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Qatar est-il le nouveau nom de « l’impérialisme », de « la mondialisation », de « l’Internationale islamique »… ? (4/4)

Publié le vendredi 2 novembre 2012 à 18h02min

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Qatar est-il le nouveau nom de « l’impérialisme », de « la mondialisation », de « l’Internationale islamique »… ? (4/4)

Illustration des contradictions qui rendent complexe la géopolitique qatarie : Dioncounda Traoré, président de la République du Mali par intérim, a quitté Bamako pour rejoindre Doha, capitale du Qatar. Avion à disposition, « entretiens en tête-à-tête » avec Cheikh Hamad Bin Khalifa al-Thani, « séance de travail élargie aux délégations », déjeuner en commun, etc. L’émir a prôné la voie du dialogue assurant que l’on ne savait jamais à quoi aboutissait la guerre. Bamako devrait donc échanger la guerre contre une assistance qatarie au développement… !

Ce propos mesuré n’étonne pas. Le médiateur de la crise malienne, au titre de la Cédéao, est le président du Faso, Blaise Compaoré ; et le patron de la diplomatie burkinabè est Djibrill Y. Bassolé dont « les Qataris sont les amis » (Bassolé est intervenu sur le dossier du Darfour au nom de l’ONU et de l’UA, d’où sa proximité avec le Qatar, partie prenante dans l’affaire). Doha et Ouaga sont sur la même longueur d’onde. Rien de surprenant. Et on peut même penser que Ouaga a joué les facilitateurs dans ce contact entre l’émir et le président par intérim ; occasion, dans le même temps, de marginaliser le premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra, qui ne cesse d’appeler, lui, « aux armes » (cf. LDD Mali 048/Mardi 2 octobre 2012).

Mais tandis que Traoré visite le Musée d’art islamique (MIA) de Doha (inauguré voici tout juste quatre ans, en novembre 2008, il est l’œuvre de Ieoh Mong Pei et, accessoirement, de Jean-Michel Wilmotte), à Paris la DGSE, après enquête, assurait le Quai d’Orsay « que le Qatar n’avait pas envoyé des agents sous couverture humanitaire auprès des djihadistes qui contrôlent le Nord du Mali »*. A Paris toujours, des Maliens se sont rassemblés devant l’ambassade du Qatar pour protester contre ce soutien de Doha aux « islamistes » du Nord. Et à Alger – où le Qatar n’est pas en odeur de sainteté, plus encore depuis la visite de l’émir à Gaza –, la presse s’insurge contre le jeu trouble de l’émir du Qatar. « Le hold-up électoral des révoltes arabes en Tunisie, Egypte, Libye, Maroc, la guerre civile en Syrie et les bruits de bottes dans l’avancée des djihadistes dans le Sahel, sont à mettre sur le compte de ce petit richissime pays du golfe arabo-persique […] Grâce à sa chaîne satellitaire qui ne parle jamais du Qatar sauf à travers ses spots publicitaires, Cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani a pesé sur les destins des autocrates arabes déchus et étendu son influence sur une vaste région, du Golfe à l’Atlantique. Même le Sahel n’y a pas échappé », écrivait ce matin (jeudi 25 octobre 2012) Djamel Bouatta dans le quotidien algérien Liberté.

Alors quel jeu joue le Qatar ? Celui de « l’impérialisme », celui de la « mondialisation », celui de « l’Internationale islamique » ? Pour tenter de répondre à cette question, il faut prendre en compte les données géographique, démographique, géopolitique, diplomatique qui caractérise le Qatar : au cœur du Moyen-Orient, face à l’Iran, ce pays est à peine plus grand et plus peuplé (de citoyens qataris) que la Corse et son ancrage a été, ces dernières décennies, ouvertement « occidental ». Le leitmotiv de l’émir tient en quelques mots : « Le Qatar parle à tout le monde ». Et Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes, dit avec justesse que « ce n’est pas une puissance qui joue la diplomatie de l’exclusion mais qui trouve son avantage dans le brassage multiple de réseaux, de contacts, de contextes. Le Qatar parle avec le terre entière pour défendre ses propres intérêts ».

Le Qatar ajoute Basbous « surfe sur la crête de la vague ». Qui s’en offusquera ? Les propriétaires vendent leurs propriétés aux Qataris, O.K. ! Les entrepreneurs vendent leurs entreprises aux Qataris, O.K. ! Les collectionneurs d’art vendent leurs collections aux Qataris, O.K. !. Le Qatar, pays musulman, émirat du golfe Persique, premier exportateur de GNL, deuxième exportateur de gaz naturel derrière la Russie, détenteur des troisièmes réserves de gaz naturel de la planète derrière la Russie et l’Iran « défend ses propres intérêts » (pour reprendre le propos de Basbous). Qui peut le lui reprocher dès lors que tout le monde se précipite à Doha pour faire soumission (et, dans la foulée, ses « commissions », un mot dont les multiples sens en français sont explicites). La problématique du Qatar est aussi celle de la Guinée équatoriale : un territoire exigu ; une population restreinte et des « élites » réduites à la portion congrue ; une famille « régnante » ; des ressources naturelles exceptionnelles ; un positionnement géopolitique privilégié. Pour exister, il leur faut s’ancrer dans des ensembles géopolitiques plus vastes.

Malabo et Doha ont, d’ailleurs, fait le même choix (dans des contextes, cependant, quelque peu différent : Malabo l’a fait étant pauvre et impuissant ; Doha le fait étant riche et puissant) : la francophonie ! C’est au sommet de Kinshasa que, le 13 octobre 2012, le Qatar a été accueilli comme « Etat associé » de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) sans passer par la case « observateur ». De quoi faire grincer quelques dents (et de susciter la concupiscence de ceux pour qui la « francophonie » est le meilleur des jobs : enfin un pays vraiment « friqué » cela va donner des ailes à l’OIF). Une opération qui résulte, dit-on, « d’un lobbying terriblement efficace auprès de différents pays, notamment africains ». On notera d’ailleurs que les pays considérés comme étant « sous influence » de l’émirat ont justifié cette étonnante démarche.

Ainsi selon le site Tunisie News : « Le Qatar est un pays qui investit beaucoup à l’heure actuelle sur l’éducation et la recherche. Or la mission de la francophonie se décline en quatre pans : promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique, promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’homme, appuyer l’éducation et l’enseignement supérieur et la recherche, développer la coopération au service du développement durable et de la solidarité. Au vu des missions de la Francophonie et de l’objectif qatari de se baser à l’avenir sur la recherche et le développement, l’entrée du Qatar dans la francophonie est légitime ». CQFD.

Il est vrai que le Qatar manque de main-d’œuvre. Et l’Afrique francophone (notamment arabe) est un réservoir dans lequel il entend puiser (l’occasion, du même coup, d’étendre sa zone d’influence et son prosélytisme religieux). En marge de la visite que vient d’effectuer à Doha le roi du Maroc, Mohammed VI, une réunion ministérielle mixte s’est penchée sur les « mesures d’incitation à l’immigration des travailleurs et cadres marocains vers le Qatar ». Doha souhaite que leur nombre passe de 6.000 à 20.000 par an. Dans le même temps, Qatar Telecom (QTel) a présenté une offre pour reprendre la part de 53 % que le groupe Vivendi détient dans Maroc Telecom. Une opération pour laquelle QTel est en concurrence avec Etisalat, un opérateur téléphonique des… Emirats arabes unis. Cette simple opération « économique » exprime la situation géopolitique dans laquelle se trouve le Qatar et justifie le propos de Basbous : « Le Qatar parle avec la terre entière pour défendre ses propres intérêts ». A la « terre entière » de savoir ce qu’elle entend répondre au Qatar.

* Selon l’hebdomadaire Le Canard enchaîné : « Les insurgés du MNLA (indépendantistes laïcs), les mouvements Ansar Dine, AQMI (Al Qaïda au Maghreb) et Mujao (djihad en Afrique de l’Ouest) ont reçu une aide en dollars du Qatar ». Une affirmation qui a été reprise en boucle par tous ceux qui ont le Qatar dans le collimateur. La presse malienne elle-même a repris ces allégations (que le rapport de la DGSE remis à Laurent Fabius n’annihile pas : l’absence de preuves n’est pas l’absence de faits) rapportant que l’objectif du voyage de Dioncounda Traoré au Qatar était justement « d’amener les autorités de Doha à mettre fin à ce soutien financier qu’ils accordent aux groupes armés qui règnent en maître dans le Nord-Mali ». Le ton des médias maliens est celui de l’offuscation (« Le Mali n’est pas un pays de « Miskins » - terme arabe désignant les miséreux – à qui on jette quelques subsides fussent-ils en pétrodollars pour qu’il plie en quatre son honneur avant de le mettre dans sa poche arrière. En clair, le Mali n’est pas le vassal de l’émirat du Qatar ») et de l’indignation (« Après la chute de Tessalit, certaines sources ont même fait état d’avions cargos frappés aux couleurs du Qatar qui transportaient du matériel de guerre sophistiqué et des véhicules 4 x 4 flambant neufs que le royaume de l’émir Cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani a offert aux agresseurs du Mali, un pays souverain s’il en est ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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