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Forum national des femmes : Deux jours pour décortiquer la SCADD

Publié le mardi 11 septembre 2012 à 02h30min

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Forum national des femmes : Deux jours pour décortiquer la SCADD

Du 14 au 15 septembre, se tient à Ouagadougou le troisième Forum national des femmes sous le thème : « Prise en compte des femmes dans la mise en œuvre de la stratégie de croissance accélérée et de développement durable, SCADD », un document désormais considéré comme le référentiel de la politique socio-économique du Burkina.
Adoptée en 2009 en remplacement du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) qui couvrait la décennie 2000-2010, la SCADD a été lancée début février 2012 à Paris, dans les locaux de la Banque mondiale par le premier ministre Luc Adolphe Tiao, qui était accompagné de plusieurs ministres et d’hommes d’affaires. Elaborée après 19 mois de concertation, elle prend en compte les insuffisances du CSLP afin de mieux lutter contre la pauvreté sur la période 2011-2015, en s’appuyant sur quatre axes considérés comme stratégiques et dont la croissance devrait avoir un impact significatif sur le bien être des Burkinabè.

Il s’agit du développement des piliers de la croissance accélérée, de la consolidation du capital humain et de promotion de la protection sociale, du renforcement de la gouvernance et enfin, la prise en compte des priorités transversales dans les politiques et programmes de développement.

Prend t-elle réellement en compte les problèmes spécifiques de la femme Burkinabè en explorant d’audacieuses pistes pour surmonter les obstacles qui entravent son épanouissement ? C’est la question à laquelle doit répondre le Forum de Ouagadougou. Dans une interview accordée à Lefaso.net et publiée le 27 août dernier, la ministre de la Promotion de la femme, Nestorine Sangaré insiste sur l’opportunité du Forum, après celui de 2010 tenu à Bobo-Dioulasso. « A l’édition passée, nous avons réfléchi sur la contribution des femmes sur cinquante ans écoulés ; il y a eu des avancés au niveau des femmes mais, il y a eu aussi des insuffisances. Depuis 2010, le Burkina Faso s’est doté d’une nouvelle politique globale de développement qui est la SCADD, et cette politique est désormais le référentiel national en matière de développement de notre pays.

Au lieu d’attendre cinquante ans pour refaire le bilan et se dire que les femmes ont été oubliées dans la mise en œuvre de cette politique, nous avons pensé qu’il est mieux, alors qu’on a fait seulement une année de mise en œuvre de la SCADD, de marquer l’arrêt et de regarder le niveau d’intégration des femmes dans les politiques prioritaires qui seront mise en œuvre. […] On se projette vraiment sur l’avenir. On n’attend plus que tout soit fini pour faire le constat que les femmes ont été oubliées, qu’elles n’ont pas été bien prises en compte ». Il n’est jamais trop tard, dit-on, pour bien faire les choses ! Mais que se passerait-il si, à la fin du Forum, les participantes parvenaient à la conclusion selon laquelle, la SCADD ne prend pas suffisamment en compte la question du Genre, se contentant de proposer des solutions globales de développement là où il faut des mesures spécifiques fortes pour la femme Burkinabè ? Et si la SCADD était un CSLP améliorée, dont on a par ailleurs souligné qu’elle n’a pas permis de réduire significativement la pauvreté ? Dans une telle hypothèse, peut-on espérer que le gouvernement revoit ses orientations économiques et réexamine ses priorités budgétaires ? Rien n’est moins sûr.

Pourtant, et comme le soulignent bien les rédacteurs de la SCADD, malgré les progrès réalisés dans plusieurs secteurs durant la décennie 2000, notamment la scolarisation des filles, la baisse de la mortalité infantile et maternelle, l’accès à l’eau potable, les indices sociaux du Burkina restent encore très bas. 176e /177 dans le classement du Programme des nations unies pour le développement (PNUD) de 2007, la pauvreté frappait encore 43,9% des Burkinabè en 2009/2010 pour un seuil de pauvreté estimé à 108374 F CFA/an, après un pic à 46,4% en 2003. Autrement dit, dans notre pays, 2 millions de personnes, soit l’équivalent de la population de Ouagadougou, sont dans l’impossibilité de réunir 108 374 F CFA par an pour satisfaire leurs besoins les plus élémentaires.

La Politique nationale du Genre (PNG) qui a été adoptée en 2009 a mis en évidence le fait que les femmes sont les plus exposées à la pauvreté parce qu’elles n’ont pas accès aux facteurs de production. Plus que les hommes, les femmes souffrent d’un manque de compétences qui limite leur productivité dans l’agriculture, un secteur qui occupe pourtant à lui seul 80% de la population active. Dans le secteur informel où on trouve beaucoup de femmes, elles n’y occupent que les emplois les moins rémunérés, notamment dans le petit commerce et l’artisanat.
Certes, grâce au Plan national de développement sanitaire adopté en 2001, le taux d’accouchements assistés est passé de 54% en 2006 à 70,7% en 2009. Mais en milieu rural, des millions femmes doivent encore parcourir de longues distances pour accéder à un centre de santé.
Résultat, le taux de mortalité maternelle atteint des niveaux préoccupants : une femme meurt toutes les cinq heures suite à une complication liée à la grossesse, à l’accouchement ou des suites de couche, et le taux moyen de morbidité qui est de 5,8%, concerne plus les femmes que les hommes.

Le taux de mortalité maternelle a bien baissé, passant de 484 pour 100 000 naissances en 1998 à 307 pour 100 000 en 2006, mais il est certain que le Burkina ne pourra pas atteindre l’objectif de 101 décès pour 100 000 naissances d’ici 2015 comme le recommandent les Objectifs du Millénaire pour le développement.

Face au VIH/Sida, les femmes sont les plus exposées, notamment chez les filles de 13 à 24 ans où, selon les données de l’Enquête démographique de santé (EDS) de 2003, le taux de séropositivité est de 5 à 8 fois supérieur à celui des garçons de la même tranche d’âge.
Dans l’éducation où le taux de scolarisation a atteint 76% en 2010 contre 48,7% en 2001, de fortes disparités de genre existent toujours aussi bien dans le système formel que non formel. D’après le rapport 2007 de la Banque africaine de développement et du Centre de développement et de coopération économique de l’OCDE, l’accès et le maintien à l’éducation primaire est relativement plus faible chez les filles que chez les garçons. 59% de garçons étaient scolarisés contre 47% de filles, tandis que 70,6% des hommes de 15 ans étaient analphabètes en 2004 contre 84,8% chez les femmes.

En 2009, 81,2% des Burkinabè avaient accès à l’eau potable, mais la majorité s’approvisionne dans les puits et forages, une corvée réservée aux femmes et qui les empêchent de s’adonner à des activités marchandes.
La politique de sécurisation foncière en milieu rural depuis 2007, garantit l’accès de tous les citoyens à la terre, mais dans les faits, les choses se passent autrement au détriment des femmes. Elles ne sont que très rarement éligibles aux crédits, ce qui les prive des moyens modernes de production.

« L’objectif global de la SCADD est de réaliser une croissance économique forte et durable, susceptible d’améliorer le niveau des revenus et la qualité de la vie de la population », a expliqué le ministre de l’Economie et des finances, lors du lancement de la SCADD. Au-delà de cet objectif global, le document fixe huit objectifs spécifiques à atteindre en 2015 : réaliser un taux de croissance moyen du PIB réel de 10%, atténuer l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, réduire la mortalité des enfants de moins de 5 ans, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH, le Sida, le paludisme et les autres maladies, et enfin, assurer un développement durable.

C’est dans l’axe 4 que la SCADD traite la question du Genre en reprenant à son compte les grandes lignes de la PNG : faciliter l’accès équitable-mais pas égal (c’est moi qui souligne) aux services de base aux hommes et aux femmes, promouvoir l’accès aux ressources et aux revenus à tous, améliorer l’égal accès aux sphères de décision, promouvoir l’institutionnalisation du Genre par son intégration dans les systèmes de planification, de budgétisation et de mise en œuvre de toutes les politiques à tous les niveaux. Il y est question aussi d’éliminer les violences faites aux femmes et encourager les partenariats en faveur du Genre.

En fait, pour l’essentiel, la SCADD ne s’écarte pas des OMD définis par l’ONU en 2000, mais affiche toutefois moins d’ambitions sur certains points, notamment pour ce qui concerne les femmes. Alors que les OMD recommandent d’atteindre une proportion de 22,5% de personnes vivant avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté, la SCADD table sur moins de 35%. Quand les OMD recommandent 100% de taux d’achèvement du primaire en 2015, la SCADD vise 75,7%, puis 33% de sièges pour les femmes dans les parlements nationaux contre 50% de sièges recommandés par l’ONU. Voilà qui ne devrait pas inquiéter les hommes, eux qui détiennent les principaux leviers du pouvoir politique, reléguant les femmes loin des centres de décision. Dire qu’il y a un comme une reproduction des inégalités sexo-spécifiques dans l’accès au pouvoir, c’est enfoncer des portes déjà largement ouvertes. Entre 1959 et 2002, 537 hommes ont siégé au parlement contre seulement 30 femmes ! La loi sur les quotas genre de 30% va-t-elle faire bouger significativement les choses ? Les résultats des prochaines consultations permettront de répondre partiellement à cette question.

Quant au taux de mortalité maternelle pour 100 000 naissances, au lieu de 141,50 recommandé par les OMD, la SCADD vise 176,70 décès pour 100 000 naissances, et un taux d’accouchement assisté par du personnel médical qualifié à 85% au lieu de 100% et 40% de taux de contraception, nettement en deçà des 45% recommandés par les OMD.
Peut-on raisonnablement s’attendre à un bond qualitatif dans l’amélioration des conditions de vie des Burkinabè en général et des femmes en particulier d’ici 2105 ? Difficile de répondre à cette question d’autant que le succès de la mise en œuvre de la SCADD dépend de facteurs internes et externes qui échappent au contrôle du gouvernement burkinabè.

Au plan interne, le taux de croissance démographique élevé, 3,1% en moyenne par an entre 1996 et 2006, soit 6,2 enfants par femme, exactement comme en 1960, réduit presqu’à néant les effets de la croissance économique, de l’ordre de 5,2% ces dix dernières années. Il faut cependant reconnaitre, la maitrise de la croissance démographique est un sujet sensible et complexe, et c’est ce qui explique sans doute que la SCADD reste floue sur les moyens d’y parvenir. Il y est simplement question de faire des plaidoyers auprès des ministères et institutions concernés afin qu’ils prennent en compte les questions liées au Genre. Interrogé lors du lancement de la SCADD, le premier ministre avait lui-même reconnu que c’est « une question difficile à traiter », mais espère que l’éducation des filles et leur accès au travail allaient induire un changement de comportement chez elles.

Dans un pays où l’agriculture, qui contribue pour 40% du PIB, est soumise aux aléas climatiques, il suffit d’une mauvaise pluviométrie, comme celle que nous avons connue l’année dernière, pour tout remettre en cause. Les mauvaises récoltes ont contraint le gouvernement à opérer des réajustements budgétaires pour faire face au déficit céréalier dans plusieurs localités du pays.

Conçue pour durer quatre ans (2011-2015), la mise en œuvre de la SCADD a démarré avec un an de retard en raison de la crise socio-politique que le pays a connue durant le premier trimestre 2011. Peut-on rattraper ce temps perdu ? « Avec le retard à l’allumage et les lourdeurs administratives auxquelles on est soumis dans les décaissements des fonds, si on veut tenir le cap de 2015, il faut absolument adopter des méthodes commandos », nous a confiés un ministre présent au lancement de la SCADD. Certes, les concertations touts azimuts et les mesures sociales prises par l’exécutif ont permis d’apaiser le climat social, mais les causes de cette brusque montée de fièvre sociale n’ont pas fondamentalement disparu.

L’impunité dont bénéficient de nombreux hauts dirigeants, régulièrement épinglés par la Cour des Comptes, l’Autorité supérieure de conte de l’Etat (ASCE) ou l’association Ren-Lac pour leur gestion très approximative de la chose publique, pendant que les auteurs de larcins sont promptement jugés et condamnés, créé des frustrations qui peuvent déboucher à nouveau sur la violence. Les rédacteurs du document le reconnaissent, une faible adhésion de la population conduirait l’échec de la SCADD. En la matière, des efforts doivent encore faits pour diffuser et expliquer son contenu, en particulier dans le milieu rural.

Au plan international, la stabilisation pour le moins cahoteuse de la situation en Côte d’Ivoire, la partition de fait du Mali avec des conséquences touristiques néfastes pour notre pays, la crise financière qui secoue l’Occident et ses conséquences économiques dans les pays du Sud, les fluctuations du cours du baril de pétrole qui peuvent grever la productivité et provoquer l’inflation des prix, etc., sont autant de facteurs qui peuvent perturber, voir hypothéquer la mise en œuvre de la SCADD. Mais, le gouvernement semble solidement optimiste quant au dynamisme de l’économie burkinabè dans les prochaines années.
Dans un document de synthèse distribué à l’occasion du lancement de la SCADD, le ministère de l’Economie et des Finances est formel : « La SCADD vise une croissance forte et soutenue sur la période 2011-2015. En 2011, le taux de croissance attendue est de 8,5% ; il augmentera sur toute la période pour s’établir à 10,8% en 2015 ».

Ces prévisions optimistes se sont vite heurtées à la dure réalité économique. Le taux de croissance n’a été que de 4,2% en 2011, contre 8,5% attendu, et lors du point de presse du gouvernement le 7 septembre, le ministre de l’Economie et des finances a annoncé qu’il s’attendait à un taux de 7% en 2012 et 2013, contre respectivement 9,8% et 10,4% attendu !
« Monsieur, je vous fais remarquer une chose : le Jamaïcain Usain Bolt prend toujours de mauvais départs, mais il termine toujours bien. Pour la SCADD, ce sera pareil », rassure un député CDP. On aimerait y croire !

Joachim Vokouma, Lefaso.net


Encadré : Gestion du FAARF, un anachronisme institutionnel

Créé en 1990 à la demande de l’Union des femmes du Burkina, le Fond d’appui aux activités rémunératrices des femmes (FAARF) pour faciliter l’accès des femmes aux crédits et à la formation professionnelle. Face à la fébrilité des banques à accompagner les porteurs de projets en général et les femmes en particulier, le FAARF est apparu comme une réponse au besoin de financement des activités des femmes, particulièrement en milieu rural. Soit individuellement, soit par l’intermédiaire d’une association, des milliers de femmes ont pu monter leur propre affaire et acquérir une autonomie financière.

Vingt deux ans après, quel bilan peut-on dresser du fonctionnement du FAARF ? Faut-il revoir les modalités de prêts pour le rendre plus accessible tout en évident les déremboursements ?

Sollicités depuis une semaine, les services du Ministère de l’Economie et des finances n’avaient toujours pas terminé de collecter les informations pour nous les communiquer. Il faut espérer que la récente réorganisation des services apportera plus d’efficacité dans a diffusion de l’information. On s’interroge d’ailleurs sur la pertinence du choix de confier la gestion du FAARF au ministère de l’Economie et des finances et non au Ministère de la promotion de la femme (MPF) son département naturel !

Sauf à considérer le MPF comme un ministère gadget, incapable de gérer rationnellement un tel dispositif de lutte contre la pauvreté, l’affectation du FAARF au ministère de l’Economie et des finances est un anachronisme institutionnel qui prive depuis plus de 20 ans le Ministère en charge de la promotion de la femme (MPF) de moyens financiers conséquents d’assumer ses missions.

JV : Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 11 septembre 2012 à 05:43 En réponse à : Forum national des femmes : Deux jours pour décortiquer la SCADD

    Respect monsieur, c’est la première fois que je lis un article critique sur la SCADD ; notre opposition ne dit rien dessus et on nous nous présente ça comme le programme révolutionnaire qui va faire émerger le Burkina. POur les femmes au moins, c’est clair

  • Le 11 septembre 2012 à 12:57 En réponse à : Forum national des femmes : Deux jours pour décortiquer la SCADD

    Avec la Scadd, on est loin du compte pour émerger sur tous les plans. S’il y a un point qui choque, c’est que l’on soit resté à 6 enfants par femme depuis plus de 50 ans. A croire que nos gouvernants successifs n’ont rien foutus ! que feront ils dans 40 ans lorsque le Burkina aura 50 millions d’ habitants alors qu’aujourd’hui avec 16 on arrive pas à les nourrir. S’il y a bien un endroit où on se doit ambitieux, c’est sur ce point. Il y a va de la santé, dignité de la femme. Il y a va de l’avenir car comment ferons nous si nous continuons à dégrader l’environnement à vitesse grand V comme aujourd’hui. Il faut avoir une véritable stratégie pour diminuer rapidement ce taux de fécondité et les femmes, je l’espère y réfléchirons pendant ces 2 jours.

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