220 millions d’euros ; de là à penser qu’il se recentre sur l’activité industrielle au détriment des mines, il n’y a qu’un pas. Sauf qu’AREVA dément cette information publiée par La Tribune et reprise par la presse.

A Niamey, on se lasse d’espérer les retombées de l’exploitation de « la deuxième plus grande mine d’uranium du monde ». En janvier 2008, à l’issue des négociations, Lauvergeon avait affirmé : « La hausse des prix [une hausse de 50 % avait été négociée alors], et de la production, va entraîner une augmentation très forte des recettes budgétaires du Niger » (Le Monde daté du Mardi 15 janvier 2008). Quelques mois plus tard, fin novembre 2008, Mahamadou Issoufou, leader du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), ancien directeur des mines au ministère des mines et de l’industrie et, de 1986 à 1993, secrétaire général, directeur des exploitations, directeur technique de la Somaïr, filiale de Cogema (devenue AREVA), avait déjeuné à Paris avec Lauvergeon pour discuter du dossier.

C’était il y a quatre ans ! Lundi 22 octobre 2012 : Oursel et deux collaborateurs sont reçus à Niamey par Issoufou, devenu président de la République ; Omar Hamidou Tchiana, ministre des Mines et du Développement industriel, est présent. Oursel n’est pas porteur de bonnes nouvelles pour le Niger. Tchiana, lors du conseil des ministres suivant, va noter « que de manière générale le partenariat dans l’exploitation de l’uranium est très déséquilibré en défaveur du Niger et ce, depuis 41 ans d’exploitation de ce minerai. Ce déséquilibre est corroboré par le fait que les recettes tirées de l’uranium représentent 5 % des recettes du budget national, alors même que le Niger passe dans l’opinion nationale et internationale comme un des producteurs phares de ce minerai de par le monde, et y tirant conséquemment des ressources importantes. Ce postulat à priori logique est pourtant loin de la réalité ». La réalité c’est le retard dans « la mise en œuvre du planning d’exécution du programme Imouraren imputable à l’opérateur [AREVA] et qui entraînera là, également, un manque à gagner pour l’Etat ». Un message clair : si Hollande ne bouscule par Oursel (AREVA est une entreprise publique), le Niger sera confronté à la résurgence de tensions sociales et ethniques dramatiques pour le pays et l’Afrique de l’Ouest. Un message politique à destination des Nigériens (le gouvernement fait son job) et géopolitique à destination de l’Elysée (nous sommes dans le même bateau !). Sera-t-il entendu ?

* Le capital d’Imouraren SA, société d’exploitation constituée en février 2009, était initialement détenu par AREVA (66,65 %) et l’Etat du Niger via la Sopamin SA (33,35 %) ; en décembre 2009, la compagnie coréenne Kepco est entrée dans le capital à hauteur de 10 % réduisant d’autant la part d’AREVA.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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