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Que vont faire de leur victoire « collective » aux législatives sénégalaises les leaders de la coalition « Bennoo bokk yakaar » ?

Publié le mardi 10 juillet 2012 à 11h23min

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Il n’est pas compliqué de se coaliser pour faire chuter un leader. Abdoulaye Wade en a fait la démonstration en 2000 alors que le régime d’Abdou Diouf était à bout de souffle. Il est bien plus délicat de jouer collectif quand l’enjeu n’est plus unique (la présidence de la République) mais multiple (les législatives avec tout ce que cela sous-entend : présidence de l’Assemblée nationale, premier ministre, rôle des partis, etc.).

C’est le défi auquel est confronté Macky Sall, triomphalement élu voici quelques mois et qui se retrouve avec une majorité de députés à l’Assemblée nationale, sous l’étiquette de la coalition « Bennoo bokk Yakaar » (BBY) qui compte autant de leaders que de partis composants. Les résultats (pas encore officialisés) laissent penser que BBY pourrait disposer de 119 députés sur les 150 que comptent l’Assemblée*. C’est le PDS, créé voici près de quarante ans (1974) par Abdoulaye Wade, qui arrive en deuxième position ; mais avec seulement 12 députés. Viennent ensuite des dissidents du PDS (conduits par le président du Sénat Pape Diop) et un chef religieux (Serigne Mansour Sy Djamil) puis une flopée de groupuscules, laïcs ou religieux, qui ne parviennent pas à faire élire plus d’un seul député. Treize des vingt-quatre listes en compétition auront des représentants à l’Assemblée nationale.

Mais cette « victoire écrasante » est d’abord un échec politique. Le taux de participation, qui était de 55 % lors de la présidentielle du 25 mars 2012, n’a été que de 36,6 % à ces législatives du 1er juillet 2012. C’est dire que la crédibilité de la classe politique sénégalaise est faible et qu’il n’est guère d’électeurs, dans ce pays, pour penser que les députés servent à quelque chose. Il s’agissait, cette année, de se débarrasser de Wade ; cela a été fait avec la présidentielle. Le reste importait peu : les Sénégalais savent par expérience que ce sera une « espérance » déçue (« Bennoo bokk yakaar » signifie : unis pour un même espoir). BBY est une nébuleuse de « partis » ; en fait, des groupuscules qui sont l’émanation de leaders (qui, pour beaucoup, se sont présentés au premier tour de la présidentielle). Combien de vrais partis au sein de ce rassemblement ? Aucun si ce n’est le PS qui a gouverné le pays de 1960 à 2000. Même la formation de Macky Sall, l’Alliance pour la République (APR-Yakaar), n’est qu’un assemblage de circonstance : des vieilles gloires du PDS et des nouveaux opportunistes. Et si l’APR fait le plein de députés, il ne sera pas majoritaire au sein de BBY et, encore moins, de l’Assemblée. Quant aux autres « partis » présents au sein de BBY, pris en compte individuellement, aucun ne semble avoir fait un meilleur score que le PDS de Wade.

Des figures de proue en quantité. Mais, derrière, des coques vides. Voilà la physionomie politique actuelle du Sénégal. Si on ajoute à cela que les électeurs ont massivement boudé les urnes et que l’on note une montée en puissance des députés « religieux », il n’y a pas de quoi susciter l’enthousiasme des observateurs (seul point positif : l’explosion du nombre de femmes élues !). Bien au contraire. Et le listing des députés élus atteste que le renouvellement de la classe politique n’est pas, non plus, aussi significatif qu’on pouvait l’espérer compte tenu de l’éradication du PDS de la scène politique sénégalaise. Les têtes d’affiche restent les mêmes qu’au cours des décennies passées. Elles ont simplement changé de cheval… !

C’est surtout que la désaffection des électeurs à l’égard d’une classe politique qui a perdu sa crédibilité fait que ce job n’attire plus que les « pros » de la politique, les opportunistes, les « marabouts-politiciens » (pour reprendre une expression sénégalaise). Les intellectuels ont déserté partis et cercles politiques ; les élites « technocratiques », quant à elles, ont carrément déserté le pays pour aller chercher fortune ailleurs sauf à accepter le jeu trouble des arcanes politico-affairistes. Est-ce que la victoire de Moustapha Diakhaté, tête de liste BBY à Dakar, ex-adepte du PDS et de Wade (il avait été chargé de mission à la présidence pendant une dizaine d’années, jusqu’en 2009 !), dont on souligne la rigueur de comportement, est l’expression que le changement a été aussi… qualitatif ?

Quand Wade a conquis le pouvoir en 2000, le débat politique était moins dégradé qu’il ne l’est aujourd’hui ; et les partis tenaient encore la route. La « coalition Sopi » s’est construite autour du PDS et contre le PS. Rien de tel en 2012. Le PDS est moribond ; le PS s’est dilué dans la coalition BBY. De ces partis, qui ont dominé la vie politique pendant des décennies, il ne reste rien. Que des ambitions personnelles qui s’expriment dans des assemblages qui ont plus à voir avec le clientélisme qu’avec une conviction, une idéologie, un programme. La présidentielle puis les législatives gagnées, il n’est pas un groupuscule au sein du BBY qui n’ambitionne d’avoir un job à la hauteur de ses ambitions et de l’appétit de ses leaders. Primature, gouvernement, présidence de l’Assemblée nationale et du Sénat, ambassades, etc. c’est une telle bousculade que l’on se demande comment la coalition BBY pourrait survivre aux luttes qui font déjà rage.

Moustapha Niasse, candidat à la présidentielle au nom de l’Alliance des forces du progrès (AFP), 73 ans et un parcours politique particulièrement dense (notamment dans le rôle de « faiseur de roi »), leader de BBY, songe tout naturellement à la présidence de l’Assemblée nationale. Mais il n’est pas le seul ; ni le plus légitime. Bien que plus jeune (ils ont huit ans de différence), Ousmane Tanor Dieng, figure emblématique des années Diouf et du PS, vice-président de l’Internationale socialiste, y songe aussi. Ou, du moins, ses partisans. Mais l’APR, la formation politique de Macky Sall, qui compte le plus grand nombre de députés, serait légitimement en droit d’exiger de présider l’Assemblée ; ce qu’affirme Moustapha Cissé Lô, son coordonnateur. Rien que de très normal et de très humain que tout cela ; c’est d’ailleurs pourquoi les partis politiques ont été créés afin de canaliser les ambitions des uns et des autres, d’organiser la réflexion et de structurer les modes d’action. Sans parti, c’est le « bordel » assuré… !

BBY n’est qu’une nébuleuse ; et rien d’autre. Qui ne fera pas progresser le débat et ne conduira pas l’action. C’est l’illusion des « libéraux ». Wade, anti-marxiste plus que n’importe qui, avait pourtant, quant à lui, compris le rôle des partis dans l’évolution des sociétés. Même Léopold Sédar Senghor l’avait compris, autorisant la création du PDS au temps du PS, parti unique triomphant**. Mais c’était un temps (révolu) où les hommes politiques faisaient de la… politique. Aujourd’hui, ils s’efforcent, seulement, de gérer leur carrière. C’est dire que le PDS aurait une carte à jouer dans le jeu politique sénégalais : celui de la réflexion, de l’organisation et de l’action. A condition que ses députés prennent conscience qu’aujourd’hui, à l’exception du PS, aucune formation politique ne peut revendiquer la place qui est la sienne dans l’histoire politique et sociale du Sénégal ; ce qui lui crée des responsabilités. Cela n’est pas arrivé tant qu’ils étaient au pouvoir ; cela peut-il arriver dès lors qu’ils sont dans l’opposition ?

* Lors des législatives de 2007, la « coalition Sopi » avait remporté une victoire plus écrasante encore que BBY aujourd’hui : 131 des 150 sièges alors qu’en 2000 – année de la victoire de Wade à la présidentielle – elle avait remporté 89 des 120 sièges. Il faut remonter aux législatives de 1983 pour retrouver un score aussi faible du PDS : 8 des 120 sièges soit 150.785 voix !

** A ce sujet, Wade a déclaré : « Senghor, véritable génie politique, pratiquement seul sur la scène politique, dut recourir aux luttes internes pour entretenir la combativité de son parti. Il créa les tendances pour satisfaire, tant bien que mal, le besoin sénégalais de contestation […] Senghor, maître ès gestion des conflits de personnes réussit ainsi à tenir tout le monde en laisse, en accordant toujours son soutien à la tendance de celui qui, en fait, était minoritaire. De cette façon, l’investi chef de la tendance A devenait un inconditionnel qui devait tout au parti alors que le majoritaire, tendance B, s’épuisait dans de vaines procédures où tout était décidé à l’avance et tirait la langue en espérant qu’un jour justice lui sera rendue. C’était une idée géniale » (Abdoulaye Wade, « Une Vie pour l’Afrique » - éditions Michel Lafon – Paris 2008).

Jean-Pierre BEJOT

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