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Charles Gomis, vétéran de la diplomatie ivoirienne, reprend du service comme ambassadeur en France (2/2)

Publié le mardi 11 septembre 2012 à 14h12min

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Charles Gomis, vétéran de la diplomatie ivoirienne, reprend du service comme ambassadeur en France (2/2)

En avril 1994, alors que Félix Houphouët-Boigny est mort et enterré, Henri Konan Bédié va dégager Charles Providence Gomis de son poste d’ambassadeur de Côte d’Ivoire à Washington. Rien de scandaleux à première vue : Gomis était dans la capitale US depuis août 1986 !

Il y est remplacé par Moïse Koumoué Koffi qui, en tant que ministre de l’Economie et des Finances (nommé à ce portefeuille le 16 octobre 1989), avait été stigmatisé par les Ivoiriens comme l’homme de la faillite de la Côte d’Ivoire ; il sera, du même coup, la première victime de l’arrivée aux affaires d’Alassane D. Ouattara. Gomis quitte Washington et se retrouve sans affectation. Mais non sans relations. Il deviendra ce que deviennent ceux qui ayant été quelqu’un ne sont plus personne : consultant pour des cabinets et des multinationales US.

Cependant, en 1995, Bédié va se souvenir de lui. La Banque africaine de développement (BAD), dont le siège se trouve à Abidjan, est confrontée au problème de l’élection de son président. Candidatures multiples et, comme toujours, manque total d’unité. Qui conduira, après l’échec du sommet d’Abuja, en mai 1995, à rechercher un « candidat de compromis ». ADO, alors directeur général adjoint du FMI, est considéré comme ayant le « profil idéal ». Ce qui n’est pas la point de vue de Bédié qui, déjà, se bat bec et ongles pour que l’ancien premier ministre du « Vieux » ne présente pas sa candidature à la présidentielle 1995. Officiellement, en ce qui concerne la BAD, la Côte d’Ivoire parraine la candidature du Marocain Omar Kabbaj face à un Nigérian, un Soudanais, un Lesotho… Cela tombe bien : Kabbaj et Gomis se connaissent bien. Ils étaient ensemble à Washington (avec ADO) dans les années 1980. Gomis va donc être appelé à organiser la campagne en faveur de Kabbaj. Le Marocain sera élu le 26 août 1995. Quelques mois plus tard, Gomis va le rejoindre avec le titre de « conseiller supérieur du président », l’accompagnant dans la plupart de ses déplacements à l’étranger. Un mandat qui court alors jusqu’en mai 2000.

Mais si en 1995 tout semble sourire à Bédié, élu pour la première fois (et la seule) à la présidence de la République et qui ambitionne de faire de son pays « l’éléphant d’Afrique » à l’instar des « dragons d’Asie », la situation ivoirienne va rapidement tourner au drame. A la veille de Noël 1999, Bédié est renversé par on ne sait trop qui ni quoi. Pas vraiment un coup d’Etat. Rien d’autre qu’un ras-le-bol général à l’égard d’un homme qui n’était pas celui qu’il fallait à la place qu’il occupait. La politique ayant horreur du vide et l’opposition ivoirienne ne sachant pas quoi faire de ce pouvoir vacant, c’est le général Robert Gueï qui va s’en emparer. Sans savoir, lui non plus, ce qu’il pouvait en faire.

L’euphorie de la conquête du pouvoir et du départ pour son « exil » parisien de Bédié étant retombée, il fallait passer aux choses sérieuses. C’est alors que Gueï va penser à Gomis et lui confier la direction de son cabinet. Les deux hommes se rencontrent pour la première fois le 6 janvier 2000, au Plateau, dans le bureau que Gueï occupe à la primature. « Vous êtes le « fils » d’Houphouët, lui dira le général. J’ai besoin de vous ». Le 11 janvier 2000, Gomis rejoindra donc le premier cercle qui gravite, de façon souvent informelle, autour de Gueï : Essy Amara, Mouassi Grena, Tidjane Thiam, Zirimba Aka Marcel, Georges Ouégnin…

Le 10 mars 2000, Gomis va gravir un échelon dans la nébuleuse qui entoure Gueï. Il est ministre des Relations extérieures (il remplace Christophe M’Boua) dans un gouvernement au sein duquel siègent encore des RDR. Et va avoir la tâche de convaincre les capitales africaines et celles des pays partenaires de la Côte d’Ivoire que, dans la perspective de la présidentielle d’octobre 2000, Gueï est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Un dossier d’autant plus délicat à défendre que, dans le même temps, la « junte » (on ne parle plus vraiment de gouvernement de transition) va durcir la répression à l’encontre de tous ceux qu’elle considère comme des « opposants » et, plus encore, des activistes pro-Ouattara. La victoire de Laurent Gbagbo à la présidentielle du 22 octobre 2000 va, une fois encore, jeter Gomis « à la rue ». Dans le gouvernement, dont le premier ministre est N’Guessan Affi, il sera remplacé par Abou Drahamane Sangaré. Fin de parcours pour Gomis. Enfin, presque. Il s’occupe de son business et reprendra du service, en 2006-2007, comme directeur du bureau de la Mission des Nations unies au Congo (MONUC), en Ituri, le coin le plus pourri qu’on puisse trouver dans le Nord-Est de la RDC (qui, pourtant, n’en manque pas) ; il y aura en charge la démobilisation des ex-combattants.

A l’issue de cette mission, à compter de décembre 2007, il sera nommé conseiller spécial du directeur général de SIFCA, le numéro un de l’agro-industrie ivoirienne (caoutchouc, oléagineux, sucre depuis l’abandon du café et du cacao) qui emploie environ 17.000 personnes. Ce qui n’est pas véritablement étonnant. Marié à une Française et père de quatre enfants, Gomis est, notamment, le beau-père de Jean-Louis Billon, actuel président du groupe SIFCA, par ailleurs président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire. Jean-Louis Billon et Henriette Gomis se sont connus en 1992 en Floride (où ils ont fait, l’un et l’autre, leurs études) et se sont mariés en 1994.

Henriette (qui a soutenu, le 3 mars 2000, sa thèse de Ph. D. à l’université de Miami) est actuellement directrice communication et qualité d’Orange Côte d’Ivoire Télécom (OCIT) et secrétaire générale de la fondation de l’OCIT. Quant à la fille cadette de Charles Gomis, Sylvie, elle est l’épouse de Thierry Tanoh, également une éminente personnalité ivoirienne (possible prochain premier ministre dit la rumeur), vice-président de la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale, et, depuis juillet 2012, directeur général du groupe Ecobank. En un temps où Ouattara veut faire de la diplomatie ivoirienne un acteur du développement, les connexions de Gomis, prochainement ambassadeur en France, avec le monde des affaires (et non les moindres) sera nécessairement un « must » lors de son séjour à Paris*.

Gomis, qui pratique couramment plusieurs langues, a passé une part essentielle de sa vie professionnelle à l’étranger. Cela ne l’a pas empêché d’exercer quelques responsabilités de « notable » au sein du PDCI-RDA. Très modestement. Secrétaire général de sous-section, il a été membre du bureau politique d’octobre 1975 à septembre 1980. On l’a vu, son parcours politique a été marqué d’un fil rouge, « l’houphouëtisme » ; comment pouvait-il en être autrement en un temps où Félix Houphouët-Boigny s’identifiait non seulement à la Côte d’Ivoire mais à l’Afrique de l’Ouest et aux relations internationales de l’Afrique francophone, formatant nécessairement ceux qui étaient appelés à travailler pour lui ?

Mais il n’a jamais été de ceux qui se sont emballés pour le pouvoir personnel du « Vieux » et ont sombré dans le « griotisme » par opportunisme politique. Son expérience internationale (notamment outre-Atlantique) l’a amené à relativiser beaucoup de choses, conscient que « pour vivre heureux, il faut vivre caché ». Présent sans être omniprésent, expérimenté sans être incontournable, Gomis traverse l’histoire contemporaine de la Côte d’Ivoire en acteur certes (même si ce ne s’est pas à proprement parler une « tête d’affiche »), mais également en spectateur ; un « spectateur engagé » mais pas au point de s’y brûler les ailes ou d’y perdre son âme. Le voilà à Paris. Ambassadeur. Pour écrire une nouvelle page des relations franco-ivoiriennes.

* A noter que la sœur cadette de Charles Gomis a été l’épouse d’Ibrahim Keita, un ivoirien né à Abidjan de parents guinéens, qui a été le premier PDG de la société de téléphonie cellulaire CORA/Comstar, dont le parcours politico-affairiste n’aurait pas manqué d’être, dit-on parfois, « aléatoire ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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