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Pour le compte de qui le rouleau compresseur Sud-Africain s’est-il mis en branle à la tête de l’Union africaine ? (1/3)

Publié le mercredi 25 juillet 2012 à 15h02min

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Le Sommet de l’Union africaine qui s’est déroulé à Addis Abeba le week-end dernier (samedi 14-dimanche 15 juillet 2012) restera dans l’histoire comme ayant été le « Sommet Dlamini ». Nkosazana Dlamini-Zuma est, effectivement, la première femme à prendre la tête d’une institution africaine et pas la moindre d’entre elle : la plus continentale, l’Union africaine ! Rien que pour cela, ce dimanche 15 juillet 2012 devrait être marqué d’une pierre blanche : elle a été élue, au quatrième tour, par 37 voix, soit trois voix de plus que la majorité requise !

Une performance à laquelle elle n’était pas parvenue au début de l’année 2012, amenant les chefs d’Etat à reconduire pour six mois le « sortant » : Jean Ping. C’est même un renversement de tendance puisque le 30 janvier 2012 c’est Ping qui avait caracolé en tête : 28 voix au premier tour contre 25 à Dlamini-Zuma, puis 27 contre 26 et 29 contre 24 ; mais au quatrième tour, après que la candidate Sud-Africaine se soit retirée de la course, Ping n’avait obtenu que 32 voix alors que la majorité des deux tiers est requise pour être élu. Cette fois, Dlamini-Zuma a été en tête lors des trois tours préliminaires.

La voilà donc installée à la présidence de la Commission de l’Union africaine prenant la suite de l’Ivoirien Amara Essy (2002-2003), du Malien Alpha Oumar Konaré (2003-2008) et du Gabonais Jean Ping (2008-2012). Et c’est bien plus le basculement de l’UA de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique australe qui retient l’attention des commentateurs que le fait qu’une femme soit à la tête d’une organisation panafricaine regroupant 54 Etats membres dirigés quasi exclusivement par des « bonshommes » ! C’est le président ougandais Yoweri Museveni qui a le mieux défini la signification de l’accession de Dlamini-Zuma à la tête de l’UA : « C’est une combattante de la liberté, pas une bureaucrate, ni une diplomate ». On ne peut que se réjouir de voir une « militante » politique accéder à une responsabilité continentale. C’est l’expression de l’évolution d’une région qui, d’Addis Abeba à Luanda, a durement conquis son indépendance.

Historiquement, l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe ont été bien plus engagées que l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest dans la lutte contre la colonisation et l’impérialisme. La colonisation anglaise a été fondée sur l’appropriation des terres en Ouganda, au Kenya, dans la Fédération de la Rhodésie et du Nyassaland (actuellement : Zambie, Zimbabwe et Malawi). Le Tanganyika (actuelle Tanzanie), possession allemande jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale, a eu une évolution différente.

Quant à la colonisation portugaise, au Mozambique et en Angola, elle a perduré jusqu’au mitan de la décennie 1970. La République rhodésienne (ex-Rhodésie du Sud à la suite de la dissolution de la Fédération de la Rhodésie et du Nyassaland) n’est devenue le Zimbabwe qu’au début de la décennie 1980 lorsque les nationalistes noirs, après des années de guérilla, ont pris la suite de la minorité blanche dirigée par Ian Smith. Le Sud-Ouest Africain a été un territoire allemand jusqu’en 1914-1915 ; il est alors conquis par l’Union Sud-Africaine qui recevra un mandat de la Société des Nations (SDN) pour sa « gestion ». Malgré les Nations unies qui, en 1968, érigent le territoire en Namibie, l’Afrique du Sud, qui a pris la suite de l’Union Sud-Africaine, continuera à y exercer sa souveraineté malgré la guérilla de la SWAPO. Ce n’est qu’en 1990 que la Namibie deviendra indépendante.

C’est dire que l’évolution de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe a été formatée par son histoire contemporaine qui est, essentiellement, une lutte de la majorité noire contre les minorités blanches, qu’elles soient anglaises, portugaises, rhodésiennes ou sud-africaines. L’oublier, c’est ne pas comprendre ce qui se passe aujourd’hui au Sud de l’axe Luanda-Kampala. L’Afrique militante, anti-colonialiste, anti-impérialiste, est devenue souverainiste dans la lutte. Et dans cette lutte, les femmes africaines se sont forgé une identité forte. J’étais à Dar es Salaam quand la capitale de la Tanzanie était aussi celle des mouvements de libération : Frelimo, SWAPO, ANC… L’organe officiel de l’African National Congress (ANC) s’appelait alors Sechaba.

Dans le numéro de juin 1970 (vol. 4/n° 6), un dossier avait été publié sur la libération des femmes. Le titre (« The true prolerariat of Africa are the women ») en avait été emprunté à René Dumont, auteur de L’Afrique noire est mal partie (éditeur Le Seuil – Paris, 1962). Il avait fait cette déclaration alors qu’il séjournait en Tanzanie (qui était, pour un agronome, une formidable source de réflexion). L’auteur du papier publié par Sechaba (qui signait tout simple « Eve ») écrivait alors : « Women’s liberation, it seems to me now, is a vital and central part of the South Africa struggle […] In South Africa, black women can work as domestic servants, farm labourers or factory workers, where they form the cheapest of a very cheap labour market ».

Nous étions alors en juin 1970. J’étais à Dar es Salaam et j’avais sensiblement l’âge de Nkosazana Dlamini. Sauf que j’étais né à Belleville, quartier ouvrier de Paris, et elle (le 27 janvier 1949) dans la province du Natal, en Afrique du Sud. Aînée d’une fratrie de huit enfants, elle avait été au collège à Amanzimtoti, jolie plage (réputée aujourd’hui comme station balnéaire et « spot » de surf) sur la côte de l’océan Indien, à un jet de pierre au Sud de Durban, premier port d’Afrique du Sud. En 1971, elle étudiera la botanique et la zoologie à l’université du Zoulouland, dont on disait qu’elle était « historiquement défavorisée ». Diplômée en sciences, elle rejoindra alors l’université de Natal, créée en 1949 (l’année de la naissance de Nkosazana Dlamini), considérée comme un « bastion de l’opposition libérale au gouvernement d’apartheid et une des premières universités à s’ouvrir aux noirs ».

C’est en 1950, un an après la naissance de Nkosazana Dlamini, que les trois lois fondamentales de l’apartheid avaient été votées : Population Registration Act ; Group Areas Act ; Suppression of Communism Act. Les structures définitives de l’apartheid seront mises en place au cours de cette décennie 1950. Dix ans plus tard, en 1960, à la suite du massacre de Sharpeville, l’ANC (fondée en 1912) et le PAC (Pan Africanist Congress), tout nouvellement créé (1959), seront interdits. L’Afrique du Sud se retirera du Commonwealth en 1961. Nelson Mandela est arrêté le 30 mars 1962 puis condamné à la détention à perpétuité. Le premier ministre Hendrik Verwoerd est assassiné en 1966 et remplacé par John Vorster. En 1976, éclatent les émeutes de Soweto tandis que les ghettos entrent en rébellion. L’année suivante, en 1977, Steve Biko, fondateur de la SASO, l’Association des étudiants sud-africains, est assassiné. Vorster démissionnera et sera remplacé par Pieter Botha.

Nkosazana Dlamini milite déjà au sein de l’ANC. En 1976, elle sera vice-présidente de la SASO. Elle se retrouve dans l’œil du cyclone. Elle s’exile en Grande-Bretagne et va entreprendre de poursuivre ses études de médecine à l’université de Bristol, sur la côte Ouest de l’Angleterre. Cette université a été créée au XIXème siècle par la famille Fry qui, après avoir été esclavagiste et avoir fait fortune dans les plantations de tabac dans les colonies anglaises est devenue abolitionniste. En 1978, docteur en médecine, Nkosazana Dlamini reviendra en Afrique du Sud.

Mais c’est à Mbabane, capitale du Zwaziland, qu’elle va exercer en milieu hospitalier. C’est à Mbabane aussi qu’elle fera la connaissance de Jacob Zuma dont elle sera, officiellement, par la suite, la deuxième épouse (et la mère de quatre de ses enfants) avant de divorcer après seulement quelques années de mariage. Zuma, qui a passé dix ans en prison (1963-1973) à Robben Island, s’installera au Swaziland et au Mozambique (devenu indépendant, frontalier du Swaziland). Alors membre du comité national exécutif de l’ANC, vice-président de la représentation de l’ANC au Mozambique, Zuma est, comme Dlamini, originaire de la province du Natal.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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