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Sidiki Kaba, éminent avocat des droits de l’homme, évoque la nécessaire « reconquête militaire » du Mali.

Publié le lundi 17 septembre 2012 à 13h42min

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Sidiki Kaba, éminent avocat des droits de l’homme, évoque la nécessaire « reconquête militaire » du Mali.

Il est, à l’instar des droits de l’homme, « universel ». Certes, Sidiki Kaba est Sénégalais ; et, du même coup, Africain. Mais le caractériser pas sa seule nationalité serait restrictif tant son nom est associé au combat pour les droits de l’homme. Et, pour lui, les droits de l’homme ne sont pas seulement ceux que l’on qualifie, généralement, de « démocratiques ». Ce sont aussi « le droit à l’intégrité physique, à l’éducation, à la santé, au logement, au travail, à l’expression… ».

Il a toujours prôné « l’indivisibilité des droits civils et politiques et des droits économiques et sociaux ». Kaba a été le premier Africain – et le premier non-Français – à être élu à la présidence de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH)*. C’était le dimanche 14 janvier 2001, à Casablanca. Président de l’Organisation de défense des droits de l’homme (ONDH) depuis 1995, il était vice-président de la FIDH depuis 1997 (lors du congrès qui, alors, s’était tenu à Dakar ; c’est en 1992, que Kaba a rejoint la FIDH) et avait, surtout, été un « défenseur opiniâtre des libertés publiques » au Sénégal et ailleurs sur le continent.

En 2001, quand Kaba avait été élu, la situation des droits de l’homme n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. Préoccupante (et dramatique, même, parfois, comme au Rwanda ou dans l’ex-Yougoslavie), certes, mais n’ayant pas atteint ce niveau de détérioration que l’on enregistre aujourd’hui après que ce soit écoulée une longue décennie de terreur et d’horreur. 11-septembre, Afghanistan, Irak, Côte d’Ivoire, Darfour, Grands Lacs, etc., sans oublier les « printemps arabes », ceux qui se sont éclos et ceux qui ont été annihilés par les pouvoirs en place avant de pouvoir s’imposer.

Après des études de droit, de philosophie et de lettres modernes à Dakar et Abidjan, Kaba s’était inscrit au barreau de Dakar et était entré dans le cabinet de Me Doudou Thiam. Thiam, après une brillante carrière de ministre (y compris de ministre d’Etat), notamment en charge des Affaires étrangères, et la présidence du Conseil économique et social, était tombé en disgrâce « après avoir marqué son désaccord avec des projets gouvernementaux » et avait été viré du bureau politique de l’Union progressiste sénégalaise (UPS), le parti présidentiel de Léopold Sédar Senghor, lors de son 7ème congrès (1970), laissant ainsi la place à… Abdou Diouf. Il sera alors membre de la Commission du droit international aux Nations unies, rapporteur spécial du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité contribuant ainsi à la création future de la Cour pénale internationale (le Sénégal sera le premier pays à ratifier en 1999 – année de la mort de Thiam – le traité de Rome établissant la CPI).

C’est dire que Kaba sera à bonne école. Celle, dira-t-il, de « l’activité altruiste » afin de « servir les plus faibles ». Lutte contre l’excision, défense des opposants politiques, les obscurs comme les têtes d’affiche (Laurent Gbagbo au temps de Félix Houphouët-Boigny, Alpha Condé au temps de Lansana Conté…), des journalistes, des syndicalistes, observateur des consultations électorales, il va s’illustrer dans l’offensive judiciaire contre Hissène Habré et, bien sûr, dans la dénonciation de « l’ivoirité »**. Kaba considèrera aussi que « derrière les instrumentalisations ethniques, il y a des enjeux économiques énormes. Et ces enjeux amènent certains à chercher le contrôle du pouvoir politique, afin de mieux contrôler le pouvoir économique ensuite » (entretien avec Soeuf Elbadawi, Africultures – 24 octobre 2003).

Pour Kaba, « la lutte contre le terrorisme est légitime, mais elle doit se faire dans le cadre de la légalité et du respect des principes de l’Etat de droit ». Il ajoutera : « La lutte contre le terrorisme ne sera efficace que si elle s’attaque aux racines du mal, à savoir la pauvreté, les inégalités et les frustrations dont souffrent les populations du Sud » (entretien avec Ph. P. – J.A./L’Intelligent du 27 mars 2005). Il dénoncera aussi les législations qui « officiellement […] ont pour but de défendre l’ordre public » et qui, « dans les faits, […] portent gravement atteint à la liberté de manifestation, de circulation ou d’association » (entretien avec Jean-Baptiste Marot – Jeune Afrique du 26 mars 2007). Il jugeait alors, en 2007, que les pays africains où la situation était la plus préoccupante étaient l’Egypte, la Tunisie, la Libye (bien vu en un temps où ces pays étaient considérés « fréquentables ») sans oublier le Darfour (« un tsunami humanitaire ») et la RDC (« un pays confronté à la violence politique depuis quarante ans »).

Elu en 2001 à Casablanca, réélu en 2004 à Quito, Kaba a passé la main en 2007 à Lisbonne. Il estimera avoir cassé l’image de la FIDH, « organisation du Nord » pour en faire un « mouvement universel », avoir boosté la lutte contre l’impunité et fait prendre en compte les droits économiques, sociaux et culturels « dans ce contexte de mondialisation néolibérale, qui rime avec exclusion des individus comme des nations faibles » (entretien avec Cheikh Yérim Seck – Jeune Afrique du 22 avril 2007). Président d’honneur de la FIDH, Kaba y a pris en charge l’Afrique. Il a, par ailleurs, créé à Thiès le Centre africain pour la prévention des conflits qui n’est pas qu’une structure de réflexion mais aussi de « formation aux droits de l’homme, de réhabilitation médicale et psychologique des victimes de la torture et d’assistance juridique et judiciaire aux victimes ». Kaba, qui a plusieurs ouvrages théoriques à son actif, a récemment publié un livre de réflexion sur l’impartialité et l’indépendance de la « justice universelle »***.

Kaba était, voici peu de jours, invité à rencontrer le président François Hollande à l’Elysée en compagnie de Souhayr Belhassen, président de la FIDH, et d’Antoine Bernard, directeur général. Au menu de l’entretien, le sommet francophone de Kinshasa (la FIDH a milité en faveur de la présence du chef de l’Etat français à cette manifestation), le prochain congrès de la FIDH à Tunis, pays phare du « printemps arabe », et la situation au Mali. Dans un papier publié ce matin (mercredi 12 septembre 2012) par La Croix, Kaba a déclaré à Jean-Christophe Ploquin au sujet du Mali : « A terme, il faudra sans doute organiser la reconquête militaire pour que le Mali retrouve son intégrité territoriale. On ne peut pas laisser les populations civiles du Nord dans la détresse. Les groupes armés y appliquent un islam médiéval qui s’inscrit contre le droit des gens. On ne peut pas laisser le mal se perpétrer, l’impunité s’incruster. Les djihadistes sont ennemis des droits de l’homme ». « A terme » et le « sans doute » sont les seules nuances dans ce discours qui semble quelque peu en rupture avec la ligne politique adoptée, jusqu’à présent, par la FIDH. Cette « reconquête militaire » (au profit de qui et de quoi ?) ne sera-t-elle pas, aussi, l’expression d’un conflit d’intérêts ?

* La FIDH est une institution internationale dont le secrétariat général se trouve à Paris et qui, du même coup, a été longtemps dominée par les Français. Son dernier président français a été Patrick Baudouin, actuel président d’honneur. En 2007, c’est la Tunisienne Souhayr Belhassen qui a été élue à sa présidence.

** Sidiki Kaba a déclaré à Africultures (24 octobre 2003) : « Si Henri Konan Bédié a été le théoricien de l’ivoirité, Robert Gueï en a été le gestionnaire, de sorte que les élections organisées en octobre 2000 ont conduit à l’exclusion de Alassane Ouattara comme candidat pour cause de nationalité douteuse et à l’élection de Laurent Gbagbo dans des conditions tragiques […] L’ivoirité a empoisonné la vie politique de la Côte d’Ivoire. Elle a entraîné ce pays dans une grave crise où les droits de l’homme ont été massivement violés : exactions contre les populations étrangères, assassinats politiques, prolifération d’escadrons de la mort, qui tuent de façon ciblée un certain nombre de personnes ». Neuf ans plus tard, voici quelques jours, le 5 septembre 2012, la FIDH a exprimé sa préoccupation quant à l’évolution de la Côte d’Ivoire : « Les autorités ivoiriennes, a déclaré Sidiki Kaba, doivent s’abstenir de contribuer au développement de sentiments de stigmatisation et de défiance au sein des populations, qui ne peuvent que crisper le processus de réconciliation nationale, défi pressant pour la Côte d’Ivoire ».

*** « La justice universelle en question, justice de blancs contre les autres ? », édité par L’Harmattan – Paris, 2010.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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