LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

François Lonsény Fall et la promesse de la « renaissance » de la diplomatie guinéenne (3/3)

Publié le jeudi 25 octobre 2012 à 08h18min

PARTAGER :                          
François Lonsény Fall et la promesse de la « renaissance » de la diplomatie guinéenne (3/3)

François Lonsény Fall a pris ses fonctions de ministre des Affaires étrangères le lundi 15 octobre 2012 en présence (une première dit-on à Conakry) de la présidente du Conseil national de transition (CNT), Rabiatou Serah Diallo. Comme si personne n’avait assumé cette tâche depuis qu’il avait quitté la tête de la diplomatie guinéenne le 1er mars 2004.

D’emblée, il a affirmé être là « pour reprendre en main » ce département, « redorer l’image de la Guinée dans le monde et assurer son retour sur la scène internationale », « engager une série de réformes en vue d’une plus grande rationalité et efficacité ». Il a dénoncé « la vétusté, le délabrement et l’exiguïté des locaux, le manque de ressources financières, la pléthore des effectifs, la sédentarisation et la non professionnalisation des agents, la démotivation du personnel, notamment au niveau du département central, l’annulation des arriérés dans les missions diplomatiques et consulaires », autant de « maux qui gangrènent et paralysent notre appareil diplomatique » et expliquent « l’absence évidente de résultats ». La renaissance de la diplomatie guinéenne se fera, bien sûr, en promouvant « une diplomatie économique » ouverte sur de « nouveaux horizons de coopération » mais aussi par « une diminution significative du personnel diplomatique à l’étranger dans un premier temps et, par la suite, au redéploiement d’un personnel réduit, choisi sur les seuls critères de la compétence et de l’expérience ». Son prédécesseur, le Dr. Edouard Gnakoye Lama, titulaire de ce portefeuille depuis l’accession au pouvoir d’Alpha Condé, verra sa « sagesse » et son « humilité légendaire » saluées par Fall. Une façon de dire que, dans sa fonction, il était insignifiant quand lui, Fall a vu sa nomination « saluée […] par la ferveur populaire ».

Lors de sa prise de fonction, Fall s’est interrogé : « Aurons-nous les moyens et la latitude pour réussir cette mission comme nous le souhaitons ? ». Une interrogation pas neutre pour un homme qui a démissionné, dans les conditions que l’on sait, de la primature parce qu’il n’avait pas la « latitude » requise pour « réussir sa mission ». On notera encore qu’à en croire son adresse, la cérémonie de prise de fonction s’est déroulée en présence de Kabiné Komara, saluée par Fall comme « premier ministre » : ce banquier, originaire de Kankan tout comme Fall (ils sont de la même génération), a été effectivement le premier ministre désigné par le capitaine Moussa Dadis Camara à la suite de son accession au pouvoir le 23 décembre 2008. C’est dire que Fall aime à jouer les électrons libres au sein de la nébuleuse actuellement au pouvoir.

Juste retour des choses. Fall a été au cours des deux années passées largement utilisé comme missi dominici par Condé qui n’avait pas grand monde sous la main pour ce type de mission. Mais ni le chef de l’Etat ni son entourage ne lui auraient accordé l’estime qui convient à un homme politique d’expérience par ailleurs promu ministre d’Etat, secrétaire général du gouvernement, par Condé. « Monsieur Fall a fait preuve d’une abnégation sans faille. Il a beaucoup encaissé et a dû avaler beaucoup de couleuvres » a souligné une certaine presse guinéenne. Qui raconte que les ambassadeurs à Paris et à Washington ambitionnaient également la responsabilité de la diplomatie guinéenne ; dans cette perspective, ils avaient activé leurs réseaux régionaux (mandingue pour l’un, « forestier » pour l’autre) à la présidence.

Fall a fait de sa nomination un événement politique. C’est un message à la communauté internationale : « Je suis de retour » ; mais aussi au président Condé et à son entourage : « Je suis toujours là et il faut faire avec ». Il est la seule personnalité politique stricto sensu qui se soit rangée derrière (lui dirait sans doute « aux côtés ») Condé à l’issue du premier tour de la présidentielle 2010, faisant oublier, au sein de la coalition Arc-en-Ciel, l’origine sénégalaise (et dans une moindre mesure malienne mais c’est surtout Dakar qui, au temps d’Abdoulaye Wade, était ouvertement opposé à Condé) de ses parents, origine dénoncée par ses ennemis.
Après deux ans d’une « présidence Condé », les problèmes demeurent et s’aggravent. Les législatives ne cessent d’être reportées ; la situation économique, boostée par les perspectives du secteur minier, subit la crise et le ralentissement de l’activité productive des « émergents » ; les tensions sociales sont plus fortes que jamais sous le regard, désormais libéré, des médias locaux et internationaux (on se souvient des événements du 3 août 2012 à Zogota, en Guinée forestière, au cours desquels cinq villageois ont été tués par les forces de sécurité) ; et l’incertitude sécuritaire pèse d’un poids nouveau depuis le déclenchement de la « crise malo-malienne »… La Guinée est le plus enclavé des Etats côtiers d’Afrique : il est entouré de six pays dont le Mali avec lequel il partage 858 km de frontière. Bamako est, à vol d’oiseau, aussi proche de Conakry que l’est Dakar. Et, pour Bamako, Conakry est, avec Ouagadougou, la capitale la plus proche ! C’est dire que ce qui se passe au Mali n’est pas sans impact en Guinée d’autant plus que, toutes proportions gardées (le régime de Moussa Traoré n’ayant jamais atteint de degré de terreur mise en œuvre par Ahmed Sékou Touré), les deux pays ont des évolutions qui ne manquent pas de points communs (et Amadou Haya Sanogo n’est pas sans rappeler Moussa Dadis Camara).
Condé, drapé dans l’habit d’ami (Internationale socialiste oblige*) de François Hollande, est, sur le Mali, sans nuance. Il l’a redit, voici peu, en marge du sommet de la Francophonie à Kinshasa : « Comment voulez-vous qu’on négocie avec les terroristes ? C’est une connerie que de croire qu’on peut négocier avec eux. On n’a pas d’autre solution que d’utiliser la force. Nous devons procéder par deux étapes : d’abord libérer Gao et Tombouctou, pour permettre des élections au Mali - cette libération peut être menée par l’Union africaine ; ensuite engager la bataille du Sahara qui sera plus longue ». Pour justifier son propos, Condé citera … Sékou Touré : « La Guinée et le Mali sont deux poumons dans un même cœur ». Jusqu’à certaines limites : obnubilé par le terrorisme, la Guinée (qui n’a de frontières qu’avec le Sud-Ouest de la Guinée) vient d’expulser 26 Maliens. « Nous avons compris qu’ils préparaient quelque chose […] Ils tenaient des réunions clandestines à Conakry chaque vendredi […] Cela nous a paru bizarre ». Et cette « bizarrerie » a justifié, aux dires du porte-parole de la gendarmerie nationale, le commandant Mamadou Alpha Barry, de les reconduire de l’autre côté de la frontière. Motif : « un projet de conspiration avait pour but de déstabiliser la Guinée ». Pas encore Etat de droit dès lors qu’un étranger peut être expulsé sans jugement sous l’accusation de « conspiration ». Il est vrai que les événements s’accélèrent : un ressortissant guinéen, un humanitaire, a été capturé à Dakoro, au Sud du Niger, à plus de 350 km (à vol d’oiseau) de la frontière avec le Mali. Le Guinéen, pris avec d’autres otages africains (4 Nigériens et 1 Tchadien), n’était pas la cible, mais il n’empêche que la Guinée, du même coup, fait son entrée dans « le cercle des otages disparus ». Ajoutons que c’est au port de Conakry qu’arrivent les armes destinées aux autorités de Bamako et que la Guinée est une plaque tournante du trafic de cocaïne. C’est dire que Fall, nouveau ministre des Affaires étrangères, va avoir fort à faire pour redresser l’image de son pays dans un contexte régional « détérioré ». L’occasion de prendre date pour la prochaine présidentielle (dans trois ans déjà !). Ce qui ne lui déplait pas.

* A noter que l’Internationale libérale, quant à elle, vient de tenir son 58ème congrès à Abidjan. Deux leaders guinéens y étaient présents : Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré. Ont également fait le déplacement en Côte d’Ivoire les présidents Macky Sall et Ellen Johnson Sirfeaf. C’est dire que trois des six pays – et plus encore les principaux – qui ont des frontières avec la Guinée sont dirigés par des chefs d’Etat membres ou proches de l’Internationale libérale…

Jean-Pierre Bejot
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique