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Mais que font les Maliens alors que tout le monde est au chevet de leur pays ? (2/3)

Publié le vendredi 13 juillet 2012 à 17h57min

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Debout dans son bureau de Kati, devant sa télé écran plat grand format, dans son battle dress tout neuf (modèle US « guerre du Golfe ») et donc tout propre, physiquement inconsistant (cf. LDD Mali 041/Mardi 10 juillet 2012), le capitaine Amadou Haya Sanogo n’a rien d’un guerrier. Chérif Ouazani (Jeune Afrique du 3 juin 2012), en quelques mots, dresse le tableau de la situation du Mali : « Plus de deux mois après le coup d’Etat du 21 mars, le chef des militaires se rêve en sauveur de la nation. Depuis la garnison de Kati, où il s’est retranché, il ne reconnaît qu’à regret l’autorité du président intérimaire, critique la médiation de la Cédéao et veut croire qu’un rien suffisait pour que l’armée triomphe dans le Nord… ».

Tout cela me rappelle les mots cruels de Dominique de Roux qui, au temps de la « révolution des œillets » au Portugal, écrivait au sujet d’Otelo Nuno Romào Saraïva de Carvalho* : « Césarillon s’était empâté, le menton au cube et la mâchoire… Jouissance et trivialité avaient garni le jeune capitaine qui aurait pu rêver théâtre. Devant moi, un adulte dépassé par ses ambitions ».

Sanogo a 39 ans. Et ce n’est pas encore un adulte responsable. J’avais dit, au lendemain du 22 mars 2012, qu’il avait le charisme « d’une poule qui a trouvé un couteau ». Quelques mois plus tard, il a l’air d’un gosse effaré par un trop plein de jouets au matin de Noël. Depuis, du CNRDRE il ne reste qu’un logo placardé sur un mur ; et son statut d’ancien chef de l’Etat lui a été retiré, mettant fin à une lamentable mascarade. On dit qu’il a expédié sa femme et ses trois filles en Côte d’Ivoire. Pour leur sécurité. Ainsi va le Mali, « le pays des hommes qui prennent la fuite ».

L’armée s’est « repliée stratégiquement » du Nord, ATT s’est tiré au Sénégal, Sanogo s’est retranché à Kati. Et Dioncounda Traoré, après s’être fait « botter le cul » (initialement, on parlait de côtes fêlées et d’arcade sourcilière fendue - lorsque j’étais étudiant, c’est ce que l’on risquait dans une « manif » un peu musclée au Quartier Latin – puis on évoquera une agression « bien plus grave que ce qui avait alors été décrit » et deux opérations au Val-de-Grâce à Paris) s’est envolé pour Paris le 23 mai 2012 avec sa femme, ses filles, son aide de camp, son directeur du protocole. Direction : le Pullman Montparnasse. Cela fait plus de cinquante jours !

Du même coup, voilà Djibrill Y. Bassolé, ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, et Ally Coulibaly, ministre ivoirien de l’Intégration africaine, contraints de prendre l’avion depuis Ouagadougou pour aller rendre compte, le lundi 9 juillet 2012, au président de la République (intérimaire) du Mali de ce qui s’est passé lors du sommet des chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest organisé dans la capitale burkinabè (6-7 juillet 2012). Le « groupe de contact pour le Mali » a réitéré « la nécessité d’une consolidation de l’ordre constitutionnel et de la continuité de l’Etat » comme préalable à la « gestion de la crise au Nord du Mali ». En gros, et pour faire simple, hors de tout langage diplomatique : il serait temps que les « élites » politiques maliennes « ferment un peu leur gueule et bougent un peu leur cul ». Diplomatiquement, le « groupe de contact » évoque une « exhortation » (le mot est employé à plusieurs reprises par le communiqué final). L’éditorial de Sidwaya, le quotidien national burkinabè, au matin du lundi 9 juillet 2012, exprime parfaitement l’état d’esprit qui règne aujourd’hui en Afrique de l’Ouest au sujet du Mali et des Maliens : la lassitude et le ras-le-bol.

Rabankhi Abou-Bâkr Zida écrit ainsi : « Pauvre Afrique ! Pauvre Mali ! […] C’est un drame de la sous-région, du continent et de la planète. Comme le Tour de France qui va de ville en ville, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) se réunit d’une capitale à une autre pour trouver les voies et moyens de calmer la situation à Bamako où soldatesques, défenseurs autoproclamés des droits humains, professionnels et amateurs de la chose politique, affabulateurs du mouvement syndical et autres experts de la physique des astres se disputent le pouvoir laissé vacant par un général parachutiste défait dans la nuit du 22 au 23 mars par un groupuscule de lacrous ». En quelques lignes, tout le monde en prend pour son grade ! (y compris les sans-grades, les « lacrous » étant les nouvelles recrues, les « bidasses » disait-on en France quand le service militaire était obligatoire).

Et quand on évoque la création d’un « corps d’élite » pour sécuriser les institutions républicaines (sic) maliennes et que Dioncounda Traoré souhaite, « par fierté nationale » que ce « corps d’élite » soit malien (pas de problème, les « élites » foisonnent à Bamako !), le journaliste Dabaoué Audrianne Kani s’emporte dans L’Express du Faso (mercredi 11 juillet 2012) : « Quelle fierté nationale !!! Comme s’il avait oublié que ce sont les mêmes forces de sécurité maliennes qui l’ont laissé tabasser à coups de bâton et de marteau dans son bureau de la présidence de Koulouba. Et d’où vient ce soudain nationalisme teinté parfois d’un patriotisme aveugle dont les Maliens sont habités ?

Par orgueil national, les Maliens préfèrent régler le problème malien par eux-mêmes. Ce qui en soi n’est pas mauvais. Mais, s’ils le pouvaient bien, pourquoi ont-ils laissé les terroristes venir jusqu’aux portes de Bamako ? Cette armée qui se vante tant, pourquoi a-t-elle fui le Nord quand les terroristes, djihadistes et autres bandits sont arrivés ? […] Si au Mali, on chante l’hymne d’un nationalisme déplacé et aveugle, il y a de quoi avoir froid dans le dos. Laurent Gbagbo et ses sbires ont chanté les mêmes refrains en Côte d’Ivoire pendant dix ans. Aujourd’hui, l’abîme est tel dans ce pays jadis prospère qu’il faudra plusieurs années pour le redresser. Sur tous les plans : économique, sécuritaire, culturel, sanitaire et même politique ».

Cheick Ahmed, dans L’Opinion (mercredi 11 juillet 2012), ne dit pas autre chose : « On peut le dire, l’honneur et la reconnaissance ont bel et bien foutu le camp chez nombre de Maliens et plus que d’obus, de bombardiers et autres missiles, ce dont le Mali a le plus besoin, ce sont des hommes d’honneur. Au lieu de chercher à résoudre la crise, certains en profitent tout au contraire. Il faut le leur dire en face […] Toute honte bue, ces individus qui réclament à cor et à cri l’usage de la force ou la recherche d’une « solution malienne » mettent un soin méticuleux à éviter le front où ils devraient pourtant pouvoir faire valoir leur force et leur nationalisme. Au lieu de cela, ils se pavanent à Bamako ».

Il y a tout juste trois mois, le jeudi 12 avril 2012, alors qu’il venait d’être nommé président (intérimaire) de la République du Mali, Dioncounda Traoré était bien plus battant. « Nous n’hésiterons pas, avait-il affirmé, à mener une guerre totale et implacable pour recouvrer notre intégrité territoriale, mais aussi pour bouter hors de nos frontières tous ces envahisseurs porteurs de désolation et de misère, que sont AQMI et tous ces trafiquants de drogue qui opèrent depuis trop longtemps dans le Nord de notre pays […] Nous la ferons avec notre armée remise en condition et en confiance […] Nous serons tous derrière elle jusqu’à la victoire finale, celle du Mali qui a recouvré tout son territoire et retrouvé sa laïcité ». Pour l’instant, hélas, le seul qui s’est fait mettre « une branlée » : c’est Traoré !

* Le Portugais Otelo de Carvalho, né à Maputo (alors Lourenço Marques) au Mozambique, militaire de carrière, a servi en Angola et en Guinée Bissau dans les années 1960. Il était en poste, à Bissau, avec le grade de capitaine, sous les ordres du général Antonio Spinola, et s’impliquera dans le « mouvement des capitaines ». De retour au Portugal en 1973, il prendra la tête du soulèvement militaire le 25 avril 1974, resté dans l’histoire sous le nom de « Révolution des œillets ». Trois mois plus tard, il sera promu général de brigade et, par la suite, connaîtra une évolution de carrière tumultueuse. L’écrivain Dominique de Roux, mort en 1977, s’est beaucoup intéressé au Portugal et à ses guerres coloniales ; il a été très proche de Jonas Savimbi, leader de l’UNITA en Angola, dont il s’est fait le propagateur au sein du monde « occidental » contribuant à sa légende de « combattant de la liberté » dès lors qu’il était engagé contre les troupes du MPLA soutenues par Moscou et La Havane

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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