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GbagboGbagbo s’efforce de créer une tension maximale dans sa gestion de la crise ivoirienne(2)

Publié le mardi 9 novembre 2004 à 07h09min

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Il Y a urgence, pour Gbagbo, à liquider la "rébellion" qui occupe tout le Nord de la Côte d’Ivoire. Dans moins d’un an, en octobre 2005, son pouvoir sera moins légitime encore qu’aujourd’hui puisqu’il sera parvenu au terme de son premier mandat présidentiel.

S’il parvient à "libérer" la zone occupée, il sera en position de force pour organiser et remporter la présidentielle 2005. Et restera au pouvoir cinq années de plus. Gbagbo sait que dans une attaque frontale, il a peu de chances de l’emporter. Il y a la force d’interposition franco-internationale et, surtout, Ouaga qui ne laissera pas les Fanci s’installer de l’autre côté de sa frontière.

Il y a urgence et le moment est propice. La "communauté internationale" a le regard fixé sur l’Amérique d’une part, sur l’Irak d’autre part et sur Arafat et la Palestine enfin. Et a Ouaga, dans trois semaines, va se tenir le Xème sommet de la Francophonie. Gbagbo va s’efforcer de gâcher la fête. Pour humilier la diplomatie française ; pour empêcher le Burkina Faso de capitaliser l’impact d’une manifestation internationale.

En bon tacticien, Gbagbo a préparé le terrain par un tir d’artillerie médiatique et la connexion avec quelques groupuscules français qui ont en commun la dénonciation de la "Françafrique", de "l’impérialisme", de la Francophonie, de la mondialisation, etc... (cf LDD Côte d’Ivoire 0127/Mardi 2 novembre 2004).

Que nous dit Gbagbo :

1 - La situation est bloquée et le désarmement prévu le 15 octobre n’a pas pu avoir lieu. Mais ce n’est pas de sa faute. Il y a, d’une part, "la mauvaise foi" de la "rébellion" et, d’autre part, les contraintes constitutionnelles.

2 - L’option militaire n’est pas son option. Et s’il équipe la Côte d’Ivoire en armement ce n’est pas pour faire la guerre mais pour défendre le territoire national.

3 - Les Forces Nouvelles sont "le bras armé du RDR d’Alassane Ouattara" et le Burkina Faso "est leur base arrière".

4 - Il Y a rupture entre l’Occident et l’Afrique noire et l’Afrique noire réclame des leaders qui s’opposent à l’Occident.

Le discours est clair et net. Il a été tenu dans Le Figaro daté du mardi 19 octobre 2004. J’ai déjà évoqué dans quelles conditions. C’est un discours à destination de Paris et de Ouaga. La cible est Ouaga et Paris est prié de se tenir tranquille (Gbagbo ne cesse d’agiter la perspective d’une "zimbabweïsation" de la Côte d’Ivoire !).

Mais sa marge de manoeuvre est réduite. Gbagbo a perdu l’essentiel de ses points d’appui internationaux. En Afrique, en Europe et aux Nations unies. Sa gestion économique du pays est désastreuse et fait l’objet de révélations et de critiques de la part des bailleurs de fonds. La diplomatie française manque de "visibilité" mais les "services" français (y compris dans leur composante strictement militaire) sont vigilants ; ils occupent le terrain, l’ont organisé en fonction de leurs besoins et le connaissent bien mieux que les Fanei ou les "services" ivoiriens (et leurs alliés). Enfin, à Ouaga, on n’entend pas rester les bras croisés si les choses tournent mal.

Au nord de la ligne de démarcation, si tant est qu’elles soient en mesure de la percer, les forces gouvernementales seront en terre inconnue, loin de leurs bases et avec, derrière elles, la force d’interposition et, devant elle, les troupes des Forces Nouvelles, sur leur terrain, adossées au Burkina Faso qui ne manquera pas, alors, de soutenir leur défense. A juste titre d’ailleurs : l’irruption des troupes gouvernementales dans le Nord, dans une contexte de guerre civile, signifierait le déclenchement d’une opération génocidaire à l’encontre des "étrangers", dont des Burkinabè.

Ouaga, qui s’est jusqu’à présent efforcé de temporiser, ne pourra plus alors, pour des raisons de politique intérieure, rester indifférent au sort réservé à ses ressortissants.
Gbagbo sait cela.

Il n’y a pas de solution politique à la situation dans laquelle s’est placé Gbagbo.
Il sait que son seul triomphe pourra être la déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest. Pour ne pas dire sa destruction. Gbagbo a une vision apocalyptique du monde. Depuis qu’il est au pouvoir (cela fait quatre ans déjà), il n’a jamais entrepris une action qui soit constructive. Chacun des actes qu’il a posé a été un acte d’exclusion. Même s’il leur a donné un habillage démocratique en les faisant entériner par l’Assemblée nationale. Il ira au bout de sa logique : exclure de la Côte d’Ivoire ; exclure de l’Afrique de l’Ouest ; exclure de l’Afrique ; exclure du Monde !

Il est, aujourd’hui, dans un processus mental qui se trouve à la confluence de Ben Laden et de Mugabe. Il ne craint pas le pire. Attention, je ne dis pas que Gbagbo soit un terroriste dont le Manhattan pourrait être Ouaga 2000. Je dis seulement qu’il tente d’expliquer que ces comportements extrêmes sont le résultat non pas d’une volonté de nuire mais d’une volonté de ne pas comprendre. Il le dit, me semble-t-il, clairement dans l’entretien qu’il a récemment accordé au quotidien Le Figaro : "L’Occident est aujourd ’hui confronté à un grave, très grave problème avec le monde musulman qui se cristallise autour de l’Irak et des Etats-Unis. Sans doute parce que les choses n’ont pas été analysées à temps, de part et d’autre. J’ai peur que l’on soit au début d’un tel phénomène. non pas seulement entre la France et l’Afrique mais entre l’Occident et le monde noir. Attention à ne pas aller à une rupture [c’est moi qui souligne]. Regardez Mugabe au Zimbabwe. Du jour où il a été désavoué par l’Occident, il est devenu un des hommes les plus populaires d’Afrique. Je ne rentre pas dans le fond du débat. je dis juste que certains types de rapport peuvent finir par monter un bloc contre un autre. Et j’ai peur que la Côte d’Ivoire et les analyses erronées faites autour ne participent à cela [c’est moi qui souligne] ".

Il y bien des menaces contenues dans ces déclarations. Gbagbo ne va plus cesser, pendant quelques semaines, de multiplier les provocations à l’encontre de Paris et de Ouaga. Pour créer une tension maximale. Et pousser ses adversaires à la faute. Il aura beau jeu, alors, de dire, comme à son habitude : "ce n’est pas moi, c’est lui".
C’est sa dernière carte. Ce qui la rend plus dangereuse. S’il échoue, cette fois encore, il va être rattrapé, politiquement, économiquement et socialement, par son bilan des quatre années passées. Et la perspective d’un KO. Saura-t-il jusqu’où ne pas aller trop loin ?

Le dialogue existe entre Gbagbo et Compaoré ; si tant est qu’on puisse, en la matière, évoquer un dialogue. Gbagbo s’efforce systématiquement, dans ses entretiens avec le chef de l’Etat burkinabè, de justifier ses positions et de se dédouaner des prises de position des "Jeunes Patriotes" et autres hommes liges de la présidence ivoirienne. Le "dialogue" existe, aussi, entre Abidjan et Paris. Pas vraiment au niveau des politiques mais au niveau des "services".

Et Paris s’efforce d’expliquer au chef de l’Etat ivoirien qu’il faut éviter de jouer trop longtemps avec les allumettes. Paris ne sait sans doute pas ce qu’il veut faire de la Côte d’Ivoire ; mais sait parfaitement ce que la Côte d’Ivoire ne doit pas faire : aller trop loin dans la déstabilisation de la sous-région ouest-africaine ! Les jours qui viennent vont être cruciaux. La priorité de Ouaga et de Paris est de permettre au Xème sommet de la Francophonie de se dérouler dans de bonnes conditions. Ensuite, chacun prendra ses responsabilités. Et Gbagbo aura alors le choix entre se soumettre et se démettre. Ou de faire de son pays ce que Mugabe a fait du Zimbabwe. Une poubelle de l’Histoire !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique (3/11/2004)

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