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La mort de Mélès Zenawi : ouverture politique de l’Ethiopie ? Ou le chaos ?

Publié le jeudi 23 août 2012 à 16h26min

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Il n’est pas un seul pays en Afrique où le chef de l’Etat ait été autant encensé au plan international alors que tout le monde reconnaît que sa gestion a été dictatoriale et, parfois même, sanglante (200 morts lors des manifestations post-électorales de 2005 + 30.000 arrestations). C’est aussi le pays d’Afrique qui, au cours des dernières décennies, s’est le plus engagé dans des conflits extérieurs : Erythrée (1998-2000 – entre soixante-dix mille et cent mille morts !) ; Somalie (2006-2009 et 2011).

Il restera, aussi, dans l’Histoire contemporaine de l’Afrique, le premier leader politique à avoir organisé la scission d’une partie de son territoire (l’Erythrée à la suite d’un référendum organisé en 1993), se privant ainsi de sa façade maritime et remettant en question la règle de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation.

Meles Zenawi vient de mourir… à Bruxelles, à 57 ans, et les commentateurs le regrettent tout en notant qu’il a dirigé son pays d’une « main de fer » pendant plus de vingt ans ! On peut penser, comme Pierre Prier, dans Le Figaro de ce matin (mercredi 22 août 2012), qu’en Ethiopie, « le pouvoir garde une part de sacré ». C’est surtout que Zenawi a, en 1991, mis fin à la « terreur rouge » du colonel Mengistu Haïlé Mariam qui aurait fait 500.000 morts ; dès lors, le nouveau pouvoir, aussi totalitaire soit-il, est apparu comme une « démocratisation ». Mais Zenawi est mort et du même coup toutes les rancœurs, nationales et régionales, contenues depuis trop longtemps, pourraient bien se déverser d’un seul coup en un flot incontrôlable dont la violence remettrait en question la stabilité d’un pays qui n’a jamais connu la démocratie. Raila Odinga, Premier ministre du Kenya, qui sait de quelles horreurs sont capables les hommes quand leurs aspirations ne sont pas satisfaites, a été le premier, sur la BBC, à faire part de son inquiétude face à une Ethiopie « très fragile » et « insuffisamment préparée à la transition ».

Inquiétude justifiée. Pays enclavé de plus de 1,1 million de km², l’Ethiopie figure dans le Top 10 des plus grands pays du continent. C’est aussi le pays le plus peuplé d’Afrique derrière le Nigéria : 88 millions d’habitants. Avec une situation géopolitique délicate : il a des frontières avec l’Erythrée (ils ont été en guerre), les deux Soudan (où les tensions sont toujours maximales), le Kenya (à peine en convalescence après les massacres inter-ethniques de 2007 qui ont fait, officiellement, 1.133 morts), la Somalie (où la situation demeure apocalyptique) et Djibouti (qui connaît périodiquement des situations conflictuelles avec ses voisins éthiopien et érythréen). Addis Abeba se trouve à moins de 1.200 km d’une dizaine de villes-capitales qui sont autant de pôles de tension : Aden et Sanaa de l’autre côté de la mer Rouge ; Khartoum et Juba ; Kampala ; Nairobi ; Mogadiscio sur les rives de l’océan Indien ; Berbera et Djibouti sur les rives du golfe d’Aden ; Asmara non loin des rives de la mer Rouge.

Zenawi était, avec l’Erythréen Issayas Afewerki, considéré par Washington, au temps de Bill Clinton et de Madeleine Albright, comme le représentant d’une « nouvelle génération de dirigeants qui sortiraient le continent de l’ornière ». Hillary Clinton et sa fille Chelsea se sont même rendues à Asmara en 1997 à l’occasion d’une grande tournée en Afrique et Hillary s’est enthousiasmée pour un pays où « on dansait encore pendant la guerre pour se rappeler ce qu’était un monde sans guerre ». Depuis, l’illusion a cédé la place à la raison.

La Constitution éthiopienne ne s’étant guère souciée de la transition en cas de disparition brutale du premier ministre (chacun sait qu’il n’est jamais bon, devant un leader politique autoritaire, d’envisager sa mort, événement nécessairement brutal et… injuste !), étant établi que c’est le vice-premier ministre qui « agit au nom du Premier ministre en son absence » (et Zenawi était « absent » depuis plusieurs mois déjà), il a été décidé qu’Haliemariam Desalegn, le vice-premier ministre en question, achèverait le mandat de cinq ans du gouvernement. Ce qui repousse les élections au printemps 2015. Une éternité ! Pendant laquelle tout sera possible, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. D’autant plus que l’on ne sait pas grand-chose de la vraie personnalité de Desalegn.

Normal dans un pays qui a emprunté à la bureaucratie stalinienne son mode de production politique (que ne renierait pas Pékin) : un leader, Zenawi ; un parti de masse, l’EPRDF (Front révolutionnaire et démocratique du peuple éthiopien) qui revendique plus de 5 millions de membres et encadre toutes les activités politiques, économiques, sociales, culturelles ; une Assemblée nationale où le parti au pouvoir détient quasiment 100 % des sièges ; une opposition « divisée, laminée et muselée » ; un contrôle « strict » (et c’est un euphémisme) des médias et de la liberté d’expression ; une étroite connexion entre l’appareil étatique et les opérateurs du secteur privé ; l’accaparement des terres à vil prix par des multinationales étrangères ; les déplacements forcés de population pour des motifs économiques… Zenawi était cependant « le chouchou » des dirigeants « occidentaux », Etats-Unis et Grande-Bretagne en tête sans oublier le FMI et la Banque mondiale, bien qu’il soit le partenaire privilégié des « émergents » d’Asie, à commencer par la Chine et l’Inde.

De l’Ethiopie, on ne connaît donc que le nom de Zenawi (et, pour les lecteurs du journal L’Equipe, celui de quelques marathoniens) qui « incarnait à lui seul le pouvoir dans son pays ». Desalegn, bien que vice-premier ministre et, surtout, ministre des Affaires étrangères, n’était pas même l’ombre du « grand homme ». Le voilà sur le devant de la scène nationale et… régionale, dans le collimateur des Erythréens, des Somaliens mais aussi de l’opposition politique et des rébellions qui n’ont jamais cessé de surfer sur les tensions locales. C’est un homme encore jeune (il est né en 1965), originaire du Sud de l’Ethiopie, en pays Wolayta (entre le fleuve Omo et le lac Abaya) où des rois règneront jusqu’à la conquête de ces territoires par Ménélik II à la fin du XIXème siècle. C’est à Boloso Sore qu’il fera ses études primaires et secondaires avant de rejoindre l’université d’Addis Abeba puis de se rendre à Finlande, à l’université de Tampere, à quelques encablures du cercle polaire arctique.

Alors qu’il mène une carrière administrative dans l’enseignement supérieur, il va s’affirmer comme un des leaders de l’EPRDF de Zenawi pour la région Sud avant de prendre la vice-présidence du tout puissant parti gouvernemental. Elu député en 2005, nommé conseiller spécial (en charge de l’organisation publique) de Zenawi, intégré au gouvernement en 2008 au poste de ministre chargé de… la Discipline gouvernementale, c’est en 2010, alors que l’EPRDF est devenu totalement hégémonique dans la vie politique du pays, qu’il sera promu vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. Il prenait la suite d’Addisu Legesse qui était, lui, ministre de l’Agriculture et du développement rural*.

La marge de manœuvre de Desalegn est étroite. Il n’est qu’un apparatchik et devra faire oublier la forte personnalité qu’était Zenawi qui avait forgé dans le combat contre le régime de terreur de Mengistu sa détermination politique et son absence totale d’états d’âme. L’absence de précipitation de l’EPRDF dans la désignation d’un successeur traduit, d’ores et déjà, les luttes d’influence qui bouleversent le parti. Une certitude : après Hailé Sélassié (1930-1974), Mengistu (1977-1991) et Zenawi (1991-2012), les Ethiopiens méritent de tourner la page des régimes trop « typés ». Même si ce n’est pas le point de vue de Washington, de Londres ni de… Pékin.

* Le tout premier vice-premier ministre éthiopien sous l’ère Zenawi a été Tamerat Layne. Il avait été premier ministre de 1991 à 1995 quand Zenawi, à la suite de l’accord de Londres, le 30 mai 1991, assumera la transition jusqu’à l’adoption de la nouvelle Constitution. Le 24 août 1995, Zenawi étant désigné premier ministre, Layne obtiendra le poste de vice-premier ministre et ministre de la Défense. Mais en 1996, il sera emprisonné pour corruption et il ne sera libéré qu’en 2008.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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