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Intervention militaire au Nord du Mali : Comme dit l’autre : « Une guerre serait dangereuse pour la paix ».

Publié le mardi 16 octobre 2012 à 07h41min

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Intervention militaire au Nord du Mali : Comme dit l’autre : « Une guerre serait dangereuse pour la paix ».

Ronald Reagan n’a pas été le président US le plus séduisant intellectuellement ; c’est le moins que l’on puisse dire. Pas plus politiquement qu’intellectuellement d’ailleurs. L’ancien acteur de série B, qui a assuré deux mandats à la Maison-Blanche (1981-1989), avait cependant cette capacité à dire des « conneries » qui, dans le même temps, n’étaient pas aussi « connes » que l’époque dans laquelle nous vivions alors (tout cela n’a pas évolué dans le bon sens depuis).

Dans Le Monde daté du 18-19 avril 1982, il déclarait ainsi : « Une guerre serait dangereuse pour la paix… ». Cette quasi litote devrait être méditée par ceux qui, concernant la situation qui prévaut au Mali, sautent à pieds joints toute la journée en hurlant : « la guerre, la guerre, la guerre… ». Même Abdou Diouf, le secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), malgré son âge, s’y est mis et a emboîté le pas (si j’ose dire) à Cheick Modibo Diarra, premier ministre du Mali (cf. LDD Mali 048/Mardi 2 octobre 2012). Diouf voit désormais des « narcotrafiquants, des preneurs d’otages et des criminels frontaliers » partout dans le Nord du Mali, mais pas un seul Touareg. « La situation est extrêmement grave. Personne ne sera à l’abri si ce cancer se développe », affirme l’ex-président sénégalais, qui ajoute : « Il n’y a pas d’alternative […] La seule façon de régler ce problème est militaire ».

Il ne faut pas être dupe. Du 12 au 14 octobre 2012, se tiendra à Kinshasa le XIVème sommet de la Francophonie. Et ce dossier malien est pour Diouf l’occasion de rappeler que la francophonie existe même s’il n’y a que ceux qui sont payés par l’OIF qui s’en souviennent. Les mauvaises langues pourraient rétorquer que « les narcotrafiquants, les preneurs d’otages et les criminels frontaliers » n’ont pas émergé subitement dans le Nord du Mali au cours des derniers mois. Ils sont là depuis longtemps et cela n’a, jusqu’à présent, dérangé personne ; surtout pas ceux qui, politiquement et financièrement, tirent profit de cette promiscuité « mafieuse ».

D’autres mauvaises langues pourraient rappeler à Diouf que la Casamance, terre sénégalaise en sandwich entre Gambie et Guinée Bissau, s’adonne depuis quelques décennies, avec délectation, aux pratiques mafieuses que l’on dénonce aujourd’hui au Nord-Mali. Enfin, s’il traîne encore des mauvaises langues ayant l’irrésistible envie de s’exprimer, qu’elles dressent un état des lieux du mode de production politique de la République démocratique du Congo (RDC) – qui a l’insigne honneur d’accueillir les chefs d’Etat de la francophonie – et expédient ceux qui aiment « battre le tambour avec les tibias des morts » voir ce qui se passe au Kivu, du côté de Goma, où le M23 soutenu par Kigali fait régner la terreur.

Même le premier ministre congolais, Augustin Matala Ponyo, dans le quotidien belge Le Soir (22 août 2012), reconnaissait que « cette guerre est fondée sur l’exploitation frauduleuse des minerais par des groupes mafieux qui ont des relais à l’intérieur du Congo », évoquant même des réseaux « transfrontaliers ». Autant dire que ceux qui sifflent « Malbrough s’en va en guerre » peuvent fourbir leurs armes : les zones rouges ne manquent pas en Afrique ; et je ne parle pas du Proche et du Moyen-Orient...

Mais pour ceux qui pensent qu’il faut « vaincre le terrorisme qui se développe dans le Nord du Mali » (dixit Diouf), un conseil : emportez quelques bouquins de T.E. Lawrence et, particulièrement, « Les Sept piliers de la sagesse ».

Lawrence, qui a conduit sur le terrain « la révolte dans le désert » (1916-1918), révolte « arabe » qui a donné au Proche et au Moyen-Orient, sur les ruines de l’empire Ottoman, sa physionomie actuelle (y compris avec les problèmes pendants), a écrit : « Qui est maître de la mer est le plus libre : il peut accepter ou refuser la guerre à sa guise. Nous étions maître du désert ». Aujourd’hui, qui est maître du désert dans le « corridor sahélo-saharien » ? Ce n’est pas Bamako ni la Cédéao. Ce ne seront ni les Français ni les Américains.

Le professeur Mathieu Guidère, un des meilleurs connaisseurs français du monde arabo-musulman contemporain, a écrit dans Le Figaro (27 septembre 2012) : « On compte sur les contingents du Nigéria, lequel peine à gérer les islamistes de Boko Haram à l’intérieur de ses propres frontières, et l’on craint déjà les débordements des Tchadiens. Les autres pays limitrophes du Mali proposent une contribution symbolique mais nécessaire pour donner corps à cette force « internationale ». La France n’apporterait qu’un « soutien logistique ». Quant à « l’armée malienne », citée dans la demande introduite à l’ONU, elle existe uniquement sur le papier. Enfin, on se demande de quoi on parle lorsqu’on évoque « les régions du Nord occupées ». Occupées par qui ? La principale faction présente au Nord du Mali – le groupe Ansar Dine (« défenseurs de la religion ») – est composée de combattants maliens, certes islamistes mais bien maliens. Ils sont, de surcroît, touaregs et revendiquent depuis belle lurette ce territoire comme le leur ».

C’est dire que l’agitation des « va-t-en guerre » a des allures de propagande qui ont des relents parfois nauséeux. « On est 460 millions d’Européens et en face il y a 1.000 gars vraiment dangereux, on ne va tout de même pas rester les bras croisés ! » affirmerait-on dans « l’entourage du ministre français de la Défense » (selon François Clemenceau – Le Journal du Dimanche du 30 septembre 2012). Eh, oui, on va aller casser de « l’islamiste radical » comme, il y a cinquante ans, la France « cassait du bougnoule », un ministre gaulliste de la Vème République (Alexandre Sanguinetti) pouvant même fanfaronner à cette époque, à la manière du lieutenant-colonel George A. Custer (qui, lui, a eu le mérite de mourir sur le champ de bataille) : « Un bon algérien est un Algérien mort » (selon Constantin Melnik in « De Gaulle, les services secrets et l’Algérie », éditeur Nouveau Monde – Paris, 2012).

En évoquant à longueur de journée un « Sahélistan » ou un « Malistan », les « va-t-en guerre » font l’impasse sur la dimension politique de la « crise malo-malienne » (à l’instar d’ailleurs du premier ministre Diarra) et au lieu de circonscrire le foyer de trouble, ils en répandent les tisons partout dans la région oubliant, au passage, que le Nord-Mali n’est pas le seul territoire dans le monde soumis à une charia effective : il suffit d’aller voir ce qui se passe quotidiennement du côté de l’Arabie saoudite ou du Nord du Nigéria pour s’en convaincre (deux pays massivement producteurs de pétrole, il est vrai ! ; « l’Occident » se doit donc d’être accommodant).

Hurler au loup (ou au « terrorisme ») à tout bout de champ est aussi peu productif que de fustiger, à longueur de JT, les jeunes des cités françaises (s’ils vendent de la drogue, il faudrait peut-être se poser la question de savoir qui sont leurs acheteurs, sans doute pas leur père, leur mère, leurs frères et sœurs… !). La résolution de la « crise malo-malienne » passe par Bamako avant Gao, Tombouctou, Kidal. Il faut se rendre à l’évidence : la crédibilité du gouvernement en place dans la capitale « malienne » est sujette à caution. Une intervention militaire « intra-africaine » ou/et « internationale » serait le détonateur d’un cataclysme dont on ne peut pas, aujourd’hui, envisager l’onde de choc.

Au Mali comme dans la région et particulièrement en Algérie qui est, militairement, le maillon fort et, politiquement, le maillon faible. Car aucune intervention militaire ne pourra se limiter à une opération ponctuelle ; il faut revenir à Lawrence : celui qui est le « maître du désert » peut « accepter ou refuser la guerre à sa guise ». Autrement dit mettre la main sur les « terroristes » va obliger à passer au tamis chaque grain de sable du désert. Hillary Clinton, secrétaire d’Etat US, l’a dit à New York en marge des réunions consacrées au Mali en marge de l’Assemblée nationale : seul « un gouvernement démocratiquement élu aurait la légitimité de négocier un accord politique au nord du Mali, de mettre fin à la rébellion et de restaurer l’état de droit ». On n’en est pas encore là !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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