LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

La France, la Francophonie et l’Afrique : Une relation nécessairement pas tout à fait comme les autres ! (1/2)

Publié le mardi 16 octobre 2012 à 07h32min

PARTAGER :                          
La France, la Francophonie et l’Afrique : Une relation nécessairement pas tout à fait comme les autres ! (1/2)

C’est fait. Un entretien avec les médias de l’Audiovisuel extérieur français (AEF) – France 24, TV5 Monde et RFI – et, dans la foulée, un discours de Dakar qui se veut fondateur de ce que doit être une relation « normale » entre la France et l’Afrique. Dans un contexte particulier. François Hollande débarque à Dakar alors qu’il est en route pour Kinshasa : ce n’est pas une visite officielle tout juste une opportunité.

D’autant plus… opportune qu’un nouveau président a été élu au Sénégal et que la transition, une fois encore, a été exemplaire alors que le pire était à craindre ; de là à ériger le Sénégal en modèle et à faire appel aux « anciens » (Blaise Diagne, Léopold Sédar Senghor, les « Tirailleurs sénégalais », ceux du camp Thiaroye), il n’y avait qu’un pas que Hollande n’a pas hésité à franchir. « Le Sénégal est un exemple pour l’Afrique » et c’est « épaule contre épaule, pour reprendre les mots donnés par Senghor à votre hymne national, que la France et l’Afrique avanceront ensemble ». Tout est dit.

Hollande aurait pu ajouter que la mère de ses enfants, Ségolène Royal, est née à Dakar et que leur grand-père, Jacques Royal, partisan d’une Algérie française, y était en poste en tant qu’officier, expression des contradictions idéologiques dans lesquelles les socialistes se débattent ; ajoutons que « Ségo » avait fait le déplacement dans la capitale sénégalaise pour présenter les « excuses de la France » à la suite du « Discours de Dakar » de… Nicolas Sarkozy. Mais « Ségo » n’est plus d’actualité depuis que Hollande a succédé à Sarkozy et que Valérie Trierweiller a pris sa suite.

Il ne s’agit pas de polémiquer ou d’être bêtement sarcastique (ce qu’on ne manquera pas de me reprocher) mais de rappeler que la relation de la France à l’Afrique est, nécessairement, pas tout à fait comme les autres. Le passé y pèse d’un poids particulier. Autre illustration de cette étroite connexion. Hollande s’est rendu à Kinshasa non pas pour y rencontrer Kabila mais afin de participer au sommet de la Francophonie, autre héritage de la colonisation française. Ajoutons qu’à Dakar comme à Kin, le sujet de conversation a été la situation au Mali ; une situation qui ne cesse de faire la « une » de la presse française et se trouve être une préoccupation pour l’Elysée. C’est dire que penser que la France et l’Afrique « avancent ensemble épaule contre épaule » ou que leur histoire est celle « d’une fraternité, celle de combats menés ensemble » est une vision historique abusive qui fait l’impasse sur les exactions de la France et des Français sur le continent (la colonisation, dès lors qu’elle a été l’asservissement d’un peuple au nom d’un autre, ne saurait avoir, en rien, une dimension « positive »).

C’est dire aussi que l’exercice auquel Hollande s’est prêté (un discours sur l’Afrique à la veille d’un déplacement à Kin au titre de la Francophonie) était périlleux. Il l’a dit aux journalistes de l’AEF : il s’agit de tenir « le discours de la franchise, de la transparence et du respect ». Mission impossible. Que dit-il de la RDC ? D’abord que c’est « un pays qui est agressé à ses frontières », des « agressions venant de l’extérieur ». Mais si, concernant le Mali, il dénonce des « terroristes » et AQMI, il ne dit rien des « agresseurs » de la RDC. Il ne dit rien non plus de la situation humanitaire dans le Kivu, plus dramatique qu’elle ne l’est au Nord-Mali et depuis plus longtemps. Ni de la situation intérieure congolaise où « les élections [de l’année dernière] n’ont pas été regardées comme étant complètement satisfaisantes ».

Franchise, transparence, respect !
A Kin, Hollande a rencontré « le principal opposant historique », Etienne Tshisekedi. Il était déjà opposant à Mobutu ; il l’a été à Kabila père et l’est à Kabila fils. Mais quelle est sa crédibilité ? François Soudan, Christophe Boisbouvier, parmi d’autres, savent, comme je le sais, qu’Etienne « n’est jamais là où tout le monde l’attend » ; et comme disait une de ses « fidèles » : « Des fois, je ne comprends pas Etienne. Il joue, et au moment de marquer le but, il s’arrête ! » (Jeune Afrique du 4 juin 2006). Ce n’est pas Tshisekedi qui va effrayer Kabila… !

Mais ce n’est pas là l’essentiel. Tandis que Hollande sera à Kin, notre ministre de la Francophonie (oui, c’est un job à temps complet !), Yamina Benguigui va se rendre à Goma, dans l’Est de la RDC, là où depuis au moins deux décennies, la situation des populations (tout particulièrement des femmes victimes de viols systématiques) est dramatique. Hollande a dénoncé (cf. supra) « des agressions venant de l’extérieur », sans dire qui fait quoi et pourquoi Kin laisse faire. Paris-Kinshasa-Goma en Falcon 2000 de la République française pour Madame la ministre et sa délégation de dix personnes. Cela fait désordre (cf. Le Parisien du 12 octobre 2012 et Le Canard enchaîné du 10 octobre 2012) du fait du coût de l’opération. Un simple A/R dans la journée. « Dormir sur place » était jugé trop dangereux. Au-delà du « fric » dépensé que restera-t-il de cette opération* ? Pourquoi se mobiliser pour le Mali et pas pour le Kivu ?

Franchise, transparence, respect !
« Cela ne vous a pas échappé que sur les « biens mal acquis », la justice française fait son travail et sans entrave et qu’il y a notamment un pays, une famille, qui est particulièrement concernée » a déclaré Hollande aux journalistes de l’AEF. O.K. Tout le monde a compris : le pays, c’est la Guinée équatoriale, la famille c’est celle d’Obiang Nguema. Cela tombe bien, Nguema a choisi (quand les autres pays ont « subi », histoire oblige) d’ancrer son pays, hispanophone, dans la Francophonie. Et aujourd’hui même, vendredi 12 octobre 2012, la Guinée équatoriale célèbre sa fête de l’indépendance dans le village natal des Nguema, à Mongomo. L’occasion de dénoncer « l’ingérence » de la France dans les affaires internes du pays. « Où n’y a-t-il pas de corruption ? a interrogé le chef de l’Etat équato-guinéen. Nous sommes africanistes et leaders en Afrique. Nous apportons beaucoup à l’Afrique ». Beau sujet de conversation.

A Dakar, d’ailleurs, Hollande a enfoncé le clou : « Je salue l’initiative du président Sall de lancer une opération de récupération des biens mal acquis. La lutte contre la corruption, les abus financiers et contre l’impunité est l’affaire de tous. Nous devons être intraitables face à ceux qui pourraient se croire autorisés à voler les deniers de leur propre pays ou face à ceux qui viennent chercher des contrats en ne négligeant aucun moyen de pression ou d’influence ». Cette fois c’est Abdoulaye Wade – « inventeur » de Macky Sall – et sa famille qui sont dans le collimateur. Prenez la liste des participants au sommet de la Francophonie et surlignez le nom des chefs d’Etat et des membres de leur entourage qui ne se sont jamais sentis « autorisés à voler les derniers de leurs propre pays ».

Quant aux entrepreneurs qui « contractualisent » sans « aucun moyen de pression ou d’influence » demandez leur de prendre contact avec le consul honoraire de la République française dans la Province du Katanga, l’homme d’affaires belgo-congolais Malta David Forrest, « l’un des principaux opérateurs économiques et employeurs privés en RDC » qui avoue sans rire : « Je ne fais pas de politique. Je respecte les institutions congolaises et je fais ce que j’ai à faire, en l’occurrence investir et travailler » (Jeune Afrique du 7 octobre 2012). Ils pourront fonder le club des hommes d’affaires intègres.
Franchise, transparence, respect !

* Selon l’entourage de Yamina Benguigui, « elle a remué ciel et terre pour trouver 2 millions d’euros pour les ONG qui viennent en aide aux femmes violées et aux enfants de Goma et cela n’intéresse personne… » (Le Parisien du 12 octobre 2012 – papier de Nathalie Segaunes). Sur ce dossier des femmes au Kivu, je renvoie au reportage de la journaliste burkinabè Sheila Sandrine Sanouidi que La Dépêche Diplomatique a publié (cf. LDD Spécial Week-End 0478/Samedi 5-dimanche 6 mars 2011).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Sénégal : Le premier président de la Cour suprême limogé