LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Toyota en passe de mettre la main sur CFAO : Pinault se débarrasse de la vieille dame de l’Afrique francophone ! (4/4)

Publié le samedi 25 août 2012 à 07h37min

PARTAGER :                          
Toyota en passe de mettre la main sur CFAO : Pinault se débarrasse de la vieille dame de l’Afrique francophone ! (4/4)

CFAO ne faisait plus la « une » de la presse depuis bien longtemps. Mais le mercredi 18 novembre 2009, la presse économique ne parlera plus que de cette compagnie mythique : la décision venait d’être pris formellement par le conseil d’administration du groupe PPR, la maison-mère, d’introduire le titre en Bourse ; et l’Autorité des marchés financiers (AMF) avait donné son feu vert à l’opération. « La décision de céder une partie du capital de la CFAO a été prise en janvier 2009, puis gelée pendant six mois à cause de la crise financière.

Le dossier a été rouvert cet été car nous anticipions un redressement des marchés », avait précisé François-Henri Pinault, PDG de PPR dans Les Echos de ce matin-là, du 18 novembre 2009. La fourchette de prix de l’action avait été fixée entre 24,80 et 29 euros et 50 ,39 % du capital et des droits de vote étaient proposés, PPR souhaitant « participer à la création de valeur future de l’entreprise ». Soit, sur la base d’un prix médian de l’action, 834 millions d’euros, ce qui valorisait CFAO à 1,6 milliard pour un chiffre d’affaires de 2,9 milliards en 2008. La campagne pour « devenir actionnaire de CFAO » avait été lancée immédiatement dans la presse économique, la souscription (destinée prioritairement aux investisseurs institutionnels, les particuliers n’étant invités au capital qu’à hauteur de 10 % des actions offertes) étant ouverte jusqu’au 1er décembre 2009, la première cotation étant prévue le 3 décembre 2009 (soit près de vingt ans après son retrait de la cote à la suite de l’acquisition de CFAO par PPR en 1990).

CFAO se présentait à ses futurs actionnaires comme un « groupe pionnier », « un leader de la distribution d’automobiles et de médicaments [en Afrique et outre-mer] disposant de positions fortes dans la distribution de solutions technologiques et la production de biens de consommation sur les marchés de croissance ». La vieille compagnie, plus que centenaire, mettait en avant son « expérience », sa « pérennité », son « engagement », son « esprit de conquête », sa « performance ». Voilà donc les analystes financiers qui redécouvraient l’Afrique, émerveillés par les photos jaunies « du bon vieux temps des colonies ». « CFAO, c’était l’Afrique et ses promesses, tout simplement. Presque cent ans après, Richard Bielle ne dit pas tellement autre chose quand il explique qu’acheter des actions CFAO, c’est investir dans le potentiel de tout un continent ».

C’est l’éditorialiste Philippe Escande qui s’exprimait ainsi dans Les Echos de ce mercredi 18 novembre 2009, dans un long papier qui rappelait les heures glorieuses du commerce international en Afrique dont la seule survivante était, justement, CFAO. « L’entreprise a vécu deux guerres mondiales, la décolonisation, la crise africaine [je ne sais d’ailleurs pas à quoi Escande fait référence quand il évoque cette « crise africaine »], la dévaluation du franc CFA, le rachat par Pinault, la crise économique de 2009… Et reste la pépite de ses origines », écrivait encore Escande, qui soulignait la capacité de la compagnie à allier rigueur et flexibilité, audace et prudence, et notait que pour la nouvelle direction du groupe, il ne s’agissait « pas de capitaliser sur sa seule connaissance intime de pays difficiles. L’idée est désormais de coupler cette connaissance du terrain avec une professionnalisation des métiers. Avec l’idée de devenir partenaire des industriels en maîtrisant toute la chaîne de la valeur de la distribution, du producteur au client final ».

L’action CFAO a été introduite en Bourse le jeudi 3 décembre 2009. A 26 euros, « dans le milieu bas de la fourchette annoncée par CFAO à son lancement ». « Bon accueil » pour les uns, « entrée en fanfare » pour les autres. Les opérateurs sont traumatisés par la crise financière, mais au premier jour de cotation, l’action CFAO aura progressé de 4 %. Cependant, l’exercice 2009 ne tiendra pas ses promesses : chute de 29,8 % du bénéfice net et de 25,3 % du résultat d’exploitation pour un chiffre d’affaires en recul de 10,2 %. Les Echos (12 mars 2010) évoqueront un « coucher de soleil en décalage avec l’image d’une économie émergente dynamique que « vendait » il y a trois mois l’ex-Compagnie française de l’Afrique occidentale au marché ». Malgré l’exacerbation de la « crise ivoiro-ivoirienne » début 2011, les mutineries au Burkina Faso, les opérations d’AQMI dans le « corridor sahélo-saharien », les troubles « ethno-religieux » au Nigeria, la piraterie dans le golfe de Guinée… CFAO tiendra le cap. Fin 2010, Xavier Desjobert, un X-Mines + IEP-Paris + Insead, qui s’est illustré dans la distribution (3 Suisses, Casino, Lapeyre), sera nommé directeur du développement. Mission : « enrichir le portefeuille de métiers du groupe » : habillement mais aussi fourniture de matériels et de service de maintenance dans la construction, les mines, l’agriculture. Retour aux « premières amours » de la CFAO » commentera Keren Lentschner dans Le Figaro (1er mars 2011). Ce qui n’empêchera pas le cours boursier de l’action CFAO de faire le yoyo.

C’est dans ce contexte que les Japonais vont pointer le bout du nez au début de l’été 2012. Et le 2 août 2012, à la suite d’une acquisition d’actions CFAO hors marché conformément au contrat de cession du 25 juillet précédent, Toyota Tsuho Corp. (TTC) détient désormais 29,8 % du capital et des droits de vote. Confirmant son intention de lancer une offre publique d’achat volontaire sur le solde du capital à 37,50 euros/action. Yasuhiko Yokoi et Takashi Hattori prennent la suite, au conseil de surveillance, de François-Henri Pinault et de Jean-François Palus (un HEC qui a fait carrière au sein du groupe PPR dont il a été nommé, fin 2005, directeur financier), tous deux démissionnaires. Yokoi et Hattori sont deux produits du groupe Toyota au sein duquel ils ont fait carrière. Yokoi, qui a une large expérience internationale, notamment des marchés émergents, est vice-président exécutif de TTC en charge de la stratégie et des opérations internationales. Hattori, qui a été en poste à Nairobi et Abidjan avant de présider Toyota Tsuho Africa Pty, est directeur général de TTC, en charge de la division automobile. Toyota*, qui vient de reprendre sa place de numéro un mondial, a produit, depuis sa fondation, plus de 200 millions de véhicules (marques Toyota, Lexus, Daihatsu, Hino, filiale poids lourd absorbée en 1966).

A noter que, parmi les membres du conseil de surveillance de CFAO, présidé par Alain Viry, a figuré, voici peu temps, au titre « d’indépendant », l’actuel premier ministre du Mali, Cheick Modibo Diarra. Depuis mai 2010, y figure également Nathalie Delapalme, ex-« Madame Afrique » de la diplomatie française qui, après avoir participé aux cabinets de la rue Monsieur, a été conseiller pour l’Afrique et le développement au sein du cabinet de Dominique de Villepin lorsque celui-ci était ministre des Affaires étrangères. Mais le monde des affaires ne lui est pas inconnu : son père, Bernard Delapalme, un X-Génie maritime, est le fils d’un industriel et le petit-fils de Joseph Gaveau (fondateur de la maison de facteurs de pianos Gaveau de renommée mondiale) ; sa mère, Evelyne Balaÿ, qui appartient à une famille d’ingénieurs, est également la fille d’un industriel lyonnais. Nathalie Delapalme est par ailleurs directeur de la recherche et des politiques publiques de la Fondation de l’homme d’affaires soudanais Mo Ibrahim à Londres. C’est dire que la CFAO, qui est née « africaine », l’est demeurée plus que jamais malgré les velléités de diversification géographique de sa direction. Et les Japonais semblent bien décidés à rester ancrer sur le continent même si on peut regretter l’absence d’investisseurs « locaux » au sein de la compagnie.

* Toyota est, à l’origine, une entreprise du secteur de l’industrie textile : Toyota Automatic Loom Works. Sa conversion à la construction automobile date de 1936, la première Toyota produite en série étant le modèle AA, un 6-cylindres en ligne d’environ 3 litres ne développant que 65 ch à 3.000 tr/mn. Ce n’est qu’à la fin des années 1960 que la marque japonaise réalisera une première percée sur les marchés d’exportation notamment avec le modèle Corona.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique