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Cheick Saïdou Bangré, guide spirituel musulman : « Les mauvaises conceptions du djihad et de la charia ne rendent pas service à l’islam »

Publié le lundi 23 juillet 2012 à 00h25min

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Cheick Saïdou Bangré est un guide spirituel qui appartient au courant de l’école de la Tidianiya. Il a été révélé au grand public pour avoir été le président de la « Coordination des résidents de la zone du projet ZACA ». Nous l’avons rencontré dans sa nouvelle résidence au secteur 16 (Belleville) pour en savoir plus sur le sens du jeûne du Ramadan, l’éclairage de certains concepts du coran tels le Djihad et la charia. Mais aussi son opinion sur les insurrections islamiques au Nigéria et au Mali. Cheick Seïdou Bangré l’aura de prêcheur coranique qu’on lui reconnaît, nous a parlé à cœur ouvert.

Hebdomadaire du Burkina : Cheick Saïdou Bangré, vous êtes un guide spirituel et un leader d’opinion de l’islam au Burkina, les fidèles musulmans à travers le monde observent présentement le jeûne du Ramadan. Quel est le sens du jeûne en Islam ? ? Comment réussir son jeûne ? Qui doit jeûner ?

Cheick Saïdou Bangré : Avant tout propos, je tiens à souligner que je suis Cheick mais je demeure toujours un élève. Car, je suis toujours à l’écoute des enseignements de mes maîtres. Certes, je me réfère au Coran pour répondre à vos questions, mais s’il arrive que certaines idées m’échappent que les Cheick qui m’enseignent m’interpellent car la connaissance est élastique et seul Dieu est détenteur de la connaissance absolue.

Je peux dire de prime à bord que le mois de jeûne est une façon de remémorer la retraite du prophète Mohamet (Paix et salut sur lui) et est perçu comme une bénédiction de Dieu. Tout musulman espère bénéficier de cette bénédiction.

Surtout il faut noter que le jeûne est l’un des cinq (5) piliers de l’islam, avec la profession de Dieu unique, la prière cinq fois par jour, l’aumône et le pèlerinage. Il est obligatoire pour tout musulman, homme ou femme dès la puberté.

Le jeûne musulman a une double portée. C’est d’abord un acte social. La communauté prend conscience d’elle-même, de son unité. Le sens de la communauté est renforcé par le fait que tout un peuple vit au même rythme. Le repas de rupture du jeûne le soir, est une sorte de sacramentel de fraternité.

Il a aussi une portée ascétique. Le mois de jeûne est un mois consacré à Dieu, pendant lequel le croyant insiste sur la purification. C’est un mois d’activités ralenties et de recueillement. Le prophète dit que le jeûne est un bouclier. Il protège la personne du péché et des passions. C’est un moyen de délivrance de l’esprit humain des griffes du désir.

Le mois de jeûne est aussi un moment de prédilection pour rappeler aux riches la compassion généreuse qu’ils doivent exprimer aux pauvres. A la question de savoir qui doit jeûner, je disais que par principe tout homme ou femme ayant l’âge de la puberté est concerné. Mais il y a des exceptions car dans le Coran, il est aussi mentionné que les malades et les vieillards en sont dispensés, comme les femmes enceintes, celles qui allaitent ou celles qui ont leurs règles et les voyageurs.

Néanmoins, ces personnes devront rattraper leur exonération du jeûne au cours de l’année ou en faisant des offrandes aux personnes indigentes. Tout musulman tient à suivre la tradition du prophète de l’islam, modèle de piété pour tout être humain. Le jeûne conduit donc à la piété. C’est une pratique commandée par le Coran (2,183-187), pour se disposer à accueillir la parole de Dieu.

C’est le mois de l’occasion de plus grande ferveur ? : dans les oratoires et les mosquées, la prière se prolonge tard dans la nuit, des enseignements sont donnés aux fidèles. De ce point de vue, le jeûne en islam est un temps de « conversion » et de retour à la prière. Le jeûne est observé chaque jour à partir de l’aube et cesse lorsque le soleil disparaît de l’horizon.

Vous dites que c’est la période des enseignements aux fidèles. Qu’est-ce que vous prêchez dans votre mosquée à leur attention ?

Oui ? ! C’est une période où on doit mettre l’accent dans l’enseignement coranique des fidèles. Tous les maîtres détenteurs de connaissance en la matière ne dérogent pas à cette règle. Il est recommandé que le Coran soit expliqué dans les différentes langues (mooré, dioula, fulfudé, bissa, etc.) accessibles aux fidèles.

C’est une mise à niveau de l’éducation islamique des musulmans. Chaque fidèle doit se départir de la paresse et être assidu aux veillées de prière. L’objectif poursuivi dans cet enseignement est d’occuper l’esprit des fidèles par des pensées positives.

Cheick Bangré à l’écoute de l’actualité en Afrique et ailleurs dans le monde, on apprend qu’au nom (paraît-il) de l’islam certains font recours au djihad et à la charia pour terroriser les populations. Quel éclairage pouvez-vous nous apporter sur ces deux concepts ? ?

Les tenants et les aboutissants des mauvaises conceptions du djihad et de la charia ne rendent pas service à l’islam. Ils effrayent non seulement les musulmans, mais ils découragent d’autres personnes à se convertir pour agrandir la famille de l’islam.

Ils usent de façon erronée le djihad et la charia pour masquer des mauvaises intentions. Parce que l’islam par essence est une religion pacifique de construction et d’union. Ce que je sais du djihad est que c’est un mot arabe qui signifie « exercer une force » ou « tâche ».

Dans le Coran, on trouve l’expression « Al-Gihad bi anfusikun » (lutter avec votre âme) ou encore l’expression « Al-gihad fi sabil Allah » (faites un effort dans le chemin d’Allah). Le concept du djihad a constamment évolué ce qui empêche toute définition figée au profit de la recherche d’interprétations successives, souvent concurrentes, parmi les sphères intellectuelles musulmanes.

On distingue en islam quatre (4) types de djihad : par le cœur, par la langue, par la main et par l’épée. Le djihad par le cœur invite les musulmans à combattre afin de s’améliorer ou d’améliorer la société.

De ce fait, de nombreux savants musulmans interprètent le djihad comme une lutte dans le sens spirituel. Le plus connu des sens du djihad est le djihad par l’épée.

Il a servi d’argument à différents groupes musulmans à travers l’histoire pour légitimer leurs guerres contre des musulmans ou contre d’autres peuples.

Le djihad armé est mal compris car il s’exerce exclusivement quand un territoire musulman est envahi ou quand les musulmans se trouvent face à une légitime défense. Outre ces cas extrêmes, retenons tous que : s’instruire est un djihad, prôner le bon comportement est un djihad, être patient face aux épreuves de la vie est un djihad, etc.

Quant à la charia, elle est perçue comme étant la loi islamique qui indique la voie recommandée à suivre et la voie interdite. Par exemple, lorsque quelqu’un commet un crime intentionnel il peut être châtié à la hauteur de son forfait.

Quand des mariés commettent l’adultère, ils méritent la lapidation, comme quand un (e) célibataire commet l’adultère, il ou elle mérite cent coups de fouet. La charia recommande la droiture aux hommes, la pureté dans le cœur, bref un comportement exemplaire.

L’islam selon vous est une religion tolérante et pacifique. De là que pensez-vous de ceux qui veulent imposer le djihad et la charia dans les pays laïcs comme le Nigéria, le Mali… ?

Toute personne de bonne conscience et douée de logique conviendrait avec moi que l’islam n’est pas à l’origine des croyances et des religions en Afrique. C’est une religion importée.

Nous avons été convertis en islam par des gens venus d’ailleurs. Ils sont venus trouver des hommes et des croyances préétablies. C’est grâce à la tolérance qu’ils ont réussi progressivement à convertir les Africains à l’islam.

La laïcité est l’acceptation de son prochain dans la différence de religion, cela répond à l’esprit de l’équilibre et de l’harmonie dans la vie sociale. Donc de mon point de vue, ce qui se passe actuellement au Nigéria et au Mali fait fi des recommandations de l’islam. C’est simplement de la haine aveugle, de la cruauté vive pour engendrer des veuves et des orphelins. Avec pour finalité ternir l’image de l’islam.

Dans ces deux pays, les dignes fils de l’islam ne se sont pas engagés dans cette bataille. Ceux qui s’y engagent ne luttent pas pour encourager les gens à la prière ni pour consolider le tissu social. Ils luttent pour leur propre gain et poursuivent des desseins inavoués. Nous prions pour les victimes afin qu’elles aient la grâce de Dieu. Quant à leurs bourreaux, ils répondront de leurs actes au jour du jugement.

Le Nord-Mali est présentement occupé par des islamistes qui détruisent les monuments, les mosquées historiques, les mausolées des saints, etc. Votre commentaire sur ces exactions ?

L’Afrique avait ses valeurs et son histoire avant la pénétration de l’islam. Le Nord-Mali compte des villes comme Tombouctou, Gao… qui ont une légende glorieuse. Selon moi la destruction des monuments, des mosquées historiques ne visent rien d’autre que de faire perdre les traces de l’histoire de ces villes.

La destruction des mosquées historiques est à tout point de vue insensé, car les islamistes savent que c’est dans ces mosquées qui sont des centenaires que leurs parents et arrières grand-parents ont fréquenté et on appris les enseignements du Coran. C’est dans ces anciennes mosquées qu’on a célébré les unions et les baptêmes de leurs grand-parents…

S’ils avaient longuement réfléchi, ils allaient avoir de la retenue. En ce qui concerne la destruction des mausolées, je peux dire que dans la charia, il est dit à travers le prophète Mahomet (Paix et salut sur lui) qu’une tombe ne doit pas être construite en hauteur.

A cet effet, le prophète avait ordonné à ses disciples Seni et Ali de parcourir le territoire où l’islam est implanté et de remettre les tombeaux à un niveau à quelque centimètre du sol.

Je pense que même si cela est inscrit dans la charia les guerriers du Nord-Mali ne devraient pas détruire les mausolées à coup de colère et de dénigrement. Les choses pouvaient se passer dans un esprit de civilité.

Le Burkina Faso partage 1000 km de frontière avec le Mali. Ne doit-on pas craindre une éventuelle contagion ?

La peur est grande ! Mais nous pouvons nous-mêmes neutraliser cette peur par la précaution. Selon l’information qui nous ait parvenue, ces rebelles ont été accueillis avec leurs armes au Mali en provenance de la Libye.

C’est cette hospitalité malienne qui a provoqué cette guerre. Aujourd’hui, nous les avons ouvert la porte de notre hospitalité en les hébergeant. Donc je suggère plus de prudence à nos autorités et surtout qu’on redouble de vigilance dans la surveillance de nos frontières.

Que toutes les confessions religieuses et coutumières main dans la main et à l’union exhortent Dieu qu’il nous éloigne de ce spectre. Parce que cette guerre a surpris les autorités de Bamako. Les Touaregs ont toujours eu des revendications au Mali et au Niger.

Maintenant qu’ils sont sur notre territoire, nous ne devrons pas baisser la garde de la vigilance.C’est tout à fait humain que toute personne qui fuit la guerre pour sauver sa vie trouve une terre d’accueil. Sur ce plan, nos autorités ont témoigné une hospitalité légendaire.

Après le Togo, la Côte d’Ivoire, la Guinée (Conakry). Une fois encore le président Blaise Compaoré a été sollicité par ses pairs de la CEDEAO comme médiateur pour le retour de la paix au Mali. Ne pensez-vous pas que la tâche serait difficile cette fois-ci vu qu’il y a des ramifications religieuses dans cette crise malienne ?

Tout croyant pense de prime à bord que tout vient de la volonté divine. Partant de ce principe, je dirais que le président Blaise Compaoré a été d’abord désigné par Dieu comme médiateur pour le Mali avant que ses pairs de la CEDEAO n’emboîtent le pas.

Dans la logique de la foi divine, lorsque Dieu vous choisit comme son berger pour conduire son troupeau dans le désert, vous n’allez jamais vous égarer et vous arrivez à bon port sans qu’aucune bête ne périsse de faim ni de soif.

Cela pour vous dire que si la volonté de Dieu a accompagné le président Compaoré à ramener la paix au Togo, en Côte d’Ivoire et en Guinée (Conakry), je suis persuadé qu’il réussira la médiation au Mali. Par comparaison, la crise ivoirienne était plus complexe que la crise malienne, mais, sous la direction éclairée du médiateur, la paix est revenue en Côte d’Ivoire.

Donc, je ne doute pas que le président Compaoré réussira sa médiation au Mali avec la grâce de Dieu.

En ce qui concerne le Burkina, des élections couplées (municipales et législatives) s’annoncent pour décembre prochain. A cet effet, la CENI s’est rapprochée des autorités coutumières et religieuses pour solliciter leur soutien dans la mobilisation des électeurs à l’enrôlement biométrique sur la liste électorale. Adhérez-vous à cet appel pour sensibiliser les fidèles de votre mosquée ?

Pour les autorités coutumières et religieuses, la paix, l’harmonie sociale et la bonne marche des institutions administratives ont toujours été au centre de leurs prières et de leurs vœux. En ce qui concerne les élections à venir, la communauté musulmane est dans cette dynamique de prière pour que tout se passe bien. Je pense que c’est de même chez les Catholiques, les Protestants et les coutumiers.

Personnellement, je me suis engagé dans la sensibilisation des fidèles à aller se faire enrôler sur la liste électorale. Que les autres fassent autant car tout concourt à la quête de la stabilité, la paix afin que l’administration soit toujours au service des Burkinabè.

Quelle prière particulière avez-vous à adresser aux leaders des partis politiques qui prennent part à cette consultation électorale ?

Que chaque parti politique s’implique résolument dans la mobilisation de ses militants pour se faire enrôler sur la liste électorale. Car ce sont les candidats qui sont les premiers bénéficiaires de ces élections.

J’invite surtout les leaders politiques à plus de responsabilité dans les discours politiques. De même, nous prierons pour que Dieu les accompagne dans leur mouvement et les épargne de toutes situations désagréables. Enfin, que chacun reconnaisse en toute honnêteté ses capacités de mobilisation et accepte le verdict des urnes.

Cheich Bangré, aux fidèles musulmans du Burkina Faso, quel message avez-vous à leur adresser en ce mois béni du Ramadan ? ?

Je souhaite que les fidèles musulmans entament ce mois du Ramadan dans le pardon et l’union. C’est la période de la réconciliation où chaque musulman doit tendre la main à son prochain.

J’invite encore les fidèles à savoir que le mois du jeûne est recommandé pour témoigner sa générosité à travers le partage avec les indigents. Au Burkina, la majorité des commerçants sont des musulmans. Je les exhorte à ne pas renchérir les prix des denrées alimentaires (sucre, riz, huile, etc.) afin que tous les fidèles fassent le jeûne dans la joie.

A l’ensemble de tous les Burkinabè, je leur souhaite prospérité et santé de fer. A Sa Majesté le Moro-Naaba Baongo et ses ministres, au président Blaise Compaoré et l’ensemble de son gouvernement, que Dieu leur accorde toujours sa clairvoyance pour qu’ils continuent de diriger dans la paix.

Interview réalisée
en mooré et traduit par
Théodore ZOUNGRANA
(tzoungrana@yahoo.fr)

Hebdomadaire du Burkina

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