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ANGELLINE RUDAKUBANA, DIRECTRICE REPRÉSENTANTE DU PAM : « La situation de crise est vraiment préoccupante »

Publié le mercredi 25 juillet 2012 à 00h01min

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Arrivée au pays des « Hommes intègres » il y a environ un an, Angelline Rudakubana, directrice-représentante du Programme alimentaire mondial (PAM) vit sa première crise alimentaire au pays des « Hommes intègres ». Dans cette interview, l’humanitaire donne sa lecture de la situation tout en proposant des solutions pour que le pays sorte de cette spirale.

Sidwaya (S.) : Quelle lecture faites-vous de la situation de crise alimentaire que traverse le Burkina Faso, cette année ?

Angelline Rudakubana (A. R) : La crise alimentaire actuelle au Burkina Faso est à deux niveaux. D’abord, il y a une crise alimentaire à cause des mauvaises récoltes de l’année passée occasionnées par la faiblesse de la pluviométrie. Ensuite, il y a l’afflux des réfugiés maliens, surtout dans la région du Sahel, l’une des plus affectées par le déficit céréalier qui est venu aggraver cette situation. C’est pourquoi, je dis que la crise a deux dimensions.

S. : Est-ce à dire que la crise est aussi dramatique ?

A.R : On ne parlera pas de famine au Burkina, mais si le gouvernement a lancé un appel humanitaire national et international, c’est parce que le problème est assez sérieux. La moitié de la population est affectée par la baisse de la production céréalière. Beaucoup de familles vulnérables n’ont rien récolté, sont totalement démunies et ont recours à des stratégies d’adaptation de survie comme la vente de bétail et de volaille, la diminution de la quantité et de la qualité des repas, etc. Cela montre que la situation de crise est vraiment préoccupante. Surtout avec la période de soudure qui a commencé plus tôt cette année dans les zones à risque, beaucoup de personnes sont dans une situation de précarité alimentaire et nutritionnelle.

S. : Quelles sont les zones qui sont le plus affectées ?

A.R ? : Sur les treize régions du pays, dix sont affectées. Il s’agit de celles de l’Est, du Nord, du Sahel, du Plateau central, du Centre, du Centre-Sud, de la Boucle du Mouhoun, du Centre-Ouest, du Centre-Est et du Centre-Nord. Précisément, 186 communes sont à risque d’insécurité alimentaire. Plus de 2 ?800 ?000 personnes sont touchées. Les régions du Sahel, du Nord, de l’Est, du Plateau central et de la Boucle du Mouhoun sont les localités où il y a plus de ménages affectés.

S. : Comment le PAM compte-t-il faire pour venir en aide au Burkina Faso ?

A.R ? : Le gouvernement a élaboré un plan de réponse à la crise pour une période de 12 mois. Nous allons intervenir pour soutenir ce plan de réponse en tenant compte de la stratégie définie à cet effet. Je pense également que tous les autres acteurs humanitaires interviennent en fonction de ce schéma. Conformément à la mission du PAM qui est d’apporter une assistance alimentaire aux populations vulnérables en proie à des crises alimentaires, il s’agit de voir comment apporter immédiatement une assistance alimentaire et nutritionnelle aux ménages vulnérables. A notre niveau, en plus des activités courantes de notre programme de pays pour la période 2011-2015, nous mettons en œuvre une série d’activités dans le domaine de la sécurité alimentaire visant à promouvoir des activités de « vivres contre travail ? » au profit des populations rurales pour la réhabilitation de pistes rurales, la création de petites retenues d’eau, de diguettes anti- érosives, de cordons pierreux, etc.

Nous soutenons aussi les travaux d’aménagement de bas-fonds pour les cultures de contre saison. Il y a eu par exemple, beaucoup de distributions de « cash et vivres contre travail » dans les régions du Nord, de la Boucle du Mouhoun et de l’Est. Nous apportons une assistance aux enfants de 6 à 23 mois pour prévenir et lutter contre la malnutrition. Nous assurons également des distributions inconditionnelles de vivres aux populations durant la période de soudure. Enfin, nous fournissons une assistance nutritionnelle aux enfants de 6 à 59 mois et aux femmes enceintes et allaitantes malnutries. La mise en œuvre de toutes ces activités a débuté en avril dans les régions du Nord, du Sahel, de l’Est, du Centre-Ouest, du Centre-Est, du Centre Nord et de la Boucle du Mouhoun.

S. : Les populations adhèrent-elles à vos actions ?

A.R : Je puis vous assurer qu’il y a une adhésion totale des populations à nos programmes et activités. Depuis mars-avril 2012, beaucoup de ménages sont dans les champs pour les travaux. En plus de leur donner des vivres en contrepartie des travaux exécutés contribuant ainsi à la sécurité alimentaire, nous avons mis en œuvre une opération de transfert monétaire qui permet de donner du cash (espèces) aux participants aux travaux pour qu’ils achètent ce qui leur manque.

S. : Cette crise a été aggravée par l’arrivée massive de réfugiés maliens. Votre machine d’intervention n’a-t-elle pas pris un plomb dans l’aile ?

A.R : En effet, la situation est devenue plus complexe avec le conflit en cours au Mali et qui a obligé des milliers de personnes à trouver refuge dans notre pays (ndlr ? : région du Sahel) déjà éprouvé par la crise alimentaire et nutritionnelle. Mais, les deux situations sont liées. Ainsi donc, dans nos interventions, nous apportons l’assistance à toutes les deux populations, parce que leurs conditions sont presque identiques.

S. : Vous dites que l’arrivée des réfugiés a rendu le problème plus «  ?corsé ». Est-ce à dire que vos actions en faveur des populations ont diminué de volume ?

A.R ? : Au début, c’était vraiment difficile parce que la situation nous a surpris. Mais immédiatement, nous avons lancé des appels de fonds au niveau national, régional et international. Des bailleurs de fonds ont commencé à soutenir les deux catégories de population. Entre les deux communautés, il n’y a pas de priorité pour nous. Elles sont toutes considérées sur le même pied d’égalité. L’objectif étant de sauver des vies, de prévenir et de lutter contre la malnutrition des enfants de moins de 5 ans, et des femmes enceintes et allaitantes.

S. : Selon certaines informations, il y a des réfugiés qui revendent les vivres qu’ils reçoivent. Est-ce que vos structures sur place vous ont fait des révélations dans ce sens ?

A.R : Non ! Nous n’avons pas encore reçu une telle information. Mais, il peut arriver que quelques bénéficiaires vendent de petites quantités de vivres pour satisfaire d’autres besoins alimentaires, etc., dans la mesure où tous les besoins de base ne sont pas satisfaits et que les ressources disponibles ne nous permettent pas de leur en donner. En tous les cas, même si les réfugiés ne sont pas habitués à consommer la farine de maïs que nous servions au début, le PAM ne saurait tolérer des cas de vente de vivres par les bénéficiaires. Maintenant, nous leur distribuons du riz, du haricot, de l’huile, du sel, et je ne pense pas qu’ils les vendent.

S. : Voulez-vous dire que vous prenez en compte désormais leurs habitudes alimentaires ?

A.R : Nous essayons de faire de notre mieux pour leur apporter des vivres qu’ils peuvent consommer.

S. : Lors de son séjour au Burkina, la secrétaire adjointe des Nations unies chargée des questions humanitaires, Mme Valérie Amos, a lancé un appel humanitaire en faveur des populations victimes de la crise alimentaire et des réfugiés. Est-ce que son cri du cœur a été entendu ?

A.R : Le message de plaidoyer que Mme Valérie Amos a lancé à cette occasion nous a aidé énormément. Les bailleurs de fonds ont commencé à agir. Cet appel a été fait à l’issue d’une visite qu’elle a effectuée sur le terrain pour constater les difficultés réelles auxquelles les populations sont confrontées.

S. : De façon concrète, pouvez-vous donner la nature et la quantité des dons que le PAM a reçus, après cet appel ?

A.R : C’est délicat de citer tous les pays qui ont déjà réagi, au risque d’en oublier . Mais, je dirais qu’au niveau du bureau de Mme Amos, deux millions de dollars US ont été octroyés au secteur de la santé qui était vraiment négligé. Je crois que les donateurs réagiront davantage.

S. : Mme Amos a indiqué que le PAM avait déjà en caisse 24 millions de dollars. Est-ce que vous le confirmez ? Et comment se fait la gestion des fonds reçus ?

A.R ? : Oui ? ! Je confirme que cela est exact. Nous utilisons ces fonds pour acheter des vivres et des aliments pour la nutrition des enfants. Ces contributions nous ont permis d’acheter des vivres au Burkina. Nous avons lancé également des commandes d’aliments fortifiés pour les enfants et ces commandes arriveront bientôt.

S. : Est-ce le PAM qui est chargé de gérer ces fonds ou y a-t-il d’autres structures qui interviennent ?

A.R : Les donations sont destinées aux besoins des populations, au niveau national.?Lorsque nous les recevons, nous informons le gouvernement avec lequel nous collaborons étroitement. Les types et niveaux de nos interventions sont portés à la connaissance des autorités burkinabè d’autant plus que le PAM est là pour soutenir les efforts du gouvernement. C’est très important qu’il y ait une bonne communication entre nous, sinon nous ne pourrons pas répondre à toutes les sollicitations sur le terrain.

S. : Quelles sont les difficultés que vos structures rencontrent sur le terrain ?

A.R : Les difficultés sont liées au transport et à la distribution des vivres. Pour cela, nous avons signé des accords avec une multitude d’ONG locales, comme par exemple la Croix- Rouge burkinabè qui est très efficace sur le terrain.
Ce sont les éléments de la Croix-Rouge qui font toutes les distributions de vivres fournis par le PAM dans les camps de réfugiés, ainsi que dans le domaine de la nutrition au sein des communautés.

S. : Ces problèmes sont-ils les seuls que vous rencontrez sur le terrain ?

A.R : Bien sûr qu’il y a d’autres difficultés. Nous avions au départ un problème de coordination entre les organismes humanitaires. Nous ne savions pas qui intervient quand, où et comment ? Mais, le gouvernement a tellement insisté sur le sujet qu’actuellement, nous essayons de coordonner nos activités, d’une manière plus coordonnée.

S. : La période de soudure est proche. Comment comptez-vous l’affronter ?

A.R : Nous avons érigé des tentes de stockage pour entreposer les vivres non loin des camps de réfugiés et dans les localités où il est difficile d’accéder en saison pluvieuse. Nous avons aussi acheté des camions pour le transport des vivres.
Il y a quarante personnes qui supervisent toutes les actions du PAM sur le terrain.

S. : Dans certains pays de famine, le PAM utilise ce qu’on appelle les bons alimentaires. Avez-vous déjà fait usage de ce programme au Burkina Faso ?

A.R : Le bon alimentaire est un outil vraiment efficace. C’est-à-dire que lorsqu’un ménage est ciblé, il reçoit un bon qui lui permet de recevoir des vivres. Avec ce bon, il est libre de faire son choix dans une gamme de produits alimentaires sélectionnés. Ce programme a été déjà utilisé par le PAM au Burkina Faso en 2009 pour répondre à la hausse des prix des denrées alimentaires, et avait connu un grand succès.?
Dans le cadre de la présente crise alimentaire, nous mettons en œuvre une opération de transfert monétaire depuis avril et ce jusqu’en juillet 2012 dans les régions du Nord, du Sahel et de l’Est.
Les populations qui participent aux activités de «  ?vivres contre travail ? » perçoivent des prestations journalières à raison de 1200FCFA par jour et à raison de 15 jours de travail par mois pendant trois ?mois, en contrepartie des travaux exécutés. Nous avons remarqué que les bénéficiaires apprécient, bien cette méthode, parce qu’avec l’argent qu’ils reçoivent, ils arrivent à s’acheter des médicaments, envoyer leurs enfants à l’école, etc.

S. : Ce programme vous permet-il d’atteindre vos objectifs ?

A.R : Nous ne pouvons pas dire que nous atteignons nos objectifs à 100 %. Notre but est d’accompagner les communautés vulnérables qui vivent dans des conditions difficiles. Cela est très important pour nous.

S. : Avec un tel programme, le risque de voir des personnes utilisées l’argent reçu à d’autres fins que celles voulues par le PAM, n’est-il pas élevé ?

A.R : Un mois après chaque intervention nous suivons les bénéficiaires dans leur famille pour voir si leurs conditions de vie ont changé. Nous posons des questions et menons des enquêtes pour savoir s’ils ont utilisé l’argent perçu à bon escient. Pour éviter qu’il y ait un détournement des fonds, nous faisons de notre mieux pour les remettre aux femmes.

S. : Pourquoi spécifiquement aux femmes ?

A.R : (Rires). Nous avons constaté que les femmes gèrent bien les fonds. Lorsque nous leur remettons l’argent, nous sommes convaincus à presque 100% que l’argent sera utilisé pour les besoins des familles.
Le risque de voir les hommes détourner les fonds est réel et ce n’est pas au Burkina Faso seulement.

S. : Croyez-vous que le Burkina Faso a la possibilité de quitter ce cycle infernal de crise alimentaire qu’il traverse régulièrement ?

A.R : Il semble que la dernière fois qu’il y a eu un problème d’une telle magnitude au Burkina remonte à 10 ans. Je pense que le Burkina a beaucoup de potentialités. Les ministères en charge de l’agriculture et de l’environnement font beaucoup d’efforts en mobilisant des partenaires pour investir dans le pays avec des stratégies à moyen et long terme. Mais, le vrai problème auquel le pays est confronté est la rareté des pluies.

S. : Il y a tout de même des pays qui ont moins de pluies que le nôtre, mais ne sont pas confrontés à des crises alimentaires. Est-ce que la rareté des pluies peut vraiment expliquer ce problème récurrent auquel fait face le Burkina Faso presque chaque année ?

A.R : Effectivement, le problème lié au manque d’eau n’est pas une raison valable. Ce problème est lié en grande partie à l’incapacité des petits producteurs à produire suffisamment. Si le Burkina veut sortir de ces crises, il lui faut apporter plus de soutien aux petits producteurs qui constituent plus de 80% de la population. Ce sont des personnes qu’il faut écouter davantage et prendre en compte leurs propositions et besoins.
Il faut augmenter l’investissement destiné à ces producteurs. Sans cela, ce sera très difficile de s’en sortir.

S. : L’agrobusiness sur lequel le gouvernement met aussi l’accent n’est pas la solution ?alors ?

A.R : L’agrobusiness est très important. Mais, la situation des petits producteurs au Burkina comme partout en Afrique, est très inquiétante. Il faut maximiser dans ce domaine, en augmentant la capacité d’investissement chez les petits producteurs en milieu rural et leur offrir des opportunités de vendre plus. Du reste, il y a aujourd’hui assez de techniques pour augmenter la quantité et la qualité des semences et des outils de production. Après des investissements, il faut aussi suivre sur le terrain pour voir si les producteurs appliquent les conseils reçus et les encourager continuellement.

Interview réalisée par Steven Ozias KIEMTORE (kizozias@yahoo.fr )

Sidwaya

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