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Les réseaux sociaux, nouveaux instruments de changement social ?

Publié le lundi 2 juillet 2012 à 11h14min

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Les réseaux sociaux, nouveaux instruments de changement social ?

Le printemps arabe, en mettant fin à des dictatures installées depuis plusieurs décennies a singulièrement mis en lumière le rôle des réseaux sociaux comme instruments de changements sociaux. Grâce à une exploitation efficace de l’Internet et des outils participatifs comme Facebook, Twitter, les blogs et autres forums de discussions, les populations tunisiennes, égyptiennes, libyennes, ont démontré comment on pouvait contourner des stratégies et des mesures de censure jusque-alors implacables, et opérer des mobilisations citoyennes pour entraîner des changements historiques.
Dans cette analyse, après avoir fait le point sur l’expansion des réseaux sociaux en Afrique, nous examinons les TIC comme nouvelles armes au service des citoyens, nouvelles armes au service des citoyens, avant de décrire la nécessité d’une éducation aux médias des citoyens afin de réduire les risques de dérives et de désinformation à l’heure où n’importe qui peut diffuser n’importe quoi sur les réseaux électroniques.

Le drame de Sidi Bouzid, cette ville du centre de la Tunisie où un jeune chômeur s’est immolé par le feu aurait pu passer inaperçu si des acteurs du Web, précisément des réseaux sociaux ne s’en étaient pas mêlés. En le répercutant sur Twitter, et ensuite sur Facebook et sur le Web en général et dans les médias traditionnels, les cyberactivistes ont permis de donner un écho planétaire à un fait divers qui a été le point de départ de la dynamique ayant entraîné la chute de Ben Ali. En Egypte, en Libye, les potentialités du Web, des réseaux sociaux ont également été efficacement mises à contribution pour entraîner des bouleversements majeurs que l’on a enregistrés.

Si le printemps arabe a démontré le rôle capital des nouveaux canaux de communication portés par les technologies de l’information et de la communication, son impact souligne aussi l’expansion rapide de ces technologies sur le continent, même si le niveau de leur appropriation et de leurs effets reste très inégal selon les pays.

I. Une expansion rapide et inégale des TIC en Afrique

En Tunisie par exemple, trois mois après le déclenchement du drame de Sidi Bouzid, quelque 400 000 tunisiens s’étaient inscrits sur Facebook pour suivre ce qui se passait dans leur pays. Aujourd’hui, selon les chiffres du site Socialbakers , la Tunisie compterait près de 3 millions d’utilisateurs de Facebook ; soit un taux de pénétration de 28% de la population globale. Avec un peu plus de 10 millions d’utilisateurs Facebook, l’Egypte est le premier pays africain connecté à ce réseau social ; pendant que la Libye a un peu plus d’un demi million d’utilisateurs.

Ailleurs sur le continent, cette expansion reste mitigée. En Afrique de l’Ouest, selon les chiffres de Internet World Stats , l’on compterait au 31 décembre 2011, quelque 52 millions et demi d’utilisateurs d’Internet, avec des pointes au Nigeria, plus de 45 millions d’utilisateurs et en bas de tableau le Liberia avec quelques 20 000 utilisateurs. Quant aux utilisateurs de Facebook, en l’absence de chiffres pour la Côte d’ivoire, la Guinée Bissau et le Liberia, l’on en dénombre selon les mêmes sources, au 31 mars 2012, près de 7 millions d’utilisateurs. Le Nigeria vient encore en tête avec un peu plus de 4 millions de facebookers et la Guinée ferme la marche avec quelque 40 000.

Comme on le constate, l’expansion de ces technologies reste très inégale selon les pays, tout comme les changements sociaux qu’elles sont parfois susceptibles d’entraîner. Facebook, Twitter, les blogs, passent pour avoir été d’efficaces armes pour les activistes qui ont contribué à renverser les régimes de Ben Ali, Muamar kaddafi et Hosni Moubarak, mais ils n’ont pas eu le même succès sur d’autres théâtres de crise sociale, comme au Burkina en 2011. Le pays a lui aussi vécu de graves remous sociaux en 2011, que l’on a sans doute trop vite assimilés au printemps arabe. Cette année-là, les conséquences ont été toutes autres, malgré la création de plusieurs groupes sur Facebook réclamant le départ de Blaise Compaoré (cf. “Blaise Compaoré dégage” , « Mouvement Blaise Compaoré doit partir » .

II. Les TIC, nouvelles armes au service des citoyens

Les initiatives de mobilisation sociale que l’on enregistre ici et là marquent incontestablement les profonds changements qu’entraîne l’irruption du citoyen ordinaire dans le champ de la production et de la diffusion de l’information grâce à l’évolution prodigieuse et à l’expansion des technologies de l’information et de la communication. Elles traduisent aussi la soif irrépressible du citoyen de se faire entendre, de participer au débat public. Cela, depuis ce qu’on pourrait appeler les débuts du Web 2.0 dans les médias ouest-africains avec la mise en place des forums de discussions, ces espaces d’expression citoyenne, de partages d’expériences et d’opinions, de communion entre populations de divers horizons. Le portail Abidjan.net est certainement l’un des sites les plus visités de l’Afrique de l’Ouest. Et les forums de discussions où les internautes peuvent interagir ont sans aucun doute contribué à ce succès. Il en est de même pour les autres espaces numériques d‘information au Benin, au Nigeria, au Mali, au Ghana, au Sénégal et ailleurs.

En rendant l’information plus facilement accessible, en donnant la possibilité aux citoyens de réagir à cette information et de donner leur opinion, le Web et les réseaux sociaux créent plus de transparence dans la gestion des affaires publiques, réduisent les frustrations des populations qui sont parfois révoltées de n’être pas suffisamment prises en compte dans la gestion de la chose publique.

Il y a indubitablement aussi un rôle cathartique non négligeable car donner la possibilité aux citoyens ordinaires d’exprimer leurs points de vue sur la marche des affaires de l’Etat, ou simplement de faire entendre leurs voix, même de se défouler, participe de l’apaisement des cœurs. Cette fonction de soupape sociale que jouent les médias interactifs est même exigée par les internautes. Sur Lefaso.net au Burkina, nous relevons régulièrement les commentaires de citoyens qui exigent de voir leurs commentaires publiés sur le site pour leur permettre d’exprimer tout simplement leur ras-le-bol.

D’une manière générale, s’il est admis que c’est la méconnaissance de l’autre qui exacerbe les différences et créé la méfiance, en s’affranchissant des frontières et des distances, les nouvelles technologies créent plus de proximité entre les populations de divers horizons et participent à la création d’une certaine citoyenneté transnationale. Le Burkinabè intéressé par l’actualité ivoirienne peut ainsi facilement s’informer sur les sites ivoiriens, et donner son point de vue ; même s’il n’est pas toujours bien compris et accepté ; et vice-versa. Il en est de même pour le guinéen qui peut suivre heure par heure ce qui passe au Mali, partager avec les Maliens son expérience de transition démocratique difficile, comme il l’a vécue un peu avant eux.

Comme tout instrument, s’ils sont bien utilisés, le Web, les réseaux sociaux peuvent donc être d’efficaces vecteurs de paix. Mais ils sont aussi, de par leur nature, porteurs de gros risques pour la paix sociale.
En effet, l’explosion de la communication citoyenne et la démocratisation de l’information sont des sources potentielles de dérives, car le nouvel acteur du champ médiatique, le citoyen ordinaire, n’est pas toujours formé aux principes et règles de collecte et de diffusion de l’information à une grande échelle. Les risques de désinformation, même de manipulation sont grandes.
Les dizaines de canulars qui circulent dans les boîtes e-mails, mettant en garde contre des dangers totalement fictifs par exemple (des aiguilles infectées du virus du SIDA, des clés USB piégées que l’on vous remet dans des stations de service pour pouvoir vous tracer, etc.) en sont des illustrations .
Et le fait que le public soit friand du sensationnel augmente encore ces risques. L’une des pages Facebook les plus populaires sur la Côte d’Ivoire aujourd’hui est celle du site Rumeurs d’Abidjan qui compte plus de cent mille membres et qui porte bien son nom. La présentation de ce groupe dit ainsi que : « La rumeur, dont on banalise souvent l’impact est une arme redoutable. Elle est habituellement engendrée par un fait ou un comportement réel. De cette vérité, naît une transformation qui est rapportée à la récréation. Par définition, la rumeur est un phénomène d’entraînement » . Une présentation qui se passe donc de tout commentaire.

Les TIC, c’est aussi la guerre de l’information avec une nouvelle forme plus ravageuse. L’on se rappelle encore sans doute qu’au début de la crise ivoirienne, le site Web du MPCI (Mouvement de la rébellion conduite par Guillaume Soro) avait été détourné sur un site porno ; conséquence de la guerre de l’information qui sévissait.
Autre illustration, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Burkina et dans bien d’autres pays de la sous-région qui ont traversé des moments de crise sociale et de troubles, le service SMS des réseaux téléphonique a été quelques fois interrompu, au nom de la paix sociale, « pour éviter la diffusion de fausses informations »justifient les autorités.
Ce qui démontre que les technologies de l’information peuvent être de redoutables armes de guerre, car vecteur efficace de l’information qui est elle-même un enjeu de pouvoir.

III. L’éducation aux médias et l’auto-régulation des médias contre les dérives des médias

Le Web et les réseaux sociaux peuvent donc être promoteurs de guerre. Cela est inhérent à leur nature. La fin du monopole du journaliste en matière de production et de diffusion de l’information pose automatiquement la question de la crédibilité de l’information collectée et diffusée à profusion par les citoyens ordinaires. Ce risque ne peut être réduit que par la mise en place de certaines mesures : l’éducation aux médias qui permettra de former le citoyen ordinaire au maniement de l’arme qu’est l’information, car le journaliste citoyen doit aussi suivre une formation, même si c’est de façon rudimentaire. Et autre mesure sur laquelle un grand consensus semble s’installer, la régulation ou l’auto-régulation, qui semble faire consensus dans les débats.

Mais en attendant la mise en place d’une telle régulation, les médias traditionnels peuvent déjà jouer un rôle de vigie par rapport aux nouveaux médias. Cela par la prise en compte de ces groupes sociaux virtuels dans leur agenda éditorial. Il faut donc que les médias traditionnels s’intéressent à la vie de ces communautés et qu’ils rendent compte de leur évolution. Cela permettra d’installer un premier palier de filtre, de décantation. Cela permettra aussi au professionnel des médias de jouer de nouveau son rôle traditionnel d’intermédiaire et de reprendre la main que le phénomène du journaliste citoyen lui avait retirée.

Mais jusqu’ici, malgré l’importance que le Web et les réseaux sociaux sont entrain de prendre dans nos vies quotidiennes, l’on note avec regret que les médias traditionnels, et même les médias en ligne consacrent peu d’articles de vulgarisation à ces sujets, à ces nouveaux espaces de socialisation. Pire, les forums de discussions des sites médias sont peu suivis par les rédactions. Les pages Facebook sont inexistantes ou sont laissées à elles-mêmes. Les interpellations des lecteurs restent ainsi sans réponse et le plus souvent, les discussions se font uniquement entre internautes et les journalistes de la rédaction les lisent passivement.

Pourtant l’une des leçons du printemps arabe, c’est que les initiatives de mobilisation sociale en ligne n’ont d’effet que quand elles sont répercutées dans les médias traditionnels, le virtuel n’ayant d’effet que quand il a un écho dans le réel.
Voilà qui offre de belles perspectives de réflexion sur l’utilisation du Web et des réseaux sociaux, de leur utilisation comme instruments de changements sociaux.
Prenant en compte le caractère libertaire et transnational de l’Internet, Joël de Rosnay proposait ainsi en 2006 (dans son ouvrage titré « La révolte du pronétariat ) que chaque internaute soit « un maillon éthique du réseau ». Comme mécanisme de régulation, il proposait que soit créé un organisme international non gouvernemental, qui serait un organisme tripartite (comprenant des représentants des gouvernements, des entreprises et de la société civile) qui pourrait fédérer les informations provenant des internautes pour ensuite déterminer comment les transmettre éventuellement aux services publics locaux ou le cas échéant, internationaux »
C’est certainement là le passage obligé pour faire véritablement des technologies de l’information des outils de promotion de la paix et ainsi réduire leurs risques de promotion de la guerre. Voilà qui mérite réflexion.
Comme le dit si bien de Rosnay, « les pouvoirs publics devraient promouvoir activement cette prise de conscience citoyenne pour que chaque internaute prenne la mesure de ses capacités potentielles à assainir le cyberespace. Il est donc fondamental de développer les bases d’une véritable autorégulation éthique et citoyenne d’Internet. Il ne s’agirait d’une régulation ni exclusivement par le haut (pouvoirs publics), ni exclusivement par le bas (internautes), mais d’une « corégulation citoyenne ».
En conclusion, le Web et les réseaux sociaux ne sont que des vecteurs, des instruments qui ne font que ce qu’on leur demande de faire, qui ne valent que par l’usage qu’on en fait. Il importe donc d’apprendre aux citoyens à en faire bon usage.

Dr Cyriaque PARE
Attaché de recherche
Institut des Sciences des Sociétés (CNRST/Ouagadougou)

Bibliographie

1.www.socialbakers.com, consulté le 9 juin 2012
2. www.internetworldstats.com, consulté le 9 juin 2012
3. http://www.facebook.com/profile.php?id=100001959026599, consulté le 3 juin 2012
4. http://www.facebook.com/groups/revolutionburkina2011/
5. www.abidjan.net, consulté le 5 juin 2012
6. www.lefaso.net, site fondé par l’auteur en octobre 2003
7.Voir sur le site www.hoaxbuster.com qui documente les canulars du Net, consulté le 6juin 2012
8. www.facebook.com/Rumeursdabidjan, consulté le 10 juin 2012
Joêl de Rosnay, « La révolte du pronétarait. Des mass média aux média des masses ». Ed. Transversales, Fayard, 251 p.

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