LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Gbagbo s’efforce de créer une tension maximale dans sa gestion de la crise ivoirienne

Publié le vendredi 5 novembre 2004 à 11h52min

PARTAGER :                          

L. Gbagbo

Laurent Gbagbo vient d’essuyer deux échecs majeurs. Face à Paris. Face à Ouaga. "L’opération Julia", dont je persiste à croire qu’elle visait à humilier la diplomatie française et à diviser la classe politique française sur la question ivoirienne, a fait long feu (cf LDD Côte d’Ivoire 0126/Mardi 5 octobre 2004).

Quant à Hermann Yaméogo, il manque de l’envergure et du doigté nécessaires pour jouer les agents déstabilisateurs (cf LDD Burkina Faso 044 à 048/Lundi 11 à Vendredi 15 octobre 2004). Gbagbo ne baisse pas les bras pour autant et est reparti à l’offensive sur les mêmes fronts avec d’autres armes.

Son objectif étant de perdurer au pouvoir jusqu’en octobre 2005 afin d’être en mesure de s’imposer pour un second mandat, Gbagbo sait qu’il ne peut y parvenir que s’il renverse la tendance à Paris et à Ouaga. L’opposition intérieure à son hégémonie politique est plus que jamais inconsistante. Qu’il s’agisse du PDCI de Henri Konan Bédié ou du RDR de Alassane Dramane Ouattara. Quant aux Forces Nouvelles, elles n’ont pas su s’organiser en une force politique crédible et structurée.

Reste donc Paris qui se moque bien de ce qui peut se passer, au plan intérieur, en Côte d’Ivoire mais s’inquiète de sa perte d’autorité dans ce pays en particulier et dans la sous-région en général. Perte d’autorité politique, certes, mais aussi et surtout économique. Les tergiversations diplomatiques de la France, qui s’exprimaient autrefois dans l’opposition entre le point de vue de Dominique de Villepin et de Jacques Chirac, l’un prônant une prise en charge africaine du dossier ivoirien avec l’appui logistique et diplomatique de la France, l’autre voulant revenir à la pratique du tête-à-tête entre chefs d’Etats, et s’expriment désormais, depuis le "remplacement" de de Villepin par Barnier, par l’absence de prise en compte du dossier, tant au Quai d’Orsay qu’à l’Elysée, seul le ministère de la Défense étant impliqué, ont bloqué la situation et toute perspective de dénouement par la négociation.

La présence des troupes françaises, sur la "ligne de démarcation", rend quasiment impossible toute attaque frontale de la rébellion par les forces gouvernementales. Attaque frontale dans laquelle, d’ailleurs, les Fanci seraient laminées malgré le soutien de mercenaires.

A Ouaga, où l’on sait depuis toujours qu’en visant Ouattara c’est Compaoré qui est la cible, les dispositions ont été prises, depuis plus de deux ans maintenant, pour faire "sans" la Côte d’Ivoire. La restructuration des rapports économiques et diplomatiques sous-régionaux, est quasiment menée à terme. C’est un processus irréversible. Abidjan n’empêche pas Ouaga de dormir. Mais Ouaga empêche Abidjan de jouer le jeu trouble qui est le sien : une politique d’exclusion définitive des "étrangers" et des Burkinabè afin que les Bété et leurs alliés cessent d’être une minorité pour devenir une majorité (cf LDD Côte d’Ivoire 0125/Jeudi 26 août 2004).

Ce qui explique les opérations de déstabilisation de Compaoré par Gbagbo qui persiste à penser (plus exactement à laisser penser) que la crise ivoirienne n’est pas imputable à la politique qu’il a mise en oeuvre mais à l’action de "rebelles" dont, dit-il, "le Burkina Faso a été depuis le début la base arrière [...] Et c’est là-bas qu’ils se réunissent encore aujourd’hui".

Hermann et Julia étant tombés à l’eau, Gbagbo revient à sa vieille pratique de la provocation. Il s’agit de créer une tension maximale dans sa gestion de la crise ivoirienne afin de pousser ses adversaires à la faute. Auparavant, il a entrepris de se refaire une image et de trouver de nouvelles alliances au sein de la classe politique française.

Jusqu’à présent, le vecteur essentiel de communication de Gbagbo en France était Le Parisien via, notamment, le journaliste Philippe Duval (cf LDD Côte d’Ivoire 90 à 94/Mercredi 22 à Mardi 28 octobre 2003). Il s’agissait alors de prendre en considération la diaspora africaine en France et de jouer la carte nationaliste (Il n’est pas concevable qu’un "étranger ", en l’occurrence Ouattara, devienne le patron d’un pays par la voie des armes alors que la Constitution lui refuse cette possibilité !).

En 2003, la classe politique française était encore très partagée sur la question ivoirienne. A gauche comme à droite, ils étaient encore nombreux à penser que Gbagbo pouvait être un interlocuteur valable. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Gbagbo doit donc reconquérir l’opinion de l’ensemble de la classe politique, plus encore après" l’affaire Julia" qui lui a valu un commentaire cinglant de la part du patron du PS, François Hollande ("Gbagbo est devenu infréquentable ").

Changement de tactique ; changement de support. Exit Le Parisien, vive Le Figaro. Gbagbo passe du RER et des quartiers populaires aux voitures de fonction et aux beaux quartiers.

Une opportunité qui lui a été offerte par "l’affaire Julia ". La couverture exclusive de l’opération de rapatriement des deux journalistes français otages en Irak avait été octroyée au quotidien Le Figaro et au journaliste Charles Lambroschini. Celui-ci n’est pas un nouveau venu dans les milieux "africanistes". Corse (son deuxième prénom est... Napoléon), fils de diplomate, il a été formé, notamment, au collège des Maristes de Dakar, au Sénégal, avant de poursuivre ses études en France et aux Etats-Unis. Il a débuté sa carrière comme correspondant de l’ORTF à Jérusalem puis à New York. Entré au Figaro en 1975, il travaillera au sein du service étranger avant d’être nommé correspondant à Washington puis à Moscou. Chef du service de politique étrangère en 1986, il a été nommé en 1989 rédacteur en chef du quotidien français dont il est, aujourd’hui, membre du comité éditorial.

Première retombée de cette opération : l’entretien accordé par Gbagbo à Arnaud de La Grange et publié dans Le Figaro du mardi 19 octobre 2004. L’essentiel n’est pas dans ce que déclare Gbagbo. Mais dans le "chapô" signé par de La Grange : "Laurent Gbagbo est considéré comme un redoutable tacticien politique. Notamment par Paris, qui a eu des relations très difficiles avec lui. Aujourd’hui,Laurent Gbagbo se pose comme l’un des chefs de file d’une nouvelle génération de dirigeants africains plus indépendants vis-à-vis des anciennes puissances coloniales. Le chantre d’une deuxième indépendance ivoirienne [c’est moi qui souligne] ".

L’essentiel est là : les difficultés de Gbagbo sont liées à la lutte d’indépendance qu’il a entrepris de mener contre les anciennes puissances coloniales. Et le résultat ne se fait pas attendre : Gbagbo entend capitaliser cette nouvelle image auprès des altermondialistes (en tout premier lieu Attac) et des" Verts", toujours prompts à dénoncer les impérialismes et, tout particulierement, l’impérialisme français. Et qui sont à la recherche d’un nouveau souffle sur la scène politique française.

Cela tombe bien puisque "l’ennemi" de Gbagbo est, justement, Ouattara qui a été un des patrons du FMI et qui est l’ami privilégié d’un autre FMIste qui est passé, depuis, dans le camp sarkoziste : Michel Camdessus (que la presse française ne ménage pas - y compris Le Figaro qui a brocardé récemment ses déclarations sur "mon boss, c’est le pauvre" - depuis la publication de son rapport sur la situation économique de la France).

Nouvelle image, nouvelles alliances, Gbagbo repart à l’offensive avec un même leitmotiv : les rebelles, c’est Ouattara ; et Ouattara, c’est Compaoré. Mais n’ayant pas les moyens de sa politique offensive, il lui faut jouer la provocation pour pousser son opposition à la faute. Il s’y emploie avec d’autant plus de détermination que la "communauté internationale", la diplomatie française et la classe politique ivoirienne sont dans l’expectative quant au devenir de la situation.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique (2/11/04)

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique