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Sénégal : Macky Sall veut verrouiller sa majorité présidentielle en confiant la présidence de l’Assemblée nationale sénégalaise à Moustapha Niasse (1/3)

Publié le mardi 17 juillet 2012 à 16h49min

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L’un, Moustapha Niasse, a 73 ans et une très longue expérience politique derrière lui. Exceptionnelle même : il a collaboré avec chacun des trois présidents de la République qui ont dirigé le Sénégal. Il a été du côté du pouvoir ; il a été du côté des oppositions. C’est l’archétype de « l’homme politique sénégalais ».

L’autre, Macky Sall, n’a pas encore 51 ans et s’il a un parcours politique remarquable – ministre, premier ministre, président de la République – il n’a décroché son premier poste gouvernemental qu’il y a tout juste onze ans, en mai 2001 ; il était jusqu’alors un technocrate et l’est, pour l’essentiel, resté. Autant dire que le jeu politicien dense – et parfois sournois – auquel la classe politique sénégalaise aime à se livrer n’est pas sa tasse de thé. Il est conscient d’ailleurs que sa victoire à la présidentielle 2012 est, d’abord, la défaite d’Abdoulaye Wade. Et, pour avoir été formé à l’action gouvernementale dans ce sérail, il sait à quoi il lui faut s’attendre de la part de ses « amis » politique : au pire !

La coalition « Bennoo bokk yakaar » (BBY), qui a permis la victoire de Sall au deuxième tour de la présidentielle, est désormais le rassemblement de ceux qui, estimant qu’ils y ont largement contribué, veulent un job « au soleil ». Avec d’autant plus d’exigence que BBY a « remis le couvert » lors des législatives. C’est dire que le Sénégal compte aujourd’hui autant de « leaders » que de « partis » et chacun d’eux, des socialistes du PS aux libéraux de l’APR en passant par les opportunistes de partout et de nulle part, après avoir joué collectif lors de la présidentielle et des législatives entend jouer, désormais, solo (cf. LDD Sénégal 0178/jeudi 5 juillet 2012). Peu enclin à être le garde-chiourme des 119 députés BBY qui siègent à l’Assemblée nationale, Sall entend confier cette tâche à l’homme qui possède la meilleure expérience politique même s’il n’a plus l’autorité et l’aura politique d’autre fois : Niasse.

Né en 1939 à Keur Madiabel (à environ 25 km au Sud de Kaolack), marié à une petite-fille de Blaise Diagne, le premier député sénégalais, Moustapha Niasse a milité dès 1957 au sein du Bloc populaire sénégalais (qui deviendra, par la suite, l’Union populaire sénégalaise puis le Parti socialiste en 1977). Juriste, ancien élève de l’ENAS (option magistrature) et de l’Institut d’études du développement économique et social (IEDES) à Paris, il sera directeur de cabinet du président Léopold Sédar Senghor (poste auquel il sera remplacé en 1977 par Djibo Kâ) et plusieurs fois ministre. Après l’accession au pouvoir d’Abdou Diouf, il sera nommé premier ministre. Pour peu de temps (3-29 avril 1983), sa mission étant de mettre un terme à cette fonction.

En 1983, il sera nommé, une première fois, ministre d’Etat, en charge des Affaires étrangères. En 1984, Diouf lui proposera de soutenir sa candidature au poste de secrétaire général de l’OUA mais Niasse déclinera l’offre. C’est en 1984 qu’il quittera le gouvernement à la suite d’une violente altercation (ponctuée par un coup de poing) avec… Djibo Kâ, ministre de l’Information. Niasse ouvrira alors un cabinet d’études et de conseil en investissements : Cabinet Conseil International (CCI) et créera une compagnie d’assurances avant de se lancer dans le trading pétrolier puis le transport maritime… très souvent avec des partenaires saoudiens compte tenu de ses relations étroites avec la maison royale de Fadh.

Mais son réseau d’influence va bien au-delà de la sphère musulmane. Il a des amis américains (notamment George Moose, qui a été ambassadeur à Dakar et sous-secrétaire d’Etat aux affaires africaines sous Bill Clinton), français (il a été le partenaire de Michel Rocard au sein d’Afrique Intiatives), africains (il a été le conseiller des présidents Ali Saïbou, Sassou Nguesso, Omar Bongo) et, bien sûr, sénégalais (le cardinal Hyacinthe Thiandoum, mort en 2004, disait de Niasse qu’il était un « homme courageux, sincère, pacifique […] le candidat idéal : intelligent, formé par Senghor. Il connaît le pays, il est l’ami des Arabes et affiche une grande ouverture d’esprit à l’égard du christianisme »). Fortuné, et assumant pleinement sa fortune (il a roulé, à Dakar, au volant d’une Jaguar qu’il avait eu le bon goût de choisir en « vert anglais », le British Racing Green) se payant même le luxe quelque peu démagogique de faire verser ses indemnités de ministre au Centre des œuvres universitaires de Dakar et de « sponsoriser » des étudiants.

En 1991, son retour au gouvernement, au poste de premier ministre, sera évoqué. Mais c’est Habib Thiam qui sera nommé et Niasse, du même coup, refusera le portefeuille de ministre de l’Industrie, des Mines et de l’Energie. Il sera alors particulièrement critique à l’égard du fonctionnement du PS qui, disait-il, « se comporte dans un pays démocratique comme un parti unique ». Il ajoutait : « Mais j’y reste, et je mène, sur le plan des idées, mon combat de l’intérieur ». En 1993, il reviendra effectivement au gouvernement, une fois encore avec le titre de ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, portefeuille auquel il remplace… Djibo Kâ. En 1998, quand Mamadou Lamine Loum prendra la suite de Thiam, il quittera le gouvernement pour « convenances personnelles ».

En 1999, il sera l’envoyé spécial des Nations unies en charge du « processus de paix en République démocratique du Congo » après avoir été « facilitateur » dans la crise togolaise en 1998 à la demande du secrétaire général de la Francophonie. Il a été candidat à la présidentielle du 27 février 2000 après avoir fondé son parti, l’Alliance des forces de progrès (AFP), en juin 1999. Arrivé en troisième position (avec près de 17 % des voix), il soutiendra la candidature de Wade au second tour, permettant à celui-ci d’accéder au pouvoir. Du même coup, le 1er avril 2000, il sera nommé premier ministre. Il restera en place jusqu’au samedi 3 mars 2001, à la veille des législatives (29 avril 2001). A la primature, il sera remplacé par une personnalité de la société civile, la magistrate Mama Madio Boye, qui était ministre de la Justice dans le gouvernement qu’il dirigeait. Il est vrai que cette alliance contre nature entre Niasse et Wade n’était que de circonstance et n’avait pas vocation à perdurer.

Niasse s’expliquera, le 26 avril 2004, dans un entretien accordé à Afrique Diagnostic. Et ses commentaires sont encore valables, aujourd’hui, au lendemain de la victoire de Sall à la présidentielle. En ce qui concerne la victoire de Wade à la présidentielle 2000, il n’avait pas manqué de souligner : « Les 17 % que j’avais obtenus au premier tour de l’élection présidentielle, soit un peu moins du cinquième des suffrages exprimés, faisaient de mon parti et de moi-même, pour ainsi dire, des faiseurs de rois. Maître Abdoulaye Wade n’avait atteint au premier tour que 31 % des voix face à son rival qui en avait obtenu 41 %. J’avais donc bien le choix, et mon choix était en faveur de changements qualitatifs qui devaient commencer avec des hommes nouveaux à la tête de l’Etat ». En ce qui concerne sa nomination au poste de premier ministre, Niasse affirmera : « Maître Abdoulaye Wade, dès le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, et sans m’avoir jamais consulté à ce sujet, a proclamé que je serais son Premier ministre s’il parvenait à battre son rival, le chef de l’Etat d’alors, à l’issue du deuxième tour. Nous étions à la date du 28 février 2000, et ce deuxième tour devait avoir lieu le 19 mars de la même année, soit trois semaines plus tard. J’ai mis deux semaines avant de donner mon accord sur cette décision unilatérale de Maître Wade après avoir reçu de sa part plusieurs missions envoyées auprès de moi, non sans que j’eusse subi, par ailleurs, de multiples pressions ».

Niasse précisait ainsi clairement que son objectif premier était le « changement des hommes » (ajoutant à l’adresse de Wade : « Nous ne regrettons nullement d’avoir voulu des changements au Sénégal en le soutenant quand il le fallait »), mais que sa nomination en tant que premier ministre avait été une démarche de Wade et non pas une exigence de sa part.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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