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Abdoul Mbaye, premier ministre, appelle à un Sénégal « citoyen » et au dialogue avec la « société civile » (3/3)

Publié le samedi 22 septembre 2012 à 11h30min

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Abdoul Mbaye, premier ministre, appelle à un Sénégal « citoyen » et au dialogue avec la « société civile » (3/3)

Dans sa longue, très longue, déclaration de politique générale (DPG) - prononcée le lundi 10 septembre 2012 devant l’Assemblée nationale - le premier ministre sénégalais Abdoul Mbaye a mis l’accent, essentiellement, sur sa politique économique. Sans surprise. DPG qui ne manque pas de me rappeler ce que me disait Alassane D. Ouattara, le 28 novembre 1988, à Washington, au siège du FMI.

Il quittait alors la direction Afrique du Fonds monétaire international pour prendre le gouvernorat de la BCEAO (au sein de laquelle Mbaye a été « formaté »). Il m’avait répondu, alors que je lui posais la question de savoir ce qu’était, selon lui et le FMI, « une bonne politique économique » : « Ce sont des recettes de bonne femme, des choses très simples ». Près d’un quart de siècle plus tard, alors qu’il a été Premier ministre et qu’il est président de la République de Côte d’Ivoire, je ne suis pas certain qu’il pense toujours ainsi. Les « recettes de bonne femme » sont parfois insuffisantes pour régler les problèmes. Mbaye en est encore à ce stade ; celui « des choses très simples ». Une bonne analyse, beaucoup de bonne volonté et puis, ensuite, veiller à la cuisson du gigot tout en préparant la sauce. Sauf que… Sauf qu’il y a des contraintes internes et des contraintes externes et qu’il ne suffit pas de mettre le doigt sur les maux qui ravagent un pays pour que celui-ci aille mieux. Sauf si l’on est guérisseur… !

Mbaye ne le dit pas. Mais, à l’instar de ce qu’a pu penser Ouattara pendant de longues années, il considère que c’est la politique qui pervertit l’économique. Venant d’où il vient (la finance et la banque) et étant ce qu’il est (un Mbaye, fils et frère), n’ayant jamais choisi d’avoir un destin national par la voie… politique, il a tendance à dégager en touche tout ce qui, selon lui, vous conduit nécessairement dans « le corridor des tentations ». Manifestement, il n’a aucune considération pour ce qu’ont été les « wadistes » ; même si sa politique économique n’est en rien une remise en question de celle prônée par Abdoulaye Wade lors de son accession au pouvoir en 2000. Comment changer la forme dès lors que le fonds reste, quasiment, le même ? En considérant non plus les Sénégalais comme des spectateurs mais comme des acteurs. Autrement dit : des « citoyens ». Et en dégageant en touche tout ce qui, de près ou de loin, tend à rappeler ce qu’est la vie politique d’une nation. Il y a un président de la République et un gouvernement de la République. Point final. A l’exception de celui du chef de l’Etat, aucun nom n’est cité, aucune activité gouvernementale n’est mise en avant. Président et gouvernement – le premier ministre assurant la liaison – travaillent ensemble, dans le même sens. Travail d’équipe. Pas de stars.

Dans sa DPG, Mbaye rend hommage non pas aux « électeurs » – référence à la politique politicienne qu’il exècre – mais aux « citoyens » et tout d’abord aux moins bien lotis d’entre eux : les jeunes (« Une jeunesse vibrante de courage et d’énergie, debout, dès les premières heures de la journée pour faire face à l’arbitraire et défendre la démocratie ») et les femmes (« Âmes de nos foyers, mères, épouses et travailleuses […] une force de changement dont le potentiel d’activités mérite d’être mieux soutenu »). Il rend hommage aussi à la presse sénégalaise « pour son combat citoyen et tout son apport dans la consolidation de nos acquis démocratiques ». Mais ne cherchez pas un mot sur les ministres, les cadres politiques, les responsables des partis, les leaders qui ont apporté leur soutien à Macky Sall...

Mbaye appelle ainsi à « l’émergence d’une Nouvelle citoyenneté » (la majuscule est dans le texte officiel). « Sans l’adhésion des populations et sans une cohésion sociale, dit-il, point de projet politique viable. Les « Fora citoyens » serviront donc de cadres d’échange et de dialogue autour des politiques publiques, avec toutes les forces vives de la nation. Comme en a décidé le chef de l’Etat, le Gouvernement* continuera également à aller à la rencontre des citoyens, à travers les Conseils interministériels et Conseil des ministres délocalisés, pour mieux s’imprégner des réalités des régions et de leurs urgences. La Gouvernement a été instruit de ne cesser d’être « présent sur le terrain » à la recherche des contacts humains, de la proximité avec les citoyens, sans qu’aucune région de notre beau pays ne soit oubliée. Les espaces de dialogue et de concertation avec les partenaires sociaux, les élus locaux, les partenaires techniques et financiers, la société civile seront consolidés selon des mécanismes et une régularité à définir ». Il ajoute : « Nous devons bâtir sur cette confiance et cet espoir « un Contrat de confiance, de croissance et de solidarité » qui engagerait l’Etat, les partenaires sociaux et le secteur privé à renforcer la paix sociale dans les entreprises, dans l’espace et les structures publiques, dans les écoles et universités, pour consolider les conditions d’une croissance partagée ».

C’est dire qu’il n’y aurait plus à prendre en compte la représentation politique (députés, responsables des partis, etc.) ni la représentation sociale (les syndicats, etc.) mais uniquement les « citoyens ». Une démocratie directe sans représentants ? C’est l’expression de la réalité sénégalaise d’aujourd’hui : le PS et le PDS, les deux grands partis historiques ont été laminés tout autant lors de l’élection présidentielle que lors des élections législatives. Quant aux leaders politiques des formations « groupusculaires », ils se sont totalement ralliés au vainqueur de la présidentielle mettant, du même coup, à gauche comme à droite, leur programme au fond de leur poche. Après quatre décennies de pouvoir PS et plus une douzaine d’années de pouvoir PDS, voilà le Sénégal livré à un pouvoir « apolitique ». C’est une nouveauté (une rupture même) dans un pays où, justement, l’engagement politique a été toujours été sublimé et où le discours idéologique a été érigé en art.

Mais c’est un constat d’échec du « politique » et non pas, pour autant, l’émergence d’une citoyenneté « militante ». Les Sénégalais veulent des actes ; pour l’instant, ils n’entendent que des discours, parfois même populistes**. Or, la DPG de Mbaye est prononcée plus de cinq après qu’il a été nommé au poste de premier ministre. Les Sénégalais peuvent légitimement se poser la question de savoir ce qui a été fait depuis alors que les « priorités » et les « sur-priorités » ont été définies depuis longtemps. Il n’est pas certain que les « citoyens » aient la même lecture que le chef du gouvernement des « ruptures » dont il fait le fondement de son action. Wade est parti, certes ; mais ce n’est pas pour autant que les Sénégalais ont l’impression que quoi que ce soit ait changé dans leur existence. L’alternance se limite à celle de l’homme à la tête du pouvoir ; pour le reste, les hommes-clés ne sont pas des nouveaux venus dans la maison.

Le programme de Sall en 2012 ne diverge pas fondamentalement de celui de Wade en 2000 ; pas de révolution, pas même d’évolution (si ce n’est dans le style : la flamboyance de Wade n’avait rien à voir avec la résilience qu’affecte Sall). « Des recettes de bonne femme » ! Seront-elles suffisantes – et, surtout, mises en œuvre suffisamment tôt avec une efficacité immédiatement perceptibles – pour que les Sénégalais se perçoivent comme « citoyens » avant d’être des acteurs sociaux et des électeurs qui expriment leurs revendications dans les ministères, les établissements scolaires, les entreprises et, en fin de compte, dans les urnes (le cas échéant : dans la rue) ?

* On remarquera qu’Abdoul Mbaye évoque toujours le tout : le « Gouvernement » (avec un « G » majuscule), et jamais les composantes du tout : les « ministres ».

** « Je le dis ici, haut et fort : le citoyen sénégalais, étranglé par une inflation immobilière devenue insupportable, et inquiet de finir sa vie sans connaître la satisfaction de devenir propriétaire de son logement, ce citoyen peut compter sur le ferme appui du Gouvernement » affirme ainsi, quelque peu imprudemment (tant est forte la pression sociale qui fait de chaque Sénégalais un propriétaire immobilier en puissance), le premier ministre. Il faudra en reparler dans cinq ans. Et même avant.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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