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François Lonsény Fall et la promesse de la « renaissance » de la diplomatie guinéenne (2/3)

Publié le mercredi 24 octobre 2012 à 11h56min

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François Lonsény Fall et la promesse de la « renaissance » de la diplomatie guinéenne (2/3)

Titulaire d’une maîtrise en droit en 1976, François Lonsény Fall (il a associé le nom de sa mère à celui de son père) va débuter comme enseignant à l’université de Conakry en 1977 avant d’être nommé au ministère du Plan et de la Coopération. C’est en 1980 qu’il va rejoindre la diplomatie.

Après Le Caire et Lagos, il sera en poste en France à la fin des années 1980 et aux Etats-Unis au début des années 1990 (c’est à New York, loin des regards et des soubresauts politiques guinéens, qu’il a installé sa famille ; une de ses filles a obtenu un diplôme d’ingénieur de l’université Columbia. Certains des enfants de Lansana Conté ou de ses épouses ont été, eux aussi, scolarisés aux Etats-Unis et « élevés » par les ambassadeurs en poste à New York dont Fall). De retour à Conakry, il sera directeur des affaires juridiques et consulaires avant de retrouver l’Amérique en tant que représentant permanent auprès des Nations unies (2000-2002). Il sera ainsi vice-président de l’Assemblée générale du « Millénaire » et délégué de la Guinée au Conseil de sécurité en charge du dossier libérien.

En juin 2002, il sera appelé au gouvernement de Lamine Sidimé. Il remplacera, aux Affaires étrangères et à la Coopération, Hadja Mahawa Bangoura (en fonction depuis le 7 juin 2000). Membre du Comité ministériel de médiation et de sécurité de la Cédéao, il aura à connaître les événements du 18-19 septembre 2002 en Côte d’Ivoire et le coup d’Etat militaire du 14 septembre 2003 en Guinée Bissau. En mars 2003, il présidera le Conseil de sécurité des Nations unies.

Lansana Conté, « réélu » à la présidence de la République en décembre 2003, va en faire son premier ministre le 23 février 2004. Fall va s’atteler à définir un programme de réformes de l’Etat en adressant à chaque ministre une lettre de mission fixant les objectifs à atteindre*. Or ce n’était pas ce que lui demandait Conté, déjà malade et à la tête d’un pays plus malade encore : il ne voulait que tirer des traites sur le « crédit » dont Fall disposait auprès des institutions internationales après son séjour aux Etats-Unis et son action en tant que chef de la diplomatie. Pas question de mettre son nez dans le « complexe affairo-politique », fondement du pouvoir de Conté. Fall profitera d’une mission à Paris pour prendre la poudre d’escampette. Il avait écrit sa lettre de démission avant son départ de Conakry mais ne la fera remettre à Conté qu’à l’issue de son séjour à Paris. Il n’aura été premier ministre que pendant deux mois. Injoignable, y compris à l’hôtel Raphaël, avenue Kléber (dont raffolent les dignitaires guinéens), il va se fondre dans le maquis urbain français après avoir informé l’Elysée et la Maison-Blanche de sa démission. Le 5 mai 2004, il s’envolera pour New York où se trouvent sa femme et ses enfants.

Incompréhension à Conakry. Fall devient l’homme du « non » à Conté. Impensable. Et pour Conté c’est tellement incroyable qu’il va convoquer la mère de Fall, lui demandant de faire revenir son fils au pays. Il faudra du temps pour que le chef de l’Etat comprenne que la rupture était définitive. Pendant plusieurs mois, le poste de premier ministre sera vacant. Avant qu’il ne soit confié, le 9 décembre 2004, à Cellou Dalein Diallo. Fall, qui connaît l’état de santé de Conté, entend alors se « retirer et se mettre en réserve », espérant qu’à l’issue d’un scrutin « réellement transparent […] quelqu’un comme Sidya Touré l’emporte. Ce qui serait bon pour la Guinée » (J.A./L’Intelligent du 2 mai 2004 – entretien avec Marwane Ben Yahmed).

Fall va prendre du service à l’international. Il sera, de 2005 à 2007, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Somalie et chef du bureau politique des Nations unies pour la Somalie, l’occasion pour lui de multiplier les contacts avec les pays du Golfe. Auparavant, il avait été pressenti pour prendre la suite du Béninois Albert Tévoédjrè à la tête de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Minuci). Il assumera, ensuite, de 2007 à 2009, les mêmes fonctions pour la République centrafricaine. Pendant ce temps, à Conakry, la valse des premiers ministres se poursuit : après Cellou Dalein Diallo (2004-2006) ce sera Eugène Camara (quelques jours seulement en 2007) puis Lansana Kouyaté (2007-2008) et Ahmed Tidiane Souaré (2008). Fall, afin de ne « pas injurier l’avenir », a entrepris, dès son départ de la primature, de créer un parti : l’Alliance pour le renouveau de la Guinée (ARG), mais ses activités au sein des Nations unies l’obligeront à la « réserve ». Sauf que le 22 décembre 2008, Lansana Conté meurt et que l’armée prend le pouvoir à Conakry (si tant est qu’elle l’ait jamais quitté).

La mort de Conté ramènera Fall à Conakry, dans sa villa de Taouyah, au bord de l’océan Atlantique. Il a fondé le Front uni pour la démocratie et le changement (FUDEC), l’a implanté à New York et à Paris, et publié « Mon pari pour la Guinée : le changement est possible » (éditeur L’Harmattan – Paris, 2009) : autobiographie et programme de gouvernement… Sauf que les militaires vont s’accrocher au pouvoir après que « l’opposition » se soit illusionnée sur les intentions du capitaine Moussa Dadis Camara. Il faudra attendre 2010, bien des péripéties, des drames aussi hélas, une tentative d’assassinat du « chef de l’Etat » et de multiples médiations pour qu’une présidentielle puisse être organisée.

A la veille du 27 juin 2010, ils sont tous là : Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, Lansana Kouyaté, François Lonsény Fall et… dix-neuf autres. Avant le déroulement du premier tour, Fall refusera de dire qui sera son candidat au second. Avec 0,46 % des voix, il ne pèsera guère dans la balance électorale pour le second mais, en bon diplomate, saura, entre l’été et l’hiver 2010, choisir son camp et négocier son job. Condé n’a aucune expérience du pouvoir et a passé de longues années hors de la Guinée ; Fall a non seulement une image positive à l’extérieur du pays, en Afrique comme à l’international, mais également une bonne connaissance de la situation qui prévaut en Guinée sans être une « forte » personnalité politique de l’opposition à l’instar d’un Cellou Dalein Diallo ou d’un Sidya Touré. Fall est, à l’image de la clé anglaise, adaptable en permanence à toutes les situations. Il va devenir, dans l’entre deux tours, le porte-parole de l’Arc-en-Ciel, la coalition qui va soutenir Condé au deuxième tour. Condé accédant au pouvoir, Fall se retrouvera propulsé comme homme-clé du cabinet présidentiel : il est nommé secrétaire général de la présidence.

Il a alors 61 ans ; son patron en a onze de plus que lui : 72 ans. Quand au premier ministre, Mohamed Saïd Fofana, c’est un OVNI politique : personne ne sait d’où il vient, où il va et comment il veut y aller ; ni même à quoi il ressemble vraiment. Autant dire que Fall a une large marge de manœuvre. Qu’il va s’employer à utiliser. Après deux années en tant qu’éminence grise, bête noire et observateur attentif du comportement des ministres et de leur administration (sans perdre de vue, pour autant, le monde des affaires sans lequel personne ne peut s’investir en politique en Guinée), Fall sort de la forêt pour revenir sous les projecteurs : le voilà, depuis le vendredi 5 octobre 2012, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger. Un job qu’il maîtrise totalement.

Candidat à la présidentielle, il avait prôné « une diplomatie de développement, en diversifiant et en réorientant les relations avec les partenaires. Une attention particulière sera accordée aux compatriotes vivant à l’extérieur, pour leur réinsertion dans la vie politique, économique et sociale du pays, ainsi qu’à la mise en œuvre de la politique d’intégration sous-régionale et régionale » (entretien avec Moustapha Keïta – Matalana, juin 2010). Le voilà au pied du mur.

* C’est François Lonsény Fall qui va dissocier les Affaires étrangères et la Coopération. Il confiera la direction de la diplomatie à Mamadi Condé, qui avait été ambassadeur à Alger et à Pékin, et nommera à la Coopération un de ses plus proches collaborateurs : El Hadj Thierno Habib Diallo.

Jean-Pierre Bejot
La Dépêche Diplomatique

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