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Jusqu’à quand la France, la Francophonie et la communauté internationale vont-elles considérer Gbagbo comme un interlocuteur crédible ?

Publié le mardi 9 novembre 2004 à 14h00min

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Il faut se rendre à l’évidence. La Côte d’Ivoire n’intéresse pas grand monde, Pas même ceux qui ont en charge ce pays. Qu’il s’agisse des Ivoiriens, des responsables politiques français ou des instances dirigeantes de la Francophonie.

Non pas que les uns comme les autres ne s’expriment pas sur la question. Mais personne, vraiment personne, n’ose poser la question de fond : Gbagbo est-il l’homme capable de ramener la paix en Côte d’Ivoire ? Si la réponse est "non", une autre question s’impose : qui est capable de ramener la paix en Côte d’Ivoire ?

C’est parce qu’on n’a pas le courage de répondre à l’une et à l’autre question que depuis plus de deux ans la Côte d’Ivoire est partagée en deux zones, que son économie s’écroule, que sa vie politique et sociale est proche de la désintégration et qu’un gouvernement aux méthodes totalitaires (pour ne pas dire fascisantes) règne au Sud tandis que le Nord est livré au bon vouloir de petits chefs de guerre qui ne connaissent de la guerre que le viol et le pillage.

Osons dire les choses telles qu’elles sont. Gbagbo est au pouvoir depuis quatre ans et depuis quatre ans la Côte d’Ivoire va de crise en crise et, à aucun moment, le chef de l’Etat ne s’est comporté en tant que tel. Menteur et magouilleur, Gbagbo ruine la Côte d’Ivoire, y propage les ferments de la guerre civile, entend transformer cette guerre civile en guerre sous-régionale, etc... Il faut se rendre à l’évidence : la Côte d’Ivoire ne sera jamais plus ce qu’elle a été par le passé. Et je maintiens que Blaise Compaoré avait raison quand, au lendemain du 19 septembre 2002, il avait souligné, avec véhémence, que le problème de la Côte d’Ivoire était lié à la présence de Gbagbo à la tête de l’Etat. Et que son comportement en fait un client potentiel pour le Tribunal pénal international. Ce type a, certes, été élu président de la République de Côte d’Ivoire, mais il pousse toute l’Afrique de l’Ouest dans le gouffre. Et il a autour de lui quelques autres fous furieux, à commencer par le général Mathias Doué, chef d’état-major de l’armée.

En 2004, il est quand même incroyable de constater que l’on continue, à Paris comme à New York, à faire comme si Gbagbo était un chef d’Etat responsable à la tête d’une administration et d’une armée responsables. Si quelqu’un n’a pas le courage de stopper Gbagbo et ses séides, il faudra tirer rapidement et définitivement un trait sur l’Afrique noire francophone. Autrement dit sur l’Afrique de l’Ouest. Et il faudra faire avec Biya à Yaoundé, Bozizé à Bangui, etc... Des "Etats mous" et, ailleurs, des bandes armées et quelques potentats locaux mettant les populations sous leur coupe.

Marcoussis avait une finalité claire et nette : écarter Gbagbo de la gestion des affaires de l’Etat et mettre en place une équipe qui soit à même de réconcilier le pays avec lui-même et de relancer l’activité économique tout en remettant en marche les institutions. Par lâcheté des uns et des autres, Marcoussis n’a pas été mené à son terme. Paris a préféré reprendre langue directement avec Gbagbo et tout ce qui avait été patiemment construit avec le soutien des chefs d’Etat africains, des institutions internationales et des bailleurs de fonds a été déconstruit. Chirac s’est cru plus malin que Gbagbo et Gbagbo s’affirme plus rusé que Chirac. Bilan : rien n’est réglé et l’Afrique de l’ouest s’enfonce dans le chaos le plus total.

Plus de 10.000 soldats étrangers occupent la Côte d’Ivoire. Avec en charge la gestion d’une
"zone de confiance" entre le Nord et le Sud. Je n’ose imaginer le coût financier, pour la France et les Nations unies, d’une telle opération. Les médiateurs sont tellement nombreux qu’on ne sait plus vraiment qui fait quoi, pour le compte de qui. Des journalistes ont été lâchement assassinés. Des meurtres politiques ont été organisés. Des populations entières sont dépouillées de leurs droits et de leurs biens, parfois même de leur dignité et de leur vie. Un pays économiquement exangue se lance dans un programme d’armement qui dépasse toute mesure. Et tout le monde continue de traiter Gbagbo comme un président responsable avec lequel on peut instaurer un dialogue constructif. Qui peut penser que Gbagbo a la volonté de trouver une solution à une crise dont il est le principal instigateur ?

Chirac se flatte d’être à l’écoute de l’Afrique et des Africains. Dans quelques semaines, devrait se tenir, en Afrique de l’Ouest, à Ouagadougou, le Xème sommet de la Francophonie. Dirigé par un ancien chef d’Etat de la sous-région : Abdou Diouf. L’an prochain, c’est également en Afrique de l’Ouest, à Bamako cette fois, que se tiendra le sommet France-Afrique. Une France et une Francophonie qui se montrent bien incapables d’imposer aux Etats et aux chefs d’Etat africains une "bonne gouvernance ". Gbagbo, Conté, Eyadéma, Taya, etc... ne sont pas des modèles ! Plus encore, ils composent une espèce de "club des prédateurs" qui entend désormais exporter dans l’ensemble de la sous-région la "mauvaise gouvernance" dont ils sont les chantres.

Et personne ne bouge. Paris est tellement préoccupé que Chirac s’est envolé pour Abou Dhabi présenter ses condoléances à la suite de la mort de Cheikh Zayed, fondateur et président des Emirats arabes unis, qui sont, il est vrai, quatrième producteur de pétrole de l’Opep. Du côté de l’opposition politique française, c’est le silence absolu. Hollande a beau juger Gbagbo "infréquentable ", il n’en demeure pas moins que le FPI, le parti présidentiel, est toujours membre de l’Internationale Socialiste, ce qui n’a pas l’air de poser trop de problèmes aux socialistes (qui, il est vrai, ont 1 ’habitude du mélange des genres, y compris des mauvais genres).

Ce qui est vrai pour Paris est vrai, plus encore, pour New York et les Nations unies. Qui ne doivent pas se leurrer. L’objectif de Gbagbo n’est pas la reconquête du Nord de la Côte d’Ivoire ; il s’agit d’expulser du territoire national tous ceux qui, selon les Bété, ne doivent pas y être : les "étrangers". Ce n’est pas une légitime reconquête du territoire national dans la perspective d’une réunification, c’est l’ouverture en vraie grandeur d’une chasse aux "porteurs de boubous". La meilleure preuve en est que, pour mener à bien ses opérations, Abidjan a pris le soin de faire taire les radios étrangères et nationales ainsi que les chaînes TV et de museler les médias. Ce n’est pas un hasard, ni même une simple opération "conjoncturelle" ; c’est la nature même du régime de Gbagbo ! Voilà des années qu’il procède ainsi.

Aujourd’hui, tout est simple. Si Gbagbo va jusqu’au bout de son offensive et parvient à reconquérir le Nord de la Côte d’Ivoire, il va se trouver face au Burkina Faso, loin de ses bases et de ses approvisionnements, en territoire hostile. La guerre n’est pas finie ! Si Gbagbo, comme je le pense, teste les comportements des uns et des autres, qu’il s’agisse de Paris, de New York ou de Ouaga, et, après une poussée vers Bouaké, se retire au-delà de la "zone de confiance", ayant montré à tous sa détermination et sa capacité offensive, et obtenu, en retour, une prise en compte de ses exigences, la crise ivoirienne a encore de beaux jours devant elle.

Alors reste posée la question essentielle : qui est capable de ramener la paix en Côte d’Ivoire ? Ce n’est pas Gbagbo, ce n’est pas la France, ce ne sont pas les Nations unies. L’opposition ivoirienne ? Les Forces Nouvelles doivent faire la preuve, sur le terrain, de leur capacité de résistance militaire et de leur capacité de gestion politique. Jusqu’à présent, au-delà des déclarations de bonnes intentions, ni Soro ni ses adjoints n’ont fait la preuve de ces capacités. Les jours à venir vont être déterminants. En attendant, il serait bon que les responsables politiques de l’opposition ivoirienne sortent la tête du terrier. Ils ne peuvent décemment pas attendre que Ouaga fasse pour eux le "sale boulot" que Paris s’est refusé à faire : virer Gbagbo !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique (5/11/2004)

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