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DJIBRILL YIPÈNÈ BASSOLÉ, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE LA COOPÉRATION RÉGIONALE : « Etre médiateur, c’est avaler des couleuvres par moments et ne jamais se décourager »

Publié le mercredi 8 août 2012 à 23h02min

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Colonel de gendarmerie, ancien ministre de la Sécurité, Djibrill Yipènè Bassolé a joué un rôle majeur dans le rétablissement de la paix au Niger, au Togo, en Côte d’Ivoire et au Darfour (Soudan). Aujourd’hui ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, il est l’un des acteurs-clés de la médiation dans la crise malienne. Le 30 juillet dernier, Sidwaya a rencontré le chef de la diplomatie burkinabè. De la crise au Mali, aux relations franco-burkinabè écorchées ces dernières semaines par des déclarations orageuses d’un diplomate français du Quai d’Orsay en passant par les libérations d’otages et les supposées rançons, M. Bassolé s’exprime sans langue de bois. Il évoque également son nouvel engagement politique au sein du parti présidentiel, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP).

Sidwaya (S.) : Le président par intérim du Mali, Dioncounda Traoré, est finalement rentré à Bamako. Quel commentaire faites-vous du discours qu’il a prononcé dimanche 29 juillet après son arrivée ?

Djibrill Yipènè Bassolé (D. Y. B.) : Le retour du président par intérim de la République du Mali, Dioncounda Traoré, avait été vivement recommandé par les chefs d’Etat lors du mini sommet du groupe de contact tenu le 7 juillet dernier à Ouagadougou. Ils avaient souhaité que les dispositions sécuritaires soient prises, pour que le président Dioncounda Traoré puisse rentrer, de préférence, avant le 31 juillet qui avait été donné comme date butoir pour la mise en place du gouvernement d’union nationale. Nous l’avions rencontré à plusieurs reprises à Paris pour préparer son retour. Dieu merci, il a pu rentrer à Bamako. Le discours qu’il a prononcé va dans le sens de l’apaisement et de la réconciliation. Il donne également des indications quant à la mise en place d’organes, qui, avec l’implication de l’ensemble des forces vives de la nation malienne, pourront réaliser les objectifs de la transition à savoir gérer la crise au Nord du Mali et organiser des élections crédibles sur toute l’étendue du territoire national.

S. : Comment les Maliens comptent-ils assurer la sécurité du président, pour que l’agression qu’il a subie il y a quelques mois ne se reproduise plus ?

D. Y. B. : Le fait que le président Dioncounda même n’ait pas voulu que les soldats de la CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) l’escortent à Bamako est une option politique que nous respectons. Il nous a dit qu’il ne souhaitait pas que la garde des institutions républicaines soit confiée à des militaires de la CEDEAO. Ce qui veut dire qu’il a pu trouver avec les responsables des forces de défense et de sécurité maliennes, les garanties nécessaires pour que l’agression dont il a été victime ne se reproduise plus, et que ces forces jouent pleinement leur rôle régalien de protection des institutions de la république. La CEDEAO ne peut que se réjouir de cette évolution.

S. : Un président qui a été humilié par des compatriotes peut-il véritablement assumer la fonction de chef de l’Etat ?

D. Y. B. : Il est crucial qu’il puisse assumer sa fonction de président de la république par intérim. Vous l’avez écouté lors de son adresse à la nation, il pardonne à ses agresseurs au nom du Mali et pour le bien du Mali. C’est un comportement hautement louable et à saluer. Il aura été capable de transcender ce que vous qualifiez d’humiliation pour se mettre au service de son pays.

S. : Comment appréciez-vous les organes de transition qu’il veut mettre en place ?

D.Y.B. : J’ai trouvé le président particulièrement conciliant, et pragmatique. Il propose la mise en place de structures de concertation et de partage des responsabilités pour la gestion de la transition, ce qui est tout à fait compréhensible. La sortie de crise au Mali dépendra de la stabilité et du degré d’acceptation de ces organes par les Maliens.

S. : Le capitaine Sanogo aura-t-il un rôle à jouer dans cette transition ?

D.Y.B. : Je crois savoir que le capitaine Sanogo a décidé de reconnaître la légitimité du président de la république par intérim. Les militaires de la junte acceptent de se soumettre entièrement à l’autorité du pouvoir civil. Mais on ne peut pas pour autant ignorer ce qui s’est passé le 22 mars à Bamako. Les militaires doivent être associés à l’œuvre de la paix et de la réconciliation. Ceci dit, c’est au président de la république de déterminer le rôle précis que le capitaine Sanogo et ses camarades vont jouer dans la transition.

S. : Pensez-vous que le Premier ministre Cheick Modibo Diarra va se maintenir à la tête du gouvernement comme il l’a dit ?

D.Y.B. : Il y a une Constitution au Mali et des règles de fonctionnement de l’Etat. C’est au président qu’il revient le pouvoir de décider s’il maintient le Premier ministre actuel ou pas.

S. : Le fait que le Nord du pays soit sous le contrôle d’islamistes et de rebelles n’entrave-t-il pas véritablement une sortie rapide de cette crise ?

D.Y.B. : C’est évident. D’où la complexité de la crise malienne. On a initialement connu une rébellion armée dirigée par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Mais très vite, cette rébellion armée a été phagocytée et récupérée par des forces islamistes qui se sont montrées en réalité plus présentes et plus fortes militairement sur le terrain. Nous assistons aujourd’hui à une évolution négative de la situation, à des affrontements fratricides entre factions armées, à des luttes pour le leadership, ce qui n’est pas de nature à faciliter l’organisation de pourparlers de paix.

Nous fondons l’espoir que très rapidement, pour ceux des mouvements armés qui ont envie de rester dans un Mali unifié, qui voudront renoncer à ce projet d’indépendance, nous puissions parvenir à un arrêt complet de toute forme d’hostilité et à une normalisation de la situation administrative et sociale. Puis la question du terrorisme sera réglée de manière précise. Des dispositions sont prises par ailleurs par les pays de la sous-région et de la communauté internationale pour lutter efficacement contre le terrorisme.

S. : D’aucuns pensent que toutes les négociations doivent se faire au Mali et non à Ouagadougou. Pourquoi elles se tiennent plutôt à Ouagadougou qu’à Bamako ?

D.Y.B. : L’idéal serait que les Maliens décident eux-mêmes de se retrouver à l’intérieur pour faire la paix. Mais il se trouve que la confiance n’étant pas la chose la mieux partagée à ce stade, les parties préfèrent s’en remettre à une médiation extérieure. Les efforts du président du Faso, médiateur de la CEDEAO, visent précisément à promouvoir la confiance et le dialogue entre les protagonistes et les parties au conflit afin qu’ils puissent ensemble construire la paix au Mali.

S. : Lors du point de presse du gouvernement, vous n’avez pas exclu l’usage de la force pour reconstituer l’intégrité territoriale du Mali. Cette intervention ne va-t-elle pas signifier un échec de la médiation ?

D.Y.B. : Nous privilégions le dialogue afin d’offrir l’opportunité aux mouvements armés maliens de rentrer dans un processus de résolution politique de la crise. Ceci n’exclut pas l’usage de la force pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé. Il s’agit pour la médiation de faire la part des choses. Sans parler d’échec, il nous faudra combiner judicieusement la négociation et le déploiement des troupes.

S. : Est-ce que la CEDAO aura vraiment les moyens d’aller libérer le Nord ?

D.Y.B. : C’est bien là toute la difficulté. Que signifie libérer le Nord ? Au plan militaire, c’est une opération probablement difficile à réussir surtout que l’armée et l’administration maliennes y sont absentes. Mais s’il faut intervenir, les chefs d’état-major de la CEDEAO se donneront les moyens en liaison avec l’armée malienne et avec l’appui de la communauté internationale.

S. : N’avez-vous pas peur que les forces de la CEDEAO s’ensablent au Nord-Mali ?

D.Y.B. : Il est évident que si les objectifs ne sont pas clairement définis, on peut prendre le risque de s’ensabler. C’est 800 000 Km2 d’un terrain assez difficile qu’il faut libérer militairement et tenir. Ce n’est pas une tâche facile. C’est la raison pour laquelle nous pensons tout simplement qu’il faut combiner les deux, c’est-à-dire, privilégier d’abord le processus de dialogue politique. Ce qu’on aura pu réussir par le dialogue politique devient autant d’acquis, que nous serons dispensés de devoir conquérir par la force des armes. Toute action militaire pour être efficace doit être précise dans ses objectifs.

S. : Le Burkina Faso a eu à évacuer à Ouagadougou le leader du MNLA blessé au combat. Pour certains Maliens, cela est une ingérence à leurs affaires internes ?

D.Y.B. : Ce n’est pas une ingérence du tout ! D’abord, parce que ce sont les représentants du MNLA présents à Ouagadougou dans le cadre du dialogue qui ont sollicité l’intervention des autorités burkinabè. Deuxièmement, le Burkina Faso a été désigné comme pays médiateur dans cette crise malienne. Troisièmement, l’assistance humanitaire, quand il s’agit de prêter secours à un blessé, n’a pas de frontière. Nous avons, par la suite, informé les autorités maliennes de cette action humanitaire. Il était vraiment du devoir du Burkina Faso de prêter le concours technique et logistique qu’il fallait, pour exfiltrer le responsable du MNLA à leur demande, le faire soigner ici à Ouagadougou et renforcer la dynamique de paix. C’est de cela dont on a besoin pour faire avancer un processus de dialogue et de négociation.

S. : Est-ce que le MNLA est toujours un interlocuteur fiable étant donné qu’il n’a plus d’emprise sur le Nord ?

D. Y. B. : Le MNLA est toujours un interlocuteur parce qu’il se veut être une force politique et militaire qui a lancé le mouvement d’indépendance. Si vous voulez traiter la question de la réunification du pays, préserver l’unité territoriale du Mali, vous êtes obligé de garder le MNLA comme interlocuteur. Il faut que dans le processus de négociation, la médiation amène ce mouvement à renoncer à son projet d’indépendance. Ce n’est pas parce que militairement le MNLA connaît des difficultés sur le terrain ou qu’il y a des affrontements entre factions que nous devons prendre la responsabilité de déclarer qu’il n’est plus un interlocuteur valable. Il faut dialoguer avec tous les mouvements armés maliens.

Ce qui est peut-être nécessaire, c’est de cultiver une cohésion minimale entre les mouvements rebelles. S’il n’y a pas cette cohésion minimale, la paix globale et définitive sera difficile à réaliser parce que les factions vont toujours détruire tout ce que vous aurez fait avec les autres factions rivales. De ce point de vue, nous devons songer à obtenir des mouvements armés maliens, qu’ils s’entendent sur une plate-forme minimale, et qu’ils harmonisent leurs points de vue pour que la négociation puisse être plus efficace, pour davantage consolider la paix. En plus des mouvements armés, il faut impliquer toutes les composantes communautaires qui vivent au Nord-Mali. C’est la raison pour laquelle le président du Faso envisage de réunir ici les représentants des différentes communautés vivant au Nord- Mali, afin de les impliquer dans la recherche d’une solution durable de paix.

S. : Après sa défaite militaire sur le terrain, le MNLA serait prêt à s’allier avec la CEDEAO pour chasser les autres mouvements rebelles du Nord. Est-ce vrai ?

D. Y. B : Je ne crois pas que ce soit une idée géniale d’utiliser les mouvements rebelles, les uns contre les autres. Du point de vue de la médiation, ce n’est certainement pas la meilleure stratégie. Nous prônons le dialogue et la réconciliation. Nous voulons que les mouvements armés qui ont été à l’origine de la guerre, même si par la suite le leadership du mouvement leur a échappé, nous voulons quand même qu’ils se ressaisissent et qu’ils acceptent tous de revenir à la paix. La médiation de la CEDEAO prône la paix par le dialogue donc il n’est pas question pour nous d’instrumentaliser, en quelque sorte, un mouvement contre l’autre. Ce sont des stratégies que je comprends bien mais une médiation ne doit pas se livrer à ce jeu-là.

S. : Il semble que les armées de l’Afrique de l’Ouest ne sont pas rompues aux terrains tels que la région du Nord-Mali et qu’on demande l’intervention du Tchad qui connait mieux ces genres de terrain. Est-ce que véritablement c’est cela qui est à l’agenda ?

D.Y.B. : Encore une fois tout dépend de ce qu’on projette de faire militairement au Nord. Si effectivement la CEDEAO a l’ambition de conquérir ces 800 000 Km2 et d’occuper tout l’espace, naturellement toutes nos armées mises ensemble auraient du mal. Il faudrait alors trouver bien d’autres renforts pour pouvoir exécuter une telle mission. Mais si l’objectif est beaucoup plus précis, beaucoup plus limité dans le temps et dans l’espace, les forces de la CEDEAO pourront exécuter toute mission à elles confiée. En tout état de cause, l’apport d’autres pays africains peut certainement accroître l’efficacité opérationnelle d’une intervention militaire. Il faut donc se féliciter de la disponibilité du Tchad à y contribuer.

S. : On ne connaît pas très bien le discours et la position des pays comme la Mauritanie et l’Algérie dans cette crise malienne. Soutiennent-ils les rebelles, torpillent-ils la médiation ou vous accompagnent-ils dans votre action de médiation ?

D.Y.B. : Nous faisons en sorte que ces acteurs régionaux que sont l’Algérie et la Mauritanie soutiennent les efforts de la CEDEAO en matière de recherche d’une solution durable de paix au Mali. L’Algérie et la Mauritanie ont toujours été associées à tous les sommets des chefs d’Etat qui ont été convoqués sur la crise malienne. Nous-mêmes pour les besoins du processus politique, avons pris des contacts. Je suis personnellement allé à Alger au moins à deux reprises pour exposer aux autorités algériennes les objectifs et la démarche de la CEDEAO. La paix se construit à plusieurs. Comme on le dit chez nous ici « on ne ramasse pas la farine avec une seule main ». Ces pays frontaliers du Nord-Mali partagent comme nous les pays de la CEDEAO, les mêmes réalités géographiques, économiques et culturelles. Nous ne pouvons que nous compléter dans la recherche de solution d’une paix stable et durable.

S. : La crise sociopolitique de 2011 a véritablement ébranlé l’image du Burkina. Vous êtes chargé de la Coopération internationale, de ramener un peu au niveau international l’image du Burkina à la normale ; estimez-vous aujourd’hui que c’est une mission réussie ?

D.Y.B. : Il me semble que vous conduisez votre véhicule en regardant dans le rétroviseur ? Quand on conduit un véhicule, il faut regarder devant. Si vous regardez constamment dans le rétroviseur, vous risquez de rater le chemin. Je pense que l’image du Burkina qui a été écornée est maintenant rétablie. Ce n’est pas seulement par le fait de la diplomatie du Burkina mais c’est le fait aussi du comportement quotidien de tous les Burkinabè. Toutes les sociétés connaissent ce genre de turbulences à un moment ou à un autre de leur évolution. Ce qui est remarquable au Burkina Faso, c’est la capacité de la société elle-même de se prendre en charge et de s’assumer, même dans l’adversité. Pour cette crise, évidemment, on peut considérer que nous avons connu une accalmie, beaucoup d’enseignements ont été tirés. Les gouvernants aussi bien que les gouvernés en tiennent compte. Il s’agit à présent de consolider les acquis, de renforcer la cohésion nationale et l’harmonie sociale, de se mettre à l’écoute les uns des autres et de privilégier l’intérêt de la nation.

S. : Vous avez reçu votre homologue français Laurent Fabius rien que jeudi dernier. Est-ce à dire qu’entre Ouagadougou et Paris, il n’y a pas de nuage ?

D.Y.B. : Il n’ya jamais eu de nuage entre nous et la France. La visite du ministre Laurent Fabius ici vient prouver qu’il n’y avait pas de nuage, en tout cas, au plan des relations officielles entre le Burkina Faso et la France. Vous faites allusion certainement aux déclarations malheureuses de ce diplomate français (Ndlr : Laurent Bigot), mais comme je l’ai indiqué, il s’agit d’un acte isolé, un épiphénomène sur lequel nous ne devons pas nous attarder outre mesure. Nous avions besoin bien sûr de clarifications mais la bonne qualité de nos relations n’est pas mise en cause.

S. : Il a peut-être dit ce qu’officiellement en France on pense bas et qu’on ne le dit pas par pudeur diplomatique ?

D.Y.B. : La question n’est pas là. Chacun (Burkinabè ou étranger) peut se faire une analyse sur la situation de sécurité au Burkina Faso et de la sous-région. La France qui entretient avec le Burkina Faso des relations d’amitié et de confiance aurait trouvé, j’en suis sûr, les voies appropriées pour nous faire part de ses préoccupations éventuelles quant aux menaces qui peuvent nous guetter. Nous avons protesté contre une certaine manière de faire qui, en plus de ne pas être respectueuse des traditions diplomatiques, peut être source de danger. Aucun diplomate burkinabè ne parlera publiquement en ce genre de termes d’un autre pays. Quant aux questions de fond sur la stabilité, la sécurité, la gouvernance, et autres, nous respectons les libertés d’opinion et nous sommes ouverts aux critiques constructives. Vous pouvez le vérifier quotidiennement dans les médias.

S. : Vous venez de prendre officiellement votre disponibilité à la gendarmerie. Pourquoi maintenant ?

D.Y.B. : Parce que j’ai été désigné membre du bureau politique du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, le parti présidentiel, ndlr), donc je suis maintenant membre d’un parti politique et les textes disent qu’un militaire pour être membre d’un parti doit prendre sa disponibilité. C’est ce qui a été fait. C’est juste pour régulariser ma situation. Tant que j’étais ministre, j’étais en position de détaché. Mais maintenant que je suis membre d’un parti politique, je suis obligé d’abandonner ma carrière militaire, momentanément.

S. : Monsieur Bassolé va-t-il se présenter aux élections législatives à venir ?

D.Y.B. : (Rire). Si le parti décide, moi je suis aux ordres. Si le parti me sélectionne pour être conseiller municipal, maire, député pourquoi pas ?

S. : Pourquoi avoir attendu tout ce temps avant d’intégrer le bureau politique du CDP ? Est ce-que c’est sciemment fait en tenant compte de 2015 ?

D.Y.B. : (Rire). Quel 2015 ? (2015 correspondant à l’élection présidentielle au Burkina Faso, ndlr). Non. Il n’y a pas de moment défini. On intègre un parti politique, quand on estime le moment opportun, il n’y a pas de plan, d’agenda préconçu. Après avoir passé autant de temps au service de l’Etat à travers le gouvernement d’un parti politique, j’ai pensé qu’il était bon d’intégrer le parti surtout que je m’achemine vers la retraite. De toute façon, vous n’aurez plus besoin de moi dans la gendarmerie. Vous ne me voyez plus en train d’être commandant d’un groupement de gendarmerie à mon âge… (Rires). C’est peut-être mieux de servir politiquement mon pays.

S. : Monsieur le ministre, vous êtes conseiller politique national du CDP. Or, on dit que c’est un garage. Vous sentez-vous garé à ce niveau-là ?

D.Y.B. : Ah non ! Pas du tout, pour moi c’est un grand honneur d’être un conseiller politique national au sein du bureau politique. Je ne le sens pas du tout comme un garage, au contraire c’est une position qui me permet d’être encore plus utile au parti.

S. : On peut affirmer que vous êtes rompu aux médiations. On vous a vu en Côte d’Ivoire, au Soudan, en Mauritanie, au Togo. Parmi ces différentes médiations, laquelle a été la plus difficile ?

D.Y.B. : Toutes ont été difficiles, il n’y a pas de médiation simple par définition. Quand il y a médiation, c’est qu’il y a crise, il y a guerre et dans l’une ou l’autre de ces situations, il n’est jamais facile de ramener les protagonistes à la raison. Mais c’est sûr que la médiation du Darfour aura été pour moi la plus éprouvante, parce que j’y ai passé trois ans à essayer de ramener les parties d’abord à la table de négociation. Les mouvements armés étaient absolument divisés et puis malheureusement, le président Omar el-Béchir qui est le président de la République du Soudan, venait juste de faire l’objet de poursuites judiciaires par la Cour pénale internationale (CPI) au moment où je prenais mes fonctions de médiateur.

Le contexte était extrêmement difficile, sans compter que la région elle-même est une région assez agitée et la guerre avait ouvert des plaies assez traumatisantes pour les populations. Il y a eu près de 300.000 morts et plus de 2.500 000 personnes déplacées ou refugiées. Il fallait donc réparer tout cela en même temps qu’on cherchait à établir un accord global définitif de paix. C’est sûr que cette médiation a été très éprouvante, mais aussi très enrichissante pour nous. Dieu merci, les choses se sont améliorées, même si le mouvement armé le plus réfractaire a subi des revers. Kalil Ibrahim, le responsable du JEM (Justice and Equality Movement, le plus militarisé des mouvements rebelles du Darfour, ndlr) a été tué lors d’une opération militaire. Globalement, le plan de paix et le développement social et économique se déroulent bien et c’est une source de satisfaction pour la médiation.

S. : Il semble que dans cette médiation, vous avez eu beaucoup de peaux de banane qui ont été jetées sur votre chemin ; on a même indiqué que l’ancien président sud-africain Tabo Mbeki vous entravait le chemin. Comment vous en êtes-vous sorti, malgré toutes ces entraves ?

D.Y.B. : C’est d’abord avec le soutien du Président du Faso, celui des Soudanais et de la communauté internationale. Je dois avouer que j’ai été vraiment beaucoup soutenu par le Conseil de sécurité des Nations unies et les partenaires du Soudan. J’ai au départ voulu coordonner mon action avec celle du président Mbeki qui avait été désigné par l’Union africaine pour promouvoir la justice, la vérité et la réconciliation, après l’inculpation du président Béchir par la CPI. Mais nous n’avions pas tout à fait la même approche. Ce n’est pas que je ne voulais pas être chapeauté par le président Mbeki, mais c’est parce que fondamentalement nous n’avions pas la même vision du processus du dialogue politique au Darfour. Et en tant que responsable africain, désigné par les Nations unies et l’Union africaine comme médiateur conjoint, je n’avais pas non plus à aller me mettre sous la coupe de quelqu’un qui n’avait pas tout à fait la même manière de voir les choses, ni la même stratégie que moi. Parce qu’après tout, j’ai été responsabilisé et je tenais à assumer mes responsabilités jusqu’au bout de ma mission.

S. : Vous êtes juriste, est-ce que le mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale était opportun, au moment où on avait besoin de paix ?

D.Y.B. : Le problème n’est pas d’ordre juridique. Je ne doute pas de la compétence des magistrats de la CPI qui ont certainement eu de bonnes raisons de lancer des poursuites judiciaires. Le problème se pose quant à la compatibilité entre la poursuite judiciaire et la recherche de la paix. Il y a eu beaucoup de discussions passionnées. Il faut reconnaître que l’inculpation du président El Béchir a provoqué logiquement la réticence des mouvements armés du Darfour à s’engager sérieusement dans les pourparlers de paix, puisqu’ils ne voulaient pas lier leur sort à celui d’un président dont « la tête est mise à prix ». Nous avons perdu beaucoup de temps et d’énergie à faire accepter le principe même de négocier la paix. Finalement la volonté de faire la paix l’a emporté sur le reste chez les Soudanais. La question que vous posez quant à la corrélation entre paix et justice est donc essentielle.

S. : Est-il facile d’être médiateur ?

D.Y.B. : Pas du tout. Ce n’est pas une tâche aisée. Il faut être extrêmement patient, à l’écoute des parties, avaler des couleuvres par moments et ne jamais se décourager. Faire de la médiation est certainement très exaltant parce qu’on a le sentiment de se rendre utile aux autres, de rendre service, d’aider des peuples à pouvoir retrouver la joie de vivre ensemble en paix. Cette perspective est très exaltante mais les tâches au quotidien de la médiation sont vraiment très difficiles. Vous devez toujours garder la même humeur, ne jamais montrer que vous êtes dépassé ou excédé. Il faut toujours être modéré dans le propos. Cela nécessite de faire violence sur soi-même parce qu’il y a des moments de vives tensions. Pour l’intérêt du processus vous devez garder le même ton, écouter, respecter les parties et aussi être apte à trouver des formules de compromis. Les parties peuvent venir avec des propositions diamétralement opposées. La médiation doit être capable de trouver un compromis qui préserve les intérêts des deux camps. On n’y arrive pas toujours au premier essai. Il faut de la persévérance. Au total, la médiation est un exercice épuisant, mais qui procure beaucoup de satisfaction sur le plan des relations humaines et des relations entre pays lorsqu’elle réussie.

S. : Le Burkina Faso a-t-il pu faire un bilan de ses ressortissants victimes de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire comme l’ont fait certains pays de la sous-région ? Le gouvernement prévoit-il une aide pour les parents de ceux qui y ont perdu la vie ?

D.Y.B. : Il y a deux catégories de victimes. Vous avez des victimes collatérales, c’est-à-dire que ce sont des personnes qui sont tombées ou ont subi des préjudices du fait de la guerre sans avoir été pour autant ciblées. La deuxième catégorie, ce sont celles qui d’une manière ou d’une autre, ont pris une part active aux affrontements. Il y a des Burkinabè d’origine qui ont pu se retrouver dans l’un ou dans l’autre camp. Ces personnes se considèrent d’ailleurs comme des Ivoiriens. Les services consulaires ont toujours informé le ministère des Affaires étrangères des situations où des familles de Burkinabè ont fait l’objet d’exactions, de pillages et d’agressions mortelles. Le point de la situation a été constamment fait à ce niveau. Ces informations nous permettent de discuter avec les autorités ivoiriennes.

Le plus important c’est que cet état de fait nous a motivé à aller vers la recherche d’une paix durable en Côte d’Ivoire. Parce qu’avant d’en arriver aux questions de dédommagements, il faut faire en sorte que la sécurité règne pour tous. C’est une des raisons pour laquelle le Président du Faso s’est investi dans la recherche de solutions avec l’objectif d’aller vers la création d’un cadre de paix global et profitable à tous ceux qui vivent en Côte d’Ivoire. Ceci dit, l’état de la question des dommages subis est toujours à l’étude. Il y a des familles qui ont posé leurs problèmes, surtout celles qui ont perdu leur terre. Dans les discussions que nous avons en particulier dans le cadre du Traité d’amitié et de coopération, nous évoquons ces cas pour trouver des solutions.

S. : Le Burkina est régulièrement sollicité dans les médiations. Quel est le secret du Burkina dans les médiations ?

D.Y.B. : Il n’y a pas de secret en tant que telle. En fait, le Burkina Faso de part sa position bénéficie de la confiance des Etats et des parties belligérantes. C’est extrêmement important que le médiateur désigné bénéficie de la confiance des différentes parties. Deuxièmement, le Burkina Faso lui-même étant un exemple de paix et de stabilité, il inspire confiance et il peut faire des propositions dans les différents domaines politique, administratif, social et économique. C’est un atout important pour le Burkina Faso que les Burkinabè eux-mêmes quelquefois n’imaginent pas. Dans la position actuelle du Burkina par rapport aux situations de crise que les autres peuples connaissent, le Burkina a intérêt à aider pour « éteindre l’incendie de la case du voisin ». Le reste est l’aptitude du président du Faso à jouer avec les contingences du moment. Il faut être très attentif et avoir la possibilité d’adapter les propositions à l’évolution réelle de la situation. Il faut toujours être en contact avec les parties et avoir le maximum d’informations et de renseignements pour pouvoir anticiper éventuellement. C’est peut-être cela le secret !

S. : Vous qui avez été un gendarme, chargé souvent de réprimer, est-ce qu’il a été facile de vous retrouver dans la veste de médiateur ?

D.Y.B. : Pourquoi mettez-vous régulièrement en avant l’image du gendarme qui terrorise ? La vocation première du gendarme est de faire régner l’ordre et la cohésion sociale. C’est même dans ma formation de gendarme que je tire les ressources pour négocier la paix. Les gendarmes ont toujours été de grands modérateurs dans les sociétés dans lesquelles ils vivent. Il ne faut pas voir uniquement l’aspect répressif. Même si nous avons ce côté répressif, fondamentalement depuis l’origine, la gendarmerie est instituée pour veiller à la tranquillité publique et à la cohésion sociale (rire). Il n’y a pas d’incompatibilité entre la culture gendarmique et la médiation en tant que moyen de restaurer la paix et l’ordre social.

S. : Comment qualifierez-vous aujourd’hui la diplomatie burkinabè ?

D.Y.B. : Ce serait de l’autosatisfaction si je qualifiais la diplomatie burkinabè de performante. Vous apprécierez. Pour ma part, je dois dire que je suis honoré et fier de servir mon pays à ce niveau également. J’ai servi mon pays dans d’autres domaines, en particulier dans celui de la sécurité intérieure. Ici, j’ai la possibilité de servir l’Etat dans le domaine de la diplomatie et des relations internationales. Je donne le meilleur de moi-même pour mériter la confiance de mes chefs et des Burkinabè, en général.

S. : Le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) aurait tenté une opération de recensement biométrique dans la région de Déou et des réfugiés touaregs ont refusé que leurs femmes soient photographiées. Est-ce que la présence des réfugiés maliens ne constitue pas une véritable épine dans l’application des lois au Burkina ?

D.Y.B. : C’est peut-être propre à leur tradition. Je n’ai pas eu beaucoup d’informations sur la question. Je sais qu’il y a beaucoup de difficultés. Mais sauf ceux qui sont proches des extrémistes, les Touaregs en général ne sont pas des gens fermés. Je n’arrive pas à bien m’expliquer les raisons de cette réticence. Mes services m’en ont rendu compte. Nous essayons de prendre les dispositions pour régler le problème. Accueillir des réfugiés sur son sol suppose que l’on est prêt à faire face à ces genres de difficultés et à y trouver des solutions. Ce qui nous préoccupe actuellement au Burkina c’est que leur séjour ici se passe bien, que nous ayons la possibilité de les ramener chez eux en ayant créé les conditions propices de la paix.

S. : Quel est l’état de la sécurité au Nord du Burkina Faso, quand on sait que les réfugiés ont le droit d’aller et venir et qu’ils ont les visites de combattants. Les terroristes ne vont-ils pas profiter de cette liberté pour s’en prendre au Burkina ?

D.Y.B. : Oui ! Le risque est permanent. Il y a tellement de similitudes entre nos régions. La bande sahélo-saharienne est identique au Burkina, au Mali et au Niger. Les phénomènes qui se vivent au Mali peuvent très bien se propager dans notre zone sahélo-saharienne. Il faut très certainement prendre des mesures préventives. Les forces de sécurité et de défense du Burkina Faso ont pris la mesure du danger et ont mis un dispositif préventif en place pour éviter que les mêmes phénomènes ne s’installent dans notre pays.

S. : Le Burkina est-il réellement à l’abri d’une surprise comme ce qui se passe au Mali ?

D.Y.B. : Un pays ne doit jamais dire que ce qui arrive aux autres ne peut pas lui arriver. Par principe on ne dit jamais cela. Maintenant en termes de prévision et de prévention, il faut prendre les précautions nécessaires pour que cela n’arrive pas. Quel serait notre intérêt que des Burkinabè prennent des armes et proclamer que le Burkina est coupé en deux ? Quel serait notre intérêt que des groupes armés jihadistes prennent des armes pour instaurer la charia sur toute l’étendue du territoire national ? Si nous ne souhaitons pas que ces phénomènes nous arrivent, et je pense que les Burkinabè dans leur grande majorité ne souhaitent pas vivre de telles situations, alors nous devons tous ensemble créer les conditions pour renforcer nos institutions.

Je pense que nous avons des atouts basés sur la grande tolérance que les Burkinabè ont les uns pour les autres. Il n’y a jamais eu de conflit ethnique majeur ou de conflit religieux de cette nature au Burkina. Nous devons mettre ces atouts à profit pour nous mettre à l’abri. Ceci doit venir d’une prise de conscience de chaque Burkinabè. Ce n’est pas seulement le fait des dirigeants, parce que les dirigeants, les hommes au pouvoir passent, mais les nations restent. Ce qui touche à la survie, à la sécurité et à la stabilité du pays doit être sacré pour tous.

S. : Le Burkina Faso s’implique de plus en plus dans la libération d’otages. D’aucuns estiment que l’on expose le pays à des attentats terroristes et à des prises d’otages sur notre sol. Quel est votre point de vue ?

D.Y.B. : Il y a des gens qui pensent qu’il ne faut rien faire. Il ne faut pas faire de médiations pour résoudre les conflits, pas de facilitation pour libérer des otages. Pour eux, il faut rester tranquille chez soi, parce qu’on veut vivre en paix. Je ne suis pas de cet avis. Au nom de la solidarité sous-régionale et internationale, si le Burkina est sollicité pour aider à résoudre un problème, pour sauver la vie d’un otage, pourquoi nous ne nous impliquerions pas ? Cela ne nous expose pas outre mesure. Bien au contraire, il me semble que pour jouer les facilitateurs dans une libération d’otage, il faut bien bénéficier de la confiance des acteurs (victimes ou ravisseurs). Je ne vois pas où se trouve le risque. Ce n’est pas en restant chez soi, les bras croisés que nous allons mettre notre pays à l’abri de ces phénomènes. Bien sûr, nous n’entreprenons aucune action susceptible de mettre le Burkina en danger. Nous sommes généralement assez prudents dans nos approches. Nous faisons en sorte de ne pas heurter les susceptibilités d’un pays ou d’un groupe d’individus. Le Burkina est une terre d’accueil. Les dispositions sont toujours prises pour que les actions de médiation et de libération d’otages n’entraînent pas de conséquences négatives pour notre pays.

S. : Verse-t-on des rançons lors des libérations d’otages ?

D.Y.B. : Je n’en sais rien du tout. Mais, je garantis que par nous, il n’est passé aucune enveloppe. Il y a des moments où ce sont les parties qui sollicitent le Burkina. Prenez l’exemple de l’otage suisse qui a été libérée. Les négociations se sont déroulées entre les Suisses et les ravisseurs. Nous avons été sollicités par la suite pour servir de facilitateur et de point d’accueil. Ce sont des situations comme celle-ci qui entraînent notre implication, sinon le Burkina n’a jamais reçu ou versé des rançons.

S. : Vous avez dit qu’il n’est pas exclu que vous vous rendiez au Nord-Mali. Est-ce que ce n’est pas prendre trop de risques ?

D.Y.B. : On ne fait rien sans risque. Le risque zéro n’existe pas dans ces genres d’opération. Allez parler aux mouvements armés et leur délivrer le message du médiateur de la CEDEAO contient des risques comme toutes les autres missions de ce genre. Nous sommes conscient de tout cela. Pourtant, il faut essayer de faire la paix. Avant tout déplacement, nous évaluons tout de même le risque et s’il est trop important, naturellement nous procédons autrement. Il faut compter aussi avec l’aide de Dieu.

S. : Vous êtes tout le temps entre deux avions. Quel temps vous avez pour la famille et les loisirs ?

D.Y.B. : Heureusement que je n’ai plus d’enfants en bas âge. Cela m’arrange. (rires). On a toujours besoin de consacrer un peu de son temps à ses proches. Sinon, quel que soit le succès que vous engrangez ailleurs, si vos proches n’ont plus la possibilité de bénéficier de votre attention et de votre présence, il y a un déséquilibre. Il faut s’efforcer de trouver du temps pour eux. C’est une question de dosage. L’essentiel est d’accepter que notre vie n’est pas à l’extérieur et dans les avions. Elle est ici, surtout que la retraite approche (rires).

S. : Vous dites que la retraite est proche. Seriez-vous prêt malgré tout, à occuper d’autres tâches si le président du Faso venait à vous le demander ?

D.Y.B. : Naturellement ! Il n’y a aucun problème. Je suis par nature et par formation un homme de devoir et de service. Je suis prêt à exécuter toute tâche qui viendrait à m’être confiée par le président du Faso et les autorités de mon pays.

Interview réalisée par Romaric OLLO HIEN
Enock KINDO
Bachirou NANA
et Ozias TIEMTORE

Sidwaya

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