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Marie-Christine Saragosse quitte TV5 Monde pour la direction générale de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF)

Publié le mardi 18 septembre 2012 à 19h23min

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Marie-Christine Saragosse quitte TV5 Monde pour la direction générale de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF)

Elle a l’âge de l’Afrique indépendante. Elle y est née le 24 mars 1960 ; mais dans un pays d’Afrique qui ne l’était pas encore et qui se battait pour le devenir. Quand ce sera chose faite, la famille de Marie-Christine Saragosse – famille pied-noir d’Algérie d’origine italienne installée depuis près de trois décennies à Philippeville (elle a écrit, en 2012, un roman inspiré de cette histoire « Temps ensoleillé avec fortes rafales de vent ») – s’installera sur la côte d’Azur, à Nice puis à Cannes.

Mais elle retrouvera l’Afrique quand elle dirigera TV5Monde.
« Dans notre code ADN, dira-t-elle alors, il y a l’Afrique. Notre regard n’est pas celui du Nord vers le Sud. On est africanisés ! […] Je vais en Afrique comme une Africaine. Chacun d’entre nous a appris à « se décentrer ». Quand on n’est pas africain ou maghrébin, on a appris à le devenir ! ». Un point de vue qui se discute, professionnellement et éthiquement, mais ce n’est pas là le propos. Saragosse, nouvelle patronne de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) – difficile de trouver une raison sociale aussi peu motivante et qui, plus est, ne manque pas d’évoquer « le bon temps des colonies » ! – a été formatée par l’Afrique ; elle dirait sans doute qu’elle est « panafricaine ».

Un bachot à dix-huit ans, Sciences Po Paris à vingt-et-un ans, l’EHESS pour un DEA d’économie à vingt-trois ans et, par la suite (1985-1987), l’ENA, promotion Fernand-Braudel. Son job, ce sera l’audiovisuel public. Bref passage à RFI (directrice de la gestion) puis au cabinet de la ministre déléguée à la Francophonie où elle sera en charge de l’action audiovisuelle extérieure de la France. Elle sera, par la suite, sous-directrice des opérateurs audiovisuels et de la presse puis directrice-adjointe de la direction de l’action audiovisuelle extérieure du ministère des Affaires étrangères. En 1997, elle rejoint TV5, chaîne de télévision francophone.

C’est un diplomate, Patrick Imhaus, président du conseil d’administration de TV5 (1990-1995) puis détaché comme PDG de la société nationale Satellimages-TV5 (1995-1998) – Imhaus est connu dans le monde de la littérature sous le nom de Marc Bressant – qui l’y fera venir. Bonne pioche : Saragosse sera directrice générale adjointe, puis directrice générale et vice-présidente de TV5. En 2005, elle démissionnera. Elle avait travaillé avec Jean Stock (qui avait pris la suite de Imhaus) et Serge Adda. Adda, un franco-tunisien, avait dirigé TV5Monde du mardi 23 octobre 2001 jusqu’à sa mort à Paris, des suites d’un cancer, dans la nuit du samedi 6 au dimanche 7 novembre 2004. C’est Saragosse qui assurera l’intérim. Mais la nomination à la tête de TV5Monde de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, le mercredi 6 avril 2005, avait provoqué une polémique (cf. LDD France 0273/Lundi 18 avril 2005). Les syndicats avaient dénoncé une « désignation politique », « un délit contre la nation, l’Etat et la paix publique », « une profonde régression du pluralisme »…

De 2006 à 2008, Saragosse va donc être en charge de la coopération culturelle et linguistique au sein de la direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques du Quai d’Orsay. Jacques Chirac, ayant entrepris de réformer l’audiovisuel extérieur de la France, va chagriner les partenaires de TV5 (Belgique, Suisse, Canada, Québec…) mis à l’écart du projet et qui se voyaient imposer un tuteur, président de la holding chargée de rassembler les participations de la France dans TV5, RFI et France 24 lancée peu de temps auparavant.

Alain Duplessis de Pouzilhac, ex-publicitaire (PDG d’Eurocom puis d’Havas), patron de France 24, nommé à la présidence de la holding (Audiovisuel extérieur de la France, intitulée un temps France Monde) par Nicolas Sarkozy, va s’efforcer de désamorcer les tensions entre Paris et ses partenaires. Lors de la journée de la Francophonie, le 20 mars 2008, il croise Saragosse. Elle est connue pour son action au sein de TV5Monde et y était appréciée tout à la fois des partenaires et des salariés. Le poste de PDG de la chaîne est dissocié : Saragosse se verra confier la direction générale à la satisfaction des partenaires francophones tandis que Pouzilhac assurera la présidence après une multiplication d’escarmouches diplomatiques. De retour à TV5Monde, Saragosse choisira Dakar pour sa première conférence de presse depuis sa prise de fonction afin de « puiser l’énergie du continent ». Afrique encore et toujours.

Dans cette opération de regroupement de notre audiovisuel extérieur, AEF détenait 100 % de RFI, 100 % de France 24 et 49 % de TV5Monde (le solde du capital étant entre les mains des partenaires francophones). Saragosse bénéficiait d’une « réelle autonomie et de réelles responsabilités » que n’avaient pas les patrons des autres médias. D’autant plus d’autonomie et de responsabilités que c’était l’exigence des partenaires francophones. TV5Monde va se développer tandis qu’AEF va être, dans le même temps, confrontée à toutes les difficultés. Pouzilhac va devoir affronter le bras de fer avec les syndicats de RFI au sujet du plan de restructuration, la guerre des chefs (avec, en première ligne, Christine Ockrent, directrice générale déléguée et compagne de Bernard Kouchner qui, lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, exerçait sa tutelle sur AEF), une minable affaire d’espionnage « clochermerlesque » interne, etc. Le tout dans une conjoncture politique dont l’échéance se situait le 6 mai 2012 avec l’élection présidentielle. François Hollande l’emporte ; Aurélie Filippetti, nommée ministre de la Culture et de la Communication, désavoue la politique de fusion des rédactions prônée par Pouzilhac ; le 12 juillet 2012 celui-ci démissionne de ses fonctions. Fin de la cacophonie !

Enfin, presque. Ockrent puis Pouzilhac, Dupont et Dupond de l’audiovisuel « sarkozien » dégagés en touche, il fallait trouver un nouveau patron à AEF. Hollande, voulant rompre avec la pratique de Sarkozy, confiera au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) la tâche « de l’éclairer sur la personnalité qu’il juge la plus apte à présider aux destinées de l’AEF ». Mais la cacophonie continuera de régner. Des candidats, il y en a ; des non-candidats aussi dont notamment… Marie-Christine Saragosse qui refusera le poste début juillet 2012. Et puis il y aura les désistements de favoris (notamment Martin Ajdari, numéro deux de France Télévisions considéré comme le mieux placé, et Marc Tessier, ex-PDG de France Télévisions). Il y aura aussi le retour de Saragosse qui, le lundi 3 septembre 2012, annoncera officiellement qu’elle a « finalement accepté » la sollicitation du CSA. Saragosse candidate, il n’y en aura que pour elle dans les médias. Et c’est son seul nom qui sera proposé au… choix de Hollande.

Chacun savait qu’elle avait, dès le départ de Pouzilhac, « toutes les chances d’être choisie ». « Le flou du processus, allié à cette tenace impression que tout était réglé d’avance, démontre en tout cas que, si le mode de nomination décidé par Sarkozy valait son pesant de cynisme, le retour de ce pouvoir au CSA n’est pas sans poser de problème » écriront Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts dans Libération (7 septembre 2012). « Le nom de Marie-Christine Saragosse était annoncé partout, avant même les auditions qui ont pris l’allure d’une mascarade. Effectivement François Hollande a rompu avec le style sarkozien, pas avec les habitudes du pouvoir » ajoutera Emmanuelle Anizon dans Télérama (12 septembre 2012).

Reste que le professionnalisme et la compétence de Saragosse ne sont jamais remis en question ; ni une quelconque proximité avec les cercles du pouvoir et de l’argent (ce qui n’était pas le cas de l’équipe précédente). Reste aussi que les problèmes demeurent au sein d’AEF et que Saragosse va devoir se les coltiner. Mais elle a, dit-on un peu partout, l’envergure pour cela. On verra, alors que la concurrence est de plus en plus forte*.

* Télérama, dans son numéro du 12 septembre 2012, publie ainsi un reportage sur l’implantation à Nairobi d’une chaîne info « ultramoderne » détenue à 100 % par l’Etat chinois.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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